Après le drame du 1er janvier dernier à la
plage de Lambanyi, une
autre plage de Conakry endeuille la Guinée. Cette fois, c'est celle de
Rogbane, à Taouyah, dans la même commune de Ratoma. A l'occasion d'un
concert organisé par la structure Moeurs Libre Prod et programmant les
groupes Banlieuzart et Instinct Killers, une bousculade a entrainé la
mort d'au moins une trentaine de personnes, dont en majorité des jeunes.
Bien qu'une enquête soit déjà en cours, beaucoup d'observateurs mettent en cause la responsabilité des organisateurs. Même si au-delà, les raisons peuvent être multiples et variées. Comme il aurait fallu s'y attendre en pareille circonstance, les autorités ayant appris le drame tard dans la nuit, ont décrété une semaine de deuil national. Dans la même dynamique, les plages sont de nouveau fermées et le directeur général de l'Agence guinéenne des spectacles (AGS) suspendu dans la foulée.
La présidence de la République a également instruit le procureur général du Tribunal de première instance de Dixinn de diligenter l'enquête devant situer les responsabilités. Enfin, conscient de la gravité de ce qui vient d'arriver, le chef de l'Etat convoque même un conseil extraordinaire des ministres à 13 heures, au palais Sékhoutouréyah.
Plus de monde qu'il n'en fallait
Justement, bien avant même les résultats de cette enquête à laquelle peu de personne accorde d'ailleurs du crédit, on pointe du doigt le peu de responsabilité des organisateurs. Ils semblent s'être davantage préoccupés de ce qu'ils tireraient du concert que de la sécurité du public qui y venait. C'est ainsi qu'ils ne se seraient nullement préoccupés de l'adéquation entre la capacité d'accueil de plage et le nombre de tickets vendus. Tous ceux qui y étaient et qui en sont heureusement revenus indemnes notent le fait qu'il y avait plus de personnes qu'il n'en fallait.
Un connaisseur du milieu, se confiant à nos confrères d'Espace FM, a indiqué que les organisateurs, cédant à la grande affluence aux abords de la plage, auraient vendu même des tickets de concerts passés. Or, cette attitude semble être la cause principale de l'accident. En effet, la bousculade dont tout le monde parle semble résulter de la rencontre entre le public qui, ayant suivi le spectacle, voulait sortir et de celui, lassé de s'arrêter dehors, voulait aussi entrer. La seule issue étant exigüe, les gens se sont bousculés, les plus faibles se retrouvant naturellement au sol, sont piétinés, asphyxiés, et tués d'inanition
L'autorité de l'Etat bafouée
Cet autre accident malheureux est aussi la preuve que l'autorité de l'Etat n'est pas toujours invoquée quand il le faut. Très souvent, à la veille d'une manifestation politique hostile au pouvoir en place, les responsables au plus haut niveau sont promptes à brandir l'argument du respect de l'autorité de l'Etat. Or, ce qui s'est passé hier à Rogbane est l'illustration parfaite de l'absence même de cette autorité ou, en tout cas, du peu de sérieux avec lequel les populations la conçoivent.
Il semble en effet que les services de sécurité n'ont aucunement été associés à l'organisation du concert. Le président de la délégation spéciale de la commune de Ratoma, même s'il n'était pas forcément convaincant, lui aussi déclare qu'il n'était pas informé. A supposer que tous aient raison, cela reviendrait à dire que les organisateurs ne sont pas passés par toutes les structures habilitées pour réunir tout ce beau monde à la plage. Et s'ils l'ont fait, ces structures, incarnation de l'autorité de l'Etat, n'auraient pas joué tout leur rôle. En gros, parce que les citoyens profitent du manque d'efficacité des institutions, quelques 34 fils du pays viennent de partir à la fleur de l'âge.
Le règne de l'impunité
Une autre responsabilité qui incombe à l'Etat, c'est celle en rapport avec l'impunité. On en parle en longueur de journée, mais la pratique ne changeant pas, voilà que le pays est de nouveau plongé dans une tragédie. En effet, rappelons-nous que le 1er janvier dernier, c'est le même type de drame que la Guinée a enregistré sur la plage, cette fois-là, de Lambanyi. Après le constat de la dizaine de victimes, on avait feint la même émotion que celle baigne aujourd'hui sur le pays. Le gouverneur de la ville de Conakry d'alors s'était empressé de suspendre la fréquentation des plages. On avait annoncé le début d'une enquête. Sept mois après, qu'en a-t-on tiré ? Rien. Qui avait fait quoi pour que l'accident se produise ? Personne ne le sait. Personne ne se souvient d'ailleurs de la date à laquelle la mesure de suspension des plages a été levée. Naturellement, personne ne saurait dire si cette mesure avait été précédée de décisions ou de recommandations allant dans le sens d'une meilleure gestion de ces sites.
Comme c'est souvent le cas dans ce pays, les enquêtes servent à calmer les victimes et les dénonciateurs. << Les enquêtes étant en cours, on ne peut rien dire >>, clame-t-on souvent. Avec le temps, tout le monde oublie et la routine reprend de plus belle. La démission parentale Mais ce qui est malheureusement arrivé sur la plage de Rogbane n'est pas de la responsabilité que de l'Etat. C'est toute la société guinéenne qui est interpellée. Parce que c'est une société pour laquelle l'argent est de plus en plus la donnée première, voire unique. C'est notamment ce qui fait que personne n'est offusqué quand, à l'occasion de concerts comme celui d'hier, on vend de la bière aux enfants dont pour certains, il est évident qu'ils n'ont pas la majorité. C'est la même chose qui sous-tend le fait qu'aucun organisateur ne penserait à exiger les cartes d'identité devant l'entrée d'un site auquel les mineurs n'ont, à priori, pas accès. Mais de tous les pans de la société guinéenne, la responsabilité des parents est à ce niveau, des plus éloquentes. Evidemment, on sait qu'il y a une sorte de crise sociétale qui fait que les parents n'ont pas toujours de prise sur les enfants. Surtout que dans certains cas, le concert d'hier était la toute première occasion de célébrer la réussite à l'examen de fin d'année. Mais quand des tout petits se mettent à trois ou quatre sur une même moto, ou qu'un gosse emprunte le véhicule de papa ou maman, pour y mettre copines et amis, c'est que l'encadrement familial est marqué par une certaine légèreté. Une démission que la précarité ambiante ne saurait, à seule, justifier ou excuser.
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