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jeudi 31 juillet 2014

Attention à la manipulation électoraliste des statistiques – La Guinée peut et doit faire mieux !

En période électorale, les politiciens partout dans le monde reposent sur des statistiques pour faire valoir leurs arguments et convaincre l’électorat. Ceci est de bonne guerre, puisque les sources sont indépendantes et les politiciens ne peuvent que donner des interprétations souvent tendancieuses pour faire prévaloir leur argument.   Mais il y a des limites aux interprétations tendancieuses car le quatrième Etat veille au grain.  Et gare au politicien pris en flagrant délit de mensonge, car sa crédibilité sera ruinée devant un électorat très discernant.  Ce n’est pas malheureusement le cas de la Guinée.  

Contrairement aux pays voisins qui s’essayent à la démocratie, la Guinée peine à produire une société civile citoyenne, un syndicat engagé, une élite religieuse au dessus de la mêlée, une Assemblée Nationale travaillant pour l’intérêt du peuple, une armée républicaine, et une justice neutre et responsable.  Il n’y a donc pas de garde-fous surs pour réduire les dérives du pouvoir, puisque tous ceux qui ont la capacité de servir de gardiens de la démocratie ont préféré se ranger du coté du pouvoir pour ne pas être exclus de la mangeoire.  L’absence d’hommes et de femmes «du juste milieu » a contribué à créer un vide qui a été vite rempli par les extrémistes de tous bords.  Par conséquent le débat sur les sujets importants de la nation est devenu un combat de caniveau ou tout est permis pour gagner une avance sur le camp adverse. C’est pourquoi le gouvernement ne rechigne plus à manipuler les statistiques à des fins électoralistes. A écouter les déclarations roses du gouvernement on croira que tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes.   

Malheureusement, les affirmations du gouvernement sur la performance économique de la Guinée et les perspectives de développement sont loin de refléter la réalité.   Au contraire, les gouvernants et leurs alliés semblent se vautrer dans la médiocrité, en contentant du minimum possible et en portant la responsabilité de l’échec sur ceux qui ne sont plus aux commandes.  Ainsi, le moindre petit résultat, considéré ordinaire dans tout pays africain (comme le PPTE, une croissance économique de moins de 4%, une inflation de plus 9%) est magnifié et servi au peuple comme un haut fait historique du Président Alpha Condé. Le manque d’ambition pour la Guinée est en train d’assoir une culture de médiocrité qui reste de clouer la Guinée dans le sous-développement.  Nous vous proposons ci-dessous une analyse sur les points essentiels.

Gestion macroéconomique : beaucoup de bruits de reformes…mais la croissance reste décevante

Si le gouvernement s’en sort bien avec la stabilisation de la monnaie, il faut noter que les reformes macroéconomiques ont produit des résultats peu lisibles et visibles pour les guinéens.  Normalement, l’objectif de la reforme économique devrait être de relancer la croissance économique et créer des emplois. Sur ce critère, les efforts du gouvernement n’ont pas eu un impact positif significatif.  C’est facile d’accuser  les anciens Premiers Ministres, mais   le gouvernement a une grande part de responsabilité.  Sa mauvaise gestion du secteur minier, la promulgation à la hâte d’un code minier anti-investissement, le déficit de dialogue politique n’ont  pas créé un climat propice à la relance de la croissance.

Selon les statistiques du FMI sur l’évolution économique récente de la Guinée, la croissance du PIB avait chuté à une valeur négative (-0,3%) en 2009 sous le régime Dadis.  La Transition de Konaté avait renversé la vapeur en rajoutant 2,2% au taux de Dadis, portant ainsi la croissance du PIB à 1,9% en 2010.  Le  régime d’Alpha Condé, malgré l’espoir qu’il a suscité,  n’a pas pu encore rajouter plus de 2 points de pourcentage au taux de croissance dont il a hérité (à noter que Konaté avait rajouté 2,2% sur le taux de Dadis).  La croissance du PIB avait donc  atteint 3,9% (soit 2% de plus que le taux de 1,9% de Konaté) en 2011.  Ce résultat de 2% de croissance additionnelle par rapport au régime précédent reste  à ce jour la plus haute performance du régime Condé en matière de croissance économique.  Depuis ce résultat qu’on peut qualifier de piètre en 2011, la croissance du PIB a entamé une phase de déclin durant deux années consécutives sous le magistère d’Alpha Condé. Le taux de croissance chute d’abord  à 3,8% en 2012 et ensuite à 2,5% en 2013.  Cette récession économique qui ne dit pas son nom se passe au milieu du brouhaha du changement, des victoires macroéconomiques sans précédent et les satisfécits du FMI sur de prétendus progrès économiques qui ne se traduisent point en résultats concrets pour le pays et sa population.  

Les partisans du gouvernement ne tarissent pas d’arguments pour excuser la piètre performance. Et pourtant, les gouvernements des pays voisins de la Guinée (qui ont tous pris  fonction entre 2010 et 2013) ont réussi à impulser un taux de croissance beaucoup plus important à leur économie, malgré les défis auxquels ils étaient confrontés.  Alors que la Guinée se contentait de 2,5% de croissance en 2013, la Sierra Leone atteignait 16,3% ; la Cote  d’Ivoire 8,1% ; le Liberia 8% ; le Senegal 4%. Les exceptions sont la Guinée Bissau et le Mali qui étaient en situation d’instabilité ou de guerre en 2013, et qui ont par conséquent enregistré une croissance au dessous de leur taux normal.  En Guinée, le gouvernement trouve des excuses, et accuse notamment  les manifestations politiques « qui empêchent le président de travailler » et l’Ebola.  Le FMI en complicité avec le gouvernement a repris à son propre compte ces excuses.  Comme ses projections de « dopage économique » de la Guinée par le secteur minier en 2011 se sont révélées fausses, le FMI mise  encore une forte croissance l’année prochaine sur la seule base des effets d’annonce du gouvernement portant sur des méga projets miniers qui ne sont pas lancés encore. Pour trouver des motifs de satisfaction  malgré la piètre performance, le représentant du FMI, Monsieur Abdel Aziz Wann, a dû réchauffer le plat déjà froid du PPTE et la facilité élargie de crédit en déclarant: « le programme conclu avec les institutions de Bretton Woods est bien respecté et tous les critères sont atteints…C’est la première fois que la Guinée mène à bien un programme économique »  Et voilà, la messe est dite !  Le  FMI est satisfait des maigres résultats,  ce qui fait que personne ne doit critiquer contre-performance économique grave qui voit le pays reculer et sa population se paupériser à une vitesse jamais connue auparavant.  

Réduire le déficit budgétaire sans réduire les dépenses : qui trompe qui ?

C’est vrai que les autorités monétaires guinéennes ont fait un grand effort pour stabiliser la monnaie (ils ont été aides en cela par l’injection importante de 700 millions de dollars de Rio), mais l’inflation guinéenne est moins monétaire que budgétaire.  C’est le déficit budgétaire qui amené le gouvernement à recourir à la planche à billet. Les autorités monétaires ne font qu’exécuter les ordres. D’ailleurs de nombreuses études ont démontré que l’impact de la politique monétaire sur l’inflation n’est pas déterminant dans les économies africaines. C’est plutôt le déficit budgétaire (quand le gouvernement dépense plus que ce qu’il perçoit en revenue) qui joue un rôle primordial sur l’évolution du taux l’inflation. 

C’est durant la parenthèse Dadis-Konaté que la Guinée a connu un déficit budgétaire phénoménal, avec une augmentation de plus de 300%.  En effet, le déficit budgétaire est passé de 1994 milliards à 6500 milliards de francs guinéens entre décembre 2008 et décembre 2010, alors que l’inflation grimpait à 15,5%.  Ceci était une anomalie extraordinaire (du jamais vu dans les régimes précédents) que tout successeur aurait pu corriger sans trop de peine.  C’est ce que le  régime Condé a fait avec l’aide du FMI, en éliminant les causes de l’anomalie et en prenant certaines mesures de gestion des finances publiques. Parmi ces mesures, il y avait l’unicité des caisses de l’Etat, l’amélioration du recouvrement fiscal, la révision à la baisse de la subvention du prix des carburants, et intégration des ressources minières exceptionnelles de Rio Tinto au budget rectificatif 2011 et au budget 2012. Par contre, il n’y a pas eu de mesure de réduction de train de vie de l’Etat, comme cela se fait habituellement.  En fait le gouvernement a réalisé une cure d’amaigrissement avec un régime gras.  Il n’y a pas eu de choix difficiles, de sacrifice ou de serrement de ceinture.  Il n’y a pas eu de politique d’austérité budgétaire, de contrôle strict dans les administrations, de déflation de cadres ou de dévaluation de la monnaie.  Au contraire les dépenses publiques n’ont fait que croitre au moment de la période correspondant à la réduction budgétaire.  

A titre d’exemple, durant la période de réduction du déficit budgétaire, le chef de l’Etat mettait près de 36000 tonnes de riz à la disposition des populations à un prix de 160.000 francs guinéens par sac de 50 kg et accordait en même temps une subvention à hauteur de 129 milliards par mois sur les produits pétroliers, un fonds de 20 milliards de francs guinéens pour l’entreprenariat féminin et un autre de 10 milliards pour la promotion de l’emploi des jeunes.  En plus le gouvernement dépensait follement pour la campagne agricole, finançait ses campagnes politiques, et mettait la bagatelle de 1 milliard de dollars dans l’électrification de Conakry, le tout sans résultats probants.   D’autre part, les voyages coûteux du Chef de l’Etat ainsi que ceux de ses nombreux ministres n’ont fait qu’augmenter.   Comment est-on arrivé donc à une réduction significative du déficit ? Le secret réside probablement dans les nombreux deals opaques permettant des rentrées et sorties extrabudgétaires de fonds occultes alors que le FMI regarde ailleurs. Ainsi, les largesses du chef de l’Etat, le prêt Paladino, une partie des 700 millions de Rio et d’autres fonds opaques n’empruntent pas le circuit normal  des dépenses et de ce fait n’affectent pas  le déficit budgétaire officiel.  

Baisse record de l’inflation…du niveau de troisième taux le plus élevé d’Afrique à celui de   quatrième taux le plus élevé d’Afrique!

Le gouvernement célèbre avec fanfare ce qu’il considère comme « la baisse record de l’inflation » qui n’est en réalité que le fait ordinaire de réduire l’inflation de plus de 2 points par rapport au niveau de 2013, ce qui ramène l’inflation de 12% à 9,9% en Mai 2014, puis à 9,6% récemment.  Même a ce niveau d’inflation, il n y a pas de quoi pavoiser.  En 2013, tous les pays africains avaient  réussi à ramener leur taux d’inflation à un chiffre (et le maintenir au-dessous de 9%), excepté un groupe de 5 pays dont la Guinée fait partie.  En ce qui concerne le taux d’inflation à un chiffre, tous les pays africains l’avaient atteint en 2013, à l’exception de quatre pays dont la Guinée. S’il donc faut célébrer un exploit, c’est la progression du taux d’inflation de la Guinée du rang de troisième taux le plus élevé d’Afrique en 2013, à celui de quatrième taux le plus élevé d’Afrique en Juillet 2014. Pour un « record » à célébrer, c’en est vraiment un !

D’autre part, les affirmations gratuites d’inflation rampante sous les régimes précédents sont sans fondement. Selon toujours les statistiques du FMI, le taux d’inflation de la Guinée était à « un chiffre » durant la majeure partie du règne de Conté.  Pendant une dizaine d’années, entre 1996 et 2005, le régime Conté a maintenu un taux moyen d’inflation de 8,6%, soit une meilleure performance que celle qui fait danser le gouvernement actuellement.  C’est vers la fin de la vie de Conté, alors qu’il était  trop rongé par la maladie pour gérer le pays, que l’inflation avait atteint deux chiffres, pour culminer  à 34,6% en 2006.  Cependant, durant les deux années qui ont suivi, le gouvernement avait pris des mesures idoines pour juguler l’inflation galopante.  Grâce à ces mesures, le taux s’est rétréci graduellement pour tomber à  18,4% en 2008 à la mort de Conté (soit une réduction du taux d’inflation de 16,2 points de pourcentage en deux ans, et c’est ce qu’on pourrait appeler un record !). En 2009, sous la transition de Dadis, la chute du taux d’inflation initié avec Conté a continué jusqu’à atteindre le plus bas niveau jamais atteint par la Guinée depuis plus d’une décennie (taux de  4,7%).  Par la suite, c’est l’utilisation irresponsable de la planche à billet par le régime Konaté-Doré qui va faire remonter l’inflation à 15,5% en 2010.  En 2011, sous le magistère d’Alpha Condé, le taux d’inflation continue de galoper pour atteindre 21%, et c’est en ce moment que le régime Condé redouble d’efforts  pour contrôler (sur papier) la montée fulgurante des prix. Le crédit du régime d’Alpha Condé est donc d’avoir ramené le taux d’inflation à environ 5 points de pourcentage au-dessous du taux de 15.5% hérité de Konaté-Doré, après trois ans d’efforts.  C’est ce qui est servi au peuple comme un record sans précédent en Guinée grâce à la clairvoyance du Professeur.

La baisse attendue de l’inflation (qui fut facilitée d’ailleurs par la faible demande des entreprises et des ménages suite au départ des miniers) est devenue soudainement un motif d’autosatisfaction du gouvernement.  Son porte-parole Damantang Camara s’est récemment fendu d’un communiqué triomphaliste dans lequel il affirme : « il s’agit d’une baisse record en Guinée… après des décennies de régimes autoritaires et de mauvaise gestion …sous l’impulsion du Président Alpha Condé et de son Gouvernement ». Continuant la propagande gouvernementale, il explique que  cette réussite record est atteinte « grâce à la mise en œuvre d’une politique monétaire rigoureuse et un exploit dans la gestion des finances publiques. »  Son homologue à la BCRG, qui, comme on l’a dit a peu d’impact sur la maitrise de l’inflation vu qu’il ne contrôle pas le déficit budgétaire, n’en finit pas de faire les tours de medias pour pontifier sur son nouvel exploit.  Dans sa propagande, le gouvernement est aidé par le représentant du FMI, Monsieur Aziz Wan qui aura la primeur d’annoncer la bonne nouvelle aux Guinéens lors d’une  conférence de presse récente.  Il clame comme si un miracle venait de se produire: « la Guinée a réussi à ramener son taux d’inflation à un chiffre ! » alors que le taux d’inflation inférieur à 10% en 2013 est la règle plutôt que l’exception en Afrique.  A titre comparatif, voici le niveau d’inflation chez les voisins de la Guinée qui jouissent en plus d’un taux plus élevé de croissance du PIB selon les données du FMI: Cote d’Ivoire (2,6%), Guinée Bissau (0.6%), Liberia (7,6%), Mali (-0.6%), Sierra Leone (9,8%). En dehors de la Guinée, seuls le Ghana, la Guinée Equatoriale, et Malawi avaient un taux d’inflation de deux chiffres.    

Quel progrès significatif est donc célébré avec un taux d’inflation de 9,9% ? D’ailleurs, l’inflation baisse normalement quand la croissance économique s’affaiblit, comme c’est le cas en Guinée.  Tous les pays africains  qui avaient enregistré un taux faible de croissance égal ou inferieur à 2,5% (le taux de la Guinée) ont vu automatiquement leur taux d’inflation chuter et se maintenir au niveau d’un chiffre (la seule exception est l’Eritrée).  C’est le cas du Mali qui enregistre une inflation négative (-0,6%) avec la faible croissance de 1,7%.  La même tendance est observée pour l’Afrique du Sud (1,9% de croissance et 5,8% d’inflation), et le Cap Vert (0.5% de croissance et 1,5% d’inflation). La Guinée est déjà en stagnation économique depuis deux ans, et c’est tout à fait normal que le taux d’inflation baisse s’il n’y pas un choc externe (la montée des couts du pétrole par exemple) causant une inflation des coûts des facteurs.  Ce serait tout à l’honneur du gouvernement si le pays connaissait une croissance économique  de deux chiffres (comme en Sierra Leone et bientôt en Côte d’Ivoire) et un taux d’inflation à un chiffre.  Mais en Guinée, on célèbre la baisse de l’inflation quand l’économie ne progresse que de 2,5%. 

Réduction de la pauvreté : confirmation de la paupérisation progressive de la Guinée

La Guinée est l’un des rares pays qui ait régressé cette année dans son classement mondial sur le développement humain selon le dernier rapport du PNUD. La Guinée recule même au sein du peloton des 10 lanternes rouges mondiales en matière de développement humain, troquant la 178ème place qu’elle occupait 2012 pour la 179ème place cette année, confirmant ainsi la paupérisation progressive de la population et la tendance progressive du pays vers la place de pays le plus démuni de la terre malgré son fabuleux potentiel minier, agricole, énergétique et humain.  Ce n’est pas pour rien que certains observateurs non sans ironie surnomment la Guinée « le pays riche le plus pauvre de la terre ».  

Le Président de la république et du « RPCé » aurait finalement raison de se faire appeler « le Président des démunis ».  Sous son magistère, le PNUD considère que son pays est devenu plus démuni que ses petits voisins à peine sortis de guerre (Guinée Bissau et Libéria), sans parler des grands voisins comme le Sénégal et de la Cote d’Ivoire.   Malgré ses mégaprojets miniers et multiples chantiers annoncés avec fanfare, la Guinée est le pays non sahélien le plus arriéré et démuni de l’Afrique Occidentale.   Avec un score de 0,355 sur 1.000, la Guinée est non seulement en dessous de la moyenne sous régionale, mais aussi la moyenne africaine (0,475) et mondiale (0,694).  Les seuls pays où l’indice du développement humain est inférieur à celui de la Guinée sont notamment des pays affectés par les séquelles de la guerre (notamment la RCA, l’Eritrée, le Mali, la  RDC, la Sierra Leone) ou des pays sahéliens soumis à des conditions climatiques extrêmes (Mali, Burkina Faso, Tchad, Niger).  

Pourtant, les défis de la Guinée ne paraissent pas insurmontables, même si le nouveau régime se plaint toujours d’avoir trouvé « un pays sans Etat » et continue à rendre les anciens premiers ministres dans l’Opposition responsables de tous les maux du pays (Lansana Conté, Dadis et Konaté n’y sont pour rien).  Par exemple, la RDC est un pays beaucoup plus grand complexe qui subit toujours des conflits armés dans certains endroits, mais arrive à faire des progrès significatifs en matière de développement humain. La Cote d’Ivoire se remet à peine d’une guerre civile mais renoue avec le développement.  Le Mali ne contrôle toujours pas totalement son territoire, Le Liberia est en phase post-conflit mais tous les deux pays se classent mieux que la Guinée.  Les gouvernements de l’Afghanistan, du Soudan,  du Madagascar, de la Palestine, de l’Egypte, de la Lybie, de l’Iraq connaissent des situations infiniment plus sérieuses et complexes et ne peuvent pas se permettre les excuses sempiternelles d’avoir hérité « un pays sans Etat » ou d’avoir en face une opposition politique non armée qui « empêche le président  de travailler », ou d’anciens premiers ministres « qui ont mis le pays à genoux ».  Pourtant tous ces pays  réussissent mieux à subvenir aux nécessités de base de leur population, en assurant au moins l’eau, l’électricité et la sécurité des biens et des personnes. 

Malgré les effets d’annonce et les listes de chantiers sans lendemain égrenées à longueur de journée par la RTG, la Guinée peut et doit faire mieux. Selon les statistiques du PNUD, environ 70% de la population vit  toujours au-dessous du seuil de 2 dollars par jour et a une espérance de vie de 54 ans (la moyenne en Afrique est de 55 ans).  Ce taux se compare à 12% au Ghana et 32% en Cote d’ivoire.   Les facteurs qui contribuent à la pauvreté des Guinéens sont le déficit d’éducation (34,4%), de services de base (43,3%) et de sante (22,3%).   L’indice de satisfaction des Guinéens  et très bas (3,7/10) et à peine 1 Guinéen sur 5 se dit satisfait de la qualité de la sa vie.  En matière d’éducation, des pesanteurs socioculturelles contribuent au maintien de pauvreté.  Par exemple, les régions les plus pauvres du pays sont celles qui enregistrent les taux de croissance démographiques les plus élevés.  Au lieu de sensibiliser ses zones, le régime les traite comme un vivier électoral pour se maintenir au pouvoir.

Réformes politiques et institutionnelles : le changement ne semble pas marcher, il faut le changer

L’année dernière, la Guinée occupait le 164e rang sur 182 pays, dans l’Indice de perception de la corruption publié par Transparency International (TI). Les affidés du pouvoir font croire que « le changement est en marche » avec des réformes en profondeur menées par le gouvernement.  Mais à regarder de près, les reformes ne sont pas sérieuses dans la majorité des cas.  Elles consistent à prendre des mesures isolées souvent incohérentes, soit pour les besoins de la propagande électoraliste ou pour la consommation extérieure, pour faire plaisir aux bailleurs de fonds en « faisant semblant » de reformer. C’est pourquoi la plupart des grands chantiers de réforme tardent à produire des résultats tangibles.  Les Etats Généraux de la justice n’ont pas amélioré la justice (bien au contraire).  Le Ministre des Droits de l’Homme donne l’impression de celui qui prêche dans le désert, alors que les libertés publiques continuent d’être bafouées.  La création du Conseil Supérieur de la Magistrature tarde à se traduire en indépendance effective de la justice.  L’Unicité des caisses n’a pas empêché la gabegie à grande échelle (dont de 1 milliard de dollars au sein de l’EDG, sans compter les multiples deals opaques ou extra budgétaires).  Les signatures hâtives de contrats miniers de projets multimilliardaires se trouvent toujours au niveau des effets d’annonce.  Les études de faisabilité ne sont pas achevées (cas de Simandou) et aucun projet minier n’a entamé la phase de construction. Au contraire on assiste au désinvestissement dans le secteur avec le départ de plusieurs sociétés minières.  Le barrage Kaléta risque d’avoir le succès éphémère de Garifiri à moins que le gouvernement engage des réformes en profondeur du secteur énergétique, résolve les problèmes de réseau, et mobilise les investissements pour le couplage Kaléta-Souapiti.  On est loin du compte.  Les autres projets en chantier ne pourraient produire des résultats probants que si le gouvernement arrivait à s’attaquer à sa faiblesse principale: les nominations politico-ethniques aux postes de responsabilité de gestion des projets.  

Il est particulièrement intéressant de noter le fossé entre les déclarations du gouvernement et les évaluations indépendantes des organisations internationales sur le progrès des reformes en Guinée.  En effet, la Banque mondiale effectue chaque année une évaluation de la qualité des améliorations des politiques et institutions publiques de chaque pays afin de jauger le sérieux des reformes, évaluer le risque de gouvernance et fixer le plafond de l’aide financière à accorder à un pays. Cette évaluation appelée « Country Policy and Institutional Assessment » ou CPIA, au contraire des satisfécits et autres déclarations diplomatiques, a des implications financières pour le financement du développement.  Un score élevé implique une enveloppe de financement IDA plus conséquente pour des projets d’amélioration  des infrastructures, la santé, et l’éducation.  Le CPIA se base  sur le progrès mesuré de 16 indicateurs du développement, dans quatre domaines : la gestion économique, les politiques structurelles, les politiques d’insertion sociale et d’équité, ainsi que la gestion et les institutions du secteur public. Les pays sont notés sur une échelle allant de 1 (note la plus faible) à 6 (note la plus élevée) pour chaque indicateur.   La Guinée a fait quelques progrès macroéconomiques sur papier, mais cela n’a pas été suffisant pour susciter une amélioration sensible de son score déjà très bas et en dessous de la moyenne en Afrique.  Le régime Condé n’a pas pu encore réaliser une amélioration de plus de 0,1 par an sur le score dont il a hérité.  Le score se situe actuellement à 3.0/6 contre la moyenne de 3,2/6 pour l’Afrique. 

Le rapport du CPIA a reconnu cette année 8 pays africains qui ont amélioré sensiblement leur politique, et la Guinée ne figure pas sur la liste. Le Rwanda, le Cap Vert et le Kenya sont les plus grands réformateurs du continent (score de 3,9/6) suivi du Burkina Faso, le Sénégal, et la Tanzanie (score de 3,8).  Parmi les pays sortant de difficulté, la RDC a impressionné avec une avancée notable de score cette année, alors que la Cote d’Ivoire continue d’améliorer son score chaque année avec des réformes en profondeur, ce qui lui permet d’attirer des financements bi- et multilatéraux importants. 

Réduction de la dette : l’obtention du PPTE comme une fin (politique) en soi ? 

Le fait d’atteindre le point de décision du PPTE continue de figurer en bonne place dans le palmarès économique du gouvernement, même si la Guinée fut la dernière de la sous région à être admise…grâce à des dérogations de dernière minute.  Mais au lieu de tirer avantage du PPTE et relancer l’économie du pays, le gouvernement exploite la réduction de la dette (normalement acquise à presque tous les pays pauvres qui en ont fait la demande) comme une fin en soi.  Aucun gouvernement africain aujourd’hui ne mentionne l’obtention du PPTE dans son palmarès.  Le Libéria, la Cote d’Ivoire, le Sénégal, le Mali, la Sierra Leone, le Ghana ont longtemps dépassé le PPTE et se focalisent sur des défis de la période post-PPTE : relancer la croissance, créer de l’emploi, fournir les services de base.  Mais en Guinée le régime Condé continue toujours à brandir le PPTE comme l’un de ses acquis économiques majeurs.  

A titre d’exemple, la Cote d’Ivoire avait eu son PPTE presqu’en même temps que la Guinée.  Depuis, le pays a renoué avec la croissance, stimulé sa production agricole et minière et redonné confiance aux investisseurs.  L’agence de notation Moody vient de donner la note de crédit B1 au pays, ce qui lui permet de faire sa rentrée dans le marché des capitaux pour lever 500 millions d’euros en emprunts obligataires. En Guinée, la réduction de dette est masquée par des dettes opaques extra budgétaires, des dettes entre amis contractées dans des conditions opaques avec des sociétés liées au cercle présidentiel.  Par exemple le montant d’un milliard de dollars dépensé sans résultats probants pour donner la lumière à Conakry inclue des dettes avec une petite société malienne et une société brésilienne.

Conclusion

Les archives des Etats-Unis rapportent que le Président américain Franklin Roosevelt  avait une fois écouté un briefing de son Secrétaire d’Etat Sumner Welles sur les exactions du dictateur nicaraguayen Somoza contre sa population.  Somoza était exécrable, mais il servait bien les intérêts des Etats-Unis.  Face  aux objections de Roosevelt, Welles avait rassuré en s’exclamant: « he’s a bastard, but he’s our bastard » (littéralement : « c’est un salaud, mais c’est notre salaud »).  Ce principe a guidé la politique extérieure des Etats-Unis tout le long de la guerre froide, amenant parfois le pays à soutenir des dictateurs sanguinaires comme Somoza, Sadam Hussein, le Shah d’Iran, Noriega et tant d’autres.
 
La Guinée n’est pas en guerre froide avec une puissance hégémonique extérieure, mais se trouve en guerre larvée avec elle-même au nom de l’hégémonie d’une ethnie par rapport à une autre.  Son élite a perdu le sens national pour se ranger dans un camp ou l’autre et de se faire le défenseur de l’indéfendable conformément au principe de Roosevelt : « he’s a bastard, but he’s our bastard ».  Le manque d’unité de l’élite pour dénoncer les erreurs et tares de la classe politique dans l’intérêt supérieur du pays a créé un vide qui  a été vite occupé par les opportunistes et extrémistes de tous bords. Un leader n’est plus jugé sur sa performance, mais sur le fait d’être chef de file d’un groupe ethnique. Par conséquent, le premier venu le plus hardi peu s’imposer comme chef, menant à l’épanouissement de la culture de la médiocrité. La solidarité du groupe assure le manque d’imputabilité.
    
La  polarisation du débat sur une base souvent ethno-politique est en train de cimenter les fondations d’une culture de médiocrité et d’impunité dont le pays aura du mal à se relever. L’implication de la culture de médiocrité est qu’elle détourne des résultats qui comptent pour la Nation et  occupe les citoyens dans des combats futiles pour la victoire de leur parent. Le Chef de l’Etat est alors obligé d’être un chef de clan et de donner constamment des assurances a la base ethnique qui l’a porte au porte au pouvoir qu’il fera avancer leur « causa nostras ». Même s’il est mauvais, la « causa nostras » va le soutenir et le protéger pour leur propre intérêt.  

Il est grand temps pour que les Guinéens pensent à lutter pour l’avenir de leurs enfants plutôt que de préserver le pouvoir et la gloire personnelle d’un paulicien. S’ils aspirent au bonheur matériel, ils doivent exiger de leurs gouvernants des résultats concrets.  A l’instar des peuples des pays avancés, les Guinéens doivent réaliser que la meilleure façon d’aider leur parent en politique est d’exiger de lui des résultats et de le sanctionner si nécessaire.  Qui amine bien châtie bien, dit-on. En l’absence de sanctions ou de récriminations, le politicien aura carte blanche d’occuper des postes qu’il ne mérite pas sans être obligé de travailler pour le bien être de la population.  Et il va s’entourer de médiocres (souvent de son groupe ethnique) capables de chanter ses louanges et de mentir pour lui.  Le jour ou le politicien saura que le principe du « he’s a bastard, but he’s our bastard » ne s’applique plus, il travaillerait plus dur pour les intérêts du plus grand nombre de citoyens, pas seulement de sa « causa nostras ».  

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