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vendredi 11 mars 2016

Georges Kafando, Administrateur de programme éducation à l’UNICEF : « Le système éducatif actuel ressemble à un avion, il décolle

Pour l’atteinte de l’objectif « Education pour tous », le Burkina Faso a adopté depuis 2008, une stratégie de scolarisation accélérée dans le but de donner une seconde chance aux enfants déscolarisés ou non scolarisés dont l’âge est compris entre 9 et 15 ans. Cette formule qui continue de porter fruits et pour laquelle l’UNICEF s’est fortement investie, intéresse les Sénégalais en mission depuis peu au Burkina Faso. Au terme d’une tournée entamée dans le Sanmatenga, puis le Namentenga et enfin le Ganzourgou, Georges Kafando, administrateur de programme éducation à l’UNICEF, est pleinement satisfait. Il nous parle (avec notre confrère de IJACOD) des acquis engrangés, des difficultés et de ses impressions dans un entretien qu’il nous a accordé le 9 mars 2016. Lisez !


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Georges Kafando, Administrateur de programme éducation à l’UNICEF : « Le système éducatif actuel ressemble à un avion, il décolle… »Qu’est-ce qui a poussé l’UNICEF à adhérer à cette stratégie de scolarisation accélérée/passerelle ?
Nous soutenons le MENA (Ministère de l’éducation nationale et de l’alphabétisation, ndlr) dans le domaine de l’éducation et nous soutenons le continuum. Nous sommes une agence qui essaie de promouvoir des innovations pour permettre au ministère de voir ce qui est positif pour aider à régler un certain nombre de préoccupations. Vous savez que depuis pratiquement 1996, nous avons mis en place ce qu’on appelle le « Bisongo » pour la petite enfance, des écoles satellites, des centres d’éducation de base non formelle. Cette dernière composante s’adressait aux adolescents qui ne sont pas allés à l’école ou qui l’ont quittée très tôt. Et c’était la formation aux métiers. On s’est aperçu que malgré ces grandes initiatives-là, il y a beaucoup d’enfants qui échappent au système éducatif.
Vous savez que le pays a souscrit à l’Education pour tous (EPT) et on ne peut pas atteindre cet objectif quand beaucoup d’enfants sortent du système. Et comme j’ai coutume de le dire, le système tel qu’il est actuellement ressemble à un avion : il décolle au CP1, son premier atterrissage arrive au CM2. Il redécolle là pour atterrir plus loin. Mais lorsqu’il décolle, il a en son sein beaucoup d’enfants mais avant l’atterrissage beaucoup d’entre eux tombent et le système en lui-même n’est pas capable de récupérer ces enfants. Une fois que l’enfant a quitté l’école mais qu’il retourne le lendemain ou un an plus tard pour voir l’enseignant et lui dire « Moi, je veux revenir à l’école » ; c’est fini car le système ne le reconnait plus. Pour faire l’EPT, il faut donc trouver un moyen pour remettre ces enfants à l’école parce que l’obligation scolaire va jusqu’à 16 ans. C’est pour cela que lorsque nous avons pris connaissance de cette nouvelle initiative, le MENA nous a approché pour voir si nous pouvons les soutenir.
C’est ainsi que depuis 2012, nous accompagnons le ministère. Nous avons commencé avec ANTBA (Association nationale de la traduction de la Bible et de l’alphabétisation, NDLR) dans la zone du Namentenga avec d’abord 10 centres. Ensuite, on a évolué vers le Ganzourgou et cette année, on a ouvert 20 centres. Parallèlement, on travaille avec la FDC (Fondation pour le développement communautaire, NDLR) dans la zone des réfugiés maliens. Nous sommes donc impliqués dans cette innovation-là pour aider le MENA à ramener ces enfants à l’école pour que les indicateurs soient plus importants et pour que l’EPT puisse progressivement se faire.
Concrètement quelle est la nature de cet appui que vous apportez et quel est son coût ?
C’est beaucoup car nous avons des protocoles d’accord de près de 200 millions avec la FDC et ANTBA. Lorsque nous ouvrons un centre avec eux, tout est pris en charge par l’UNICEF : les salaires des animateurs, les formations, les recyclages, les fournitures scolaires, le matériel pédagogique. C’est pour permettre que cette innovation ne soit pas un problème pour les parents.
Quel est le nombre total de centres ouverts par l’UNICEF depuis 2012 ?
Notre approche est stratégique. Pour nous, ce n’est pas le nombre qui est important. C’est le fait de prouver qu’à travers cette démarche, on peut arriver à régler un problème. Nous avons commencé à réaliser des EQAmE (Ecoles de qualité amie des enfants) dans le Ganzourgou et le Namentenga. Actuellement ces écoles sont adoptées par le pays pour aller de l’avant. Dans un village où il y a une EQAmE, il ne doit pas y avoir d’enfant qui ne soit pas à l’école. C’est beaucoup plus un pilote qui doit montrer sa capacité à ramener les enfants à l’école. C’est au MENA de voir parce qu’on peut faire beaucoup et échouer beaucoup.
Quels sont les acquis et les difficultés de cette stratégie de scolarisation accélérée/Passerelle ?
Les enfants qui bénéficient de la SSA/P sont maintenant des enfants qui veulent aller à l’école. Ils sont à un âge où ils ne considèrent pas l’école comme une obligation. Un enfant qui n’a pas été à l’école et qui y va en neuf mois, arrive à sauter le CP1, le CP2, le CE1 pour se retrouver au CE2, c’est quand même une prouesse extraordinaire. C’est quelque chose de très positif qui étonne les gens et qui laisse abasourdis, ceux qui n’y croient pas.
Maintenant, il y a des contraintes. Certains encadreurs ne donnent pas du crédit à cette stratégie, croient que c’est une surcharge et qu’on n’ajoute pas quelque chose sur leur salaire. Ce sont des blocages. Sinon les enfants ne demandent qu’à retourner à l’école et retrouver leurs copains.
Parlons un peu de l’école de Songonkieme construite grâce à la SSA/P…
Ce site n’est pas un site UNICEF. Moi, je le découvre en même temps que vous. Mais je sais qu’au Sahel, nous avons fait la même chose avec l’ONG FDC. Mais en accord avec le directeur provincial de l’éducation nationale et de l’alphabétisation (DPENA) qui a dit : « Si vous les aidez cette année, nous ouvrons l’année prochaine ». Il avait été planifié l’ouverture de l’école l’année d’après et les communautés ont trépigné de joie. Lorsque nous avons parlé de classes à passerelles, ils nous ont dit : « l’école d’à-côté n’est pas loin, venez nous aider à créer cette passerelle pour que nos enfants y aillent ». Et dès qu’on a ouvert le DPENA était d’accord pour créer au même lieu de la classe à passerelle une école classique normale.
Une délégation sénégalaise est présente au Burkina Faso pour s’inspirer de l’expérience du Burkina Faso en matière de SSA/P, comment appréciez-vous cette démarche ?
C’est vraiment une immense joie. Lorsque j’ai rencontré les collègues au niveau de l’atelier sur les politiques en matière de planification/budgétisation pour l’enfant, en octobre passé à Lomé, on a échangé sur les innovations et j’avais dit tout simplement que nous faisons la SSA/P, que ça portait des fruits et nous étions encore dans l’innovation. Quand le responsable de l’éducation est parti, ils nous a relancés en nous demandant s’ils pouvaient venir visiter. On était d’accord car ça allait permettre de connaitre l’expérience au plan national, et deuxièmement avoir un regard qui nous permet d’avancer. Ca nous réjouit de voir qu’un pays comme le Sénégal vienne au Burkina, là où la SSA/P n’est pas née, pour s’inspirer de l’expérience plutôt que d’aller d’abord au Mali où on réalise 100, 200 centres.
Vos impressions sur cette petite tournée débutée il y a 48 heures dans le Sanmatenga
Du côté des animateurs, il y a eu de l’engouement parce qu’ils ont vu leur travail valorisé. Ils ont le niveau du BEPC (Brevet d’études du premier Cycle, NDLR), ils ont eu un mois de formation et ils se battent pour réussir. Voir donc de nombreuses gens qui arrivent et qui les encouragent, c’est très positif.
Du côté des enseignants qui doivent recevoir ces classes, on a vu qu’ils se préparent mentalement. Ils sont d’accord et partagent les mêmes idées parce qu’ils sont sans solutions par rapport aux défections des enfants. Et ils voient en cela une solution pour ramener les enfants et ceux qui n’étaient même pas à l’école.
Du côté de l’encadrement, on a vu la présence de deux CEB (Circonscription d’éducation de base) sur le terrain. Cela témoigne de l’intérêt qu’ils ont à suivre ces centres-là. Quoi qu’on dise, ce sont des enfants qui viennent grossir les effectifs.
Du côté de la mission, ils ont lu des choses sur les papiers et ils sont allés sur le terrain ; ils ont vu des enfants qui apprennent, des résultats palpables. Ils nous ont aidés aussi à travers leur regard nouveau, à identifier des difficultés ou des améliorations dont on va tenir compte.
Durant les visites, l’on a constaté de fortes mobilisations des communautés. Qu’est-ce qui a pu influencer leur adhésion à la stratégie ?
C’est une mobilisation fantastique mais ça n’étonne pas trop en ce sens que ça dépend de la procédure qui a été utilisée. On a des ONG qui accompagnent cette innovation à travers l’information et la sensibilisation. Vous savez, les enfants nous ont dit : « La première fois, papa ne voulait pas que j’aille à l’école mais maman voulait. Je devais garder les animaux. Cette fois-ci quand le centre à passerelle a ouvert, c’est eux qui m’ont dit d’aller. » Cette mobilisation des parents témoigne donc de leur adhésion à cette stratégie. Peut-être, là où il y a un petit problème à régler, c’est que certains parents croient que ce centre qu’on ouvre va rester de façon permanente. J’en ai profité pour leur dire que le centre n’a qu’une durée de deux ans. C’est tout juste pour permettre de ramasser tous ceux qui ne sont pas encore allés à l’école, au moins une soixantaine, et de les amener à l’école.
Un Dernier mot ?
Je crois que ce qui est important dans tout ça, c’est qu’il reste une communication forte à faire, une communication maintenant ciblée vers les politiques et les encadreurs. Pour moi, tout ce qui commence en langue nationale, ça a de l’importance et ça va vite. Mais, les langues nationales ne sont pas valorisées. Il y a certains, dès qu’on dit qu’on commence en langue nationale c’est tout un problème ; et pourtant il faut qu’on avance. Dans les pays qui sont en avance, les gens ont appris dans leur langue maternelle. Malheureusement, nous ne sommes pas dans ce système. C’est un peu difficile, c’est frustrant pour les enfants.

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