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vendredi 26 septembre 2014

Tibou Kamara sur le dossier du 28 septembre 2009 : Qui a peur de la vérité ? Exclusif

Le dossier du 28 septembre 2009, une page dramatique de l'histoire récente de la Guinée intéresse tous les citoyens patriotes et démocrates du monde entier. Cependant, si beaucoup revendiquent la vérité et la justice par humanisme, d'autres brandissent cette affaire comme une arme fatale, capable de réduire au silence ou à l'impuissance des adversaires politiques déclarés, d'autres encore voudraient en profiter pour écarter de potentielles menaces présentes ou à venir pour le régime agonisant d'Alpha Condé.

Connaîtra-t-on jamais la vérité dans la tragédie du stade du 28 septembre, surtout justice sera-t-elle rendue, un jour, aux victimes nombreuses pour que leurs familles puissent enfin faire leur deuil ?

Les Guinéens qui ont ironisé longtemps à propos du régime de Sékou Touré affublé d'un ''En attendant le bateau'' devront apprendre à vivre leur drame dans la foi et la patience ''en attendant leur justice''.

En effet, depuis l'année fatidique de 2009 au cours de laquelle la vague de folie qui a déferlé sur le pays a fait couler le sang de beaucoup d'innocents guinéens, la question de ''quand la justice pour les victimes'' se pose à la fois comme une urgence judiciaire autant qu'une exigence morale et humaine.

Pourtant, malgré la pression continue des puissantes organisations des Droits de l'Homme, l'obstination de la Cour Pénale internationale, la forte attente des familles éplorées, mais aussi le besoin pour la Guinée de rompre avec la pratique ''addictive'' de la violence, l'instruction piétine encore et toujours. Sans doute faudrait-il accorder des circonstances atténuantes à une justice, elle aussi, confrontée au défi de rétablir la confiance durement éprouvée avec les citoyens et d'affirmer enfin son indépendance. Mais, on ne peut en même temps nier les pesanteurs politiques et sociales qui n'ont jamais permis une bonne distribution de la justice, encore moins de mettre fin à l'impunité profondément ancrée dans le pays.

Le Général Sékouba Konaté qui a eu l'insigne honneur de diriger l'Etat guinéen, réagissant à une éventuelle demande de la justice de son pays à l'entendre dans le dossier du 28 septembre, résume bien comment est perçu aujourd'hui le pouvoir judiciaire par une majorité de citoyens guinéens : ''Je ne doute pas de la compétence de nos magistrats, mais doute de la volonté politique d'aller jusqu'au bout dans ce dossier''.

Il ne s'agit là que d'une suspicion légitime à l'égard d'une justice qui ne manque pas de magistrats qualifiés et dévoués, mais souffre de l'ingérence outrancière de l’exécutif, au mépris du principe sacro-saint de la séparation de pouvoirs qui fait la vitalité de la démocratie et la force de l'Etat de Droit. Combien d'affaires sont pendantes devant les juridictions guinéennes, y compris celles très médiatisées et sensibles de meurtres de citoyens à l'occasion des manifestations pacifiques de l'opposition ? Combien de citoyens croupissent encore en prison dans des conditions effroyables, notamment le général Nouhou Thiam, injustement arrête et détenu depuis de longs mois maintenant ? A quand son procès et celui d'autres prisonniers, otages d'une justice qui, plutôt que d'être un recours contre l'arbitraire, semble y contribuer, soit par son indifférence face à des délits et crimes graves ou la complaisance affichée vis-à-vis de l'Exécutif sans cesse porté à vouloir la contrôler ?

Aujourd'hui, en Guinée, évoluant dans un climat de méfiance et de défiance de citoyens qu'elle n'arrive ni à protéger ni à consoler, l'institution judiciaire ne fait pas peur et ne rassure pas non plus car, aux yeux de beaucoup de des usagers, elle a un caractère sélectif et discriminatoire, contre lequel Jean de la Fontaine mettait déjà en garde: '' Selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de cour vous rendront blanc ou noir''.

Alpha Condé a-t-il un intérêt à rendre justice ?

Il est clair que le pouvoir d'Alpha Condé n'est pas à l'aise avec l'affaire du 28 septembre dans la mesure où les personnalités dans le collimateur de la justice ont reçu l'assurance pour la plupart d'être '' protégées'' de toute poursuite, en échange de leur ralliement ou soutien politique bruyant. Quand on sait que des échéances électorales pointent à l'horizon, en particulier, l'élection présidentielle qui semble mal engagée pour Alpha Condé, candidat déclaré à sa propre succession, il paraît évident qu'il ne fera et n'autorisera rien qui pourrait le gêner un peu plus. Aussi, l'agenda politique et électoral plombe le calendrier judiciaire.

Mais, comme par ailleurs, la justice guinéenne est talonnée par la CPI qui pourrait lui retirer le dossier si celle-ci, plus vigilante et impatiente que jamais, ne constate pas une évolution dans les enquêtes, de temps en temps, le pouvoir guinéen essaie de faire la preuve de sa bonne volonté. Il prétend vouloir auditionner tous les protagonistes, témoins et acteurs pour la manifestation de la vérité. Le but de cette manœuvre médiatico-judiciare est de gagner du temps en tempérant les ardeurs d'une CPI – les familles aussi- qui manifeste de plus en plus son agacement devant les lenteurs et hésitations de la partie guinéenne.

Le Général Konaté, ''l'invité surprise''

L'ancien président de la transition qui souhaite que justice soit faite pour que cessent les violences politiques et l'impunité en Guinée, s'est invité dans le dossier, à un moment où il semblait, hélas, oublié de tous ou à tout le moins, relégué à ces affaires dont l'instruction est sans fin et sans conséquence. Il n'a pas attendu, en citoyen patriote , mais aussi en homme responsable engagé à défendre les grandes causes, que les magistrats ''souhaitent'' l'entendre pour livrer toute sa part de vérité.

L'initiative du Général que d'aucuns avaient qualifiée d'un ''énorme bluff'', voire un canular de plus dans un espace public marqué par les effets d'annonce et les reniements, explique l'intérêt nouveau porté à l'affaire du 28 septembre et aussi toute l'agitation judiciaire et médiatique à laquelle on assiste maintenant.

En tout cas, s'il y en a un qui ne craint pas d'affronter les juges et milite activement pour que le niveau d'implication et de responsabilité de chacun soit révélé dans l'affaire du 28 septembre, c'est bien le général Sékouba Konaté qui dort du sommeil du juste, du justicier, pour ainsi dire, et contrairement à beaucoup dont les nuits sont désormais hantées par la ''peur du juge, de la justice de la Haye'.

Incontestablement, il a sonné le réveil de tous et brise l'omerta sur cette autre blessure guinéenne. Peut-on le lui reprocher ?

En se rendant personnellement et sans qu'il n'ait été expressément sollicité ou forcé à le faire à la CPI, le Général Sékouba a non seulement démontré qu'il est prêt à témoigner, mais qu'il tient plus que n'importe qui à ce que la vérité soit connue. Il semble vouloir surtout que la tragédie du 28 septembre serve d'exemple à tous ceux qui croient encore en Guinée pouvoir tuer, violer, torturer en toute impunité.

Lui qui vient de terminer la lecture de ''La vérité du ministre'' d'Abdoulaye Portos, '' Prisons d'Afrique'' de Jean Paul Alata … est convaincu qu'en '' Guinée, ce sont les régimes qui changent, les hommes aussi parfois, mais le système est encore le même'', c'est-à-dire fait de démagogie politique, d'hypocrisie sociale et construit sur de nombreux crimes de sang et des ruines humaines innombrables. Malheureusement, parfois avec la complicité et le silence coupables d'une justice domestique.

Ce n'est donc pas par hasard ou caprice ou pour le mépris qu'il aurait pour la justice guinéenne que ''le tigre'' a jeté son dévolu sur la Haye. Il a agi plutôt en homme avisé, fin connaisseur de l'histoire et de la société guinéennes.

La Procureure, Fatou Ben Souda, a apprécié cette démarche citoyenne et désintéressée qui embarrasse les autorités politiques qui n'ont plus guère le choix que de lever l'immunité de leurs ''protégés''.


La justice guinéenne, à son tour, après le passage du Général à la Haye, engage une course contre la montre, afin qu'elle ne soit pas soupçonnée de faire du ''sur place'' pour ne pas ''fâcher'' le pouvoir confronté au dilemme de coopérer avec la justice ou ménager des soutiens importants. Aussi, l'audition annoncée du Général par la justice guinéenne qui s'est brutalement réveillée apparaît comme une manœuvre politicienne destinée à plaire à la Procureure de la CPI qui, à ce stade, semble avoir compris que la machine judiciaire guinéenne ne peut avancer comme elle le souhaite à cause des contingences politiques et sociales. Une conviction plus forte encore chez Sékouba Konaté qui, pour son témoignage, s'est adressé à la CPI à la disposition de laquelle il dit se tenir pour l'aider à constituer son dossier. Parce qu'il sait ''vérité en deçà de la Guinée, gros mensonge au-delà''.

Comme l'ont annoncé de brillants chroniqueurs et zélateurs du régime, et le ministre guinéen de la Justice en personne, il existe un accord ''d'entraide judiciaire'' entre le cabinet de Fatou Ben Souda et la Guinée. Pourquoi donc le pool de juges guinéens ne s'adresserait-il pas directement à la CPI, pour recueillir le témoignage de Sékouba Konaté et tous les éléments qu'il a mis à la disposition de cette juridiction ?

Au lieu d'envisager d'entendre quelqu'un dont la version est déjà connue, la justice n'est-elle pas la même partout et avant tout une question de confiance placée en ceux chargés de la rendre ?

La seule justice à laquelle croit Sékouba Konaté et devant laquelle il est prêt à répondre à tout moment et partout est celle capable de dire et défendre la vérité et de dire le Droit, en toute indépendance. Il se trouve que c'est celle de la Haye et non d'Alpha Condé qui, au lieu de se comporter en homme d’Etat, prônant l'égalité entre les citoyens et défendant la justice pour tous, se complaît dans le manteau d'éternel petit candidat aux élections. Avant de prendre une décision ou poser un acte, il pense aux électeurs perdus ou gagnés dans une perspective électorale permanente. Le Général, lui, a choisi de s'inscrire dans l’histoire, celle qui se nourrit de vérité et de justice. C'est là toute la différence.

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