En
période électorale, les politiciens partout dans le monde reposent sur
des statistiques pour faire valoir leurs arguments et convaincre
l’électorat. Ceci est de bonne guerre, puisque les sources sont
indépendantes et les politiciens ne peuvent que donner des
interprétations souvent tendancieuses pour faire prévaloir leur
argument. Mais il y a des limites aux interprétations tendancieuses
car le quatrième Etat veille au grain. Et gare au politicien pris en
flagrant délit de mensonge, car sa crédibilité sera ruinée devant un
électorat très discernant. Ce n’est pas malheureusement le cas de la
Guinée.
Contrairement aux pays voisins qui
s’essayent à la démocratie, la Guinée peine à produire une société
civile citoyenne, un syndicat engagé, une élite religieuse au dessus de
la mêlée, une Assemblée Nationale travaillant pour l’intérêt du peuple,
une armée républicaine, et une justice neutre et responsable. Il n’y a
donc pas de garde-fous surs pour réduire les dérives du pouvoir, puisque
tous ceux qui ont la capacité de servir de gardiens de la démocratie
ont préféré se ranger du coté du pouvoir pour ne pas être exclus de la
mangeoire. L’absence d’hommes et de femmes «du juste milieu » a
contribué à créer un vide qui a été vite rempli par les extrémistes de
tous bords. Par conséquent le débat sur les sujets importants de la
nation est devenu un combat de caniveau ou tout est permis pour gagner
une avance sur le camp adverse. C’est pourquoi le gouvernement ne
rechigne plus à manipuler les statistiques à des fins électoralistes. A
écouter les déclarations roses du gouvernement on croira que tout est
pour le mieux dans le meilleur des mondes.
Malheureusement, les affirmations du
gouvernement sur la performance économique de la Guinée et les
perspectives de développement sont loin de refléter la réalité. Au
contraire, les gouvernants et leurs alliés semblent se vautrer dans la
médiocrité, en contentant du minimum possible et en portant la
responsabilité de l’échec sur ceux qui ne sont plus aux commandes.
Ainsi, le moindre petit résultat, considéré ordinaire dans tout pays
africain (comme le PPTE, une croissance économique de moins de 4%, une
inflation de plus 9%) est magnifié et servi au peuple comme un haut fait
historique du Président Alpha Condé. Le manque d’ambition pour la
Guinée est en train d’assoir une culture de médiocrité qui reste de
clouer la Guinée dans le sous-développement. Nous vous proposons
ci-dessous une analyse sur les points essentiels.
Gestion macroéconomique : beaucoup de bruits de reformes…mais la croissance reste décevante
Si le gouvernement s’en sort bien avec
la stabilisation de la monnaie, il faut noter que les reformes
macroéconomiques ont produit des résultats peu lisibles et visibles pour
les guinéens. Normalement, l’objectif de la reforme économique devrait
être de relancer la croissance économique et créer des emplois. Sur ce
critère, les efforts du gouvernement n’ont pas eu un impact positif
significatif. C’est facile d’accuser les anciens Premiers Ministres,
mais le gouvernement a une grande part de responsabilité. Sa mauvaise
gestion du secteur minier, la promulgation à la hâte d’un code minier
anti-investissement, le déficit de dialogue politique n’ont pas créé un
climat propice à la relance de la croissance.
Selon les statistiques du FMI sur
l’évolution économique récente de la Guinée, la croissance du PIB avait
chuté à une valeur négative (-0,3%) en 2009 sous le régime Dadis. La
Transition de Konaté avait renversé la vapeur en rajoutant 2,2% au taux
de Dadis, portant ainsi la croissance du PIB à 1,9% en 2010. Le régime
d’Alpha Condé, malgré l’espoir qu’il a suscité, n’a pas pu encore
rajouter plus de 2 points de pourcentage au taux de croissance dont il a
hérité (à noter que Konaté avait rajouté 2,2% sur le taux de Dadis).
La croissance du PIB avait donc atteint 3,9% (soit 2% de plus que le
taux de 1,9% de Konaté) en 2011. Ce résultat de 2% de croissance
additionnelle par rapport au régime précédent reste à ce jour la plus
haute performance du régime Condé en matière de croissance économique.
Depuis ce résultat qu’on peut qualifier de piètre en 2011, la
croissance du PIB a entamé une phase de déclin durant deux années
consécutives sous le magistère d’Alpha Condé. Le taux de croissance
chute d’abord à 3,8% en 2012 et ensuite à 2,5% en 2013. Cette
récession économique qui ne dit pas son nom se passe au milieu du
brouhaha du changement, des victoires macroéconomiques sans précédent et
les satisfécits du FMI sur de prétendus progrès économiques qui ne se
traduisent point en résultats concrets pour le pays et sa population.
Les partisans du gouvernement ne
tarissent pas d’arguments pour excuser la piètre performance. Et
pourtant, les gouvernements des pays voisins de la Guinée (qui ont tous
pris fonction entre 2010 et 2013) ont réussi à impulser un taux de
croissance beaucoup plus important à leur économie, malgré les défis
auxquels ils étaient confrontés. Alors que la Guinée se contentait de
2,5% de croissance en 2013, la Sierra Leone atteignait 16,3% ; la Cote
d’Ivoire 8,1% ; le Liberia 8% ; le Senegal 4%. Les exceptions sont la
Guinée Bissau et le Mali qui étaient en situation d’instabilité ou de
guerre en 2013, et qui ont par conséquent enregistré une croissance au
dessous de leur taux normal. En Guinée, le gouvernement trouve des
excuses, et accuse notamment les manifestations politiques « qui
empêchent le président de travailler » et l’Ebola. Le FMI en complicité
avec le gouvernement a repris à son propre compte ces excuses. Comme
ses projections de « dopage économique » de la Guinée par le secteur
minier en 2011 se sont révélées fausses, le FMI mise encore une forte
croissance l’année prochaine sur la seule base des effets d’annonce du
gouvernement portant sur des méga projets miniers qui ne sont pas lancés
encore. Pour trouver des motifs de satisfaction malgré la piètre
performance, le représentant du FMI, Monsieur Abdel Aziz Wann, a dû
réchauffer le plat déjà froid du PPTE et la facilité élargie de crédit
en déclarant: « le programme conclu avec les institutions de Bretton
Woods est bien respecté et tous les critères sont atteints…C’est la
première fois que la Guinée mène à bien un programme économique » Et
voilà, la messe est dite ! Le FMI est satisfait des maigres résultats,
ce qui fait que personne ne doit critiquer contre-performance
économique grave qui voit le pays reculer et sa population se paupériser
à une vitesse jamais connue auparavant.
Réduire le déficit budgétaire sans réduire les dépenses : qui trompe qui ?
C’est vrai que les autorités monétaires
guinéennes ont fait un grand effort pour stabiliser la monnaie (ils ont
été aides en cela par l’injection importante de 700 millions de dollars
de Rio), mais l’inflation guinéenne est moins monétaire que budgétaire.
C’est le déficit budgétaire qui amené le gouvernement à recourir à la
planche à billet. Les autorités monétaires ne font qu’exécuter les
ordres. D’ailleurs de nombreuses études ont démontré que l’impact de la
politique monétaire sur l’inflation n’est pas déterminant dans les
économies africaines. C’est plutôt le déficit budgétaire (quand le
gouvernement dépense plus que ce qu’il perçoit en revenue) qui joue un
rôle primordial sur l’évolution du taux l’inflation.
C’est durant la parenthèse Dadis-Konaté
que la Guinée a connu un déficit budgétaire phénoménal, avec une
augmentation de plus de 300%. En effet, le déficit budgétaire est passé
de 1994 milliards à 6500 milliards de francs guinéens entre décembre
2008 et décembre 2010, alors que l’inflation grimpait à 15,5%. Ceci
était une anomalie extraordinaire (du jamais vu dans les régimes
précédents) que tout successeur aurait pu corriger sans trop de peine.
C’est ce que le régime Condé a fait avec l’aide du FMI, en éliminant
les causes de l’anomalie et en prenant certaines mesures de gestion des
finances publiques. Parmi ces mesures, il y avait l’unicité des caisses
de l’Etat, l’amélioration du recouvrement fiscal, la révision à la
baisse de la subvention du prix des carburants, et intégration des
ressources minières exceptionnelles de Rio Tinto au budget rectificatif
2011 et au budget 2012. Par contre, il n’y a pas eu de mesure de
réduction de train de vie de l’Etat, comme cela se fait habituellement.
En fait le gouvernement a réalisé une cure d’amaigrissement avec un
régime gras. Il n’y a pas eu de choix difficiles, de sacrifice ou de
serrement de ceinture. Il n’y a pas eu de politique d’austérité
budgétaire, de contrôle strict dans les administrations, de déflation de
cadres ou de dévaluation de la monnaie. Au contraire les dépenses
publiques n’ont fait que croitre au moment de la période correspondant à
la réduction budgétaire.
A titre d’exemple, durant la période de
réduction du déficit budgétaire, le chef de l’Etat mettait près de 36000
tonnes de riz à la disposition des populations à un prix de 160.000
francs guinéens par sac de 50 kg et accordait en même temps une
subvention à hauteur de 129 milliards par mois sur les produits
pétroliers, un fonds de 20 milliards de francs guinéens pour
l’entreprenariat féminin et un autre de 10 milliards pour la promotion
de l’emploi des jeunes. En plus le gouvernement dépensait follement
pour la campagne agricole, finançait ses campagnes politiques, et
mettait la bagatelle de 1 milliard de dollars dans l’électrification de
Conakry, le tout sans résultats probants. D’autre part, les voyages
coûteux du Chef de l’Etat ainsi que ceux de ses nombreux ministres n’ont
fait qu’augmenter. Comment est-on arrivé donc à une réduction
significative du déficit ? Le secret réside probablement dans les
nombreux deals opaques permettant des rentrées et sorties
extrabudgétaires de fonds occultes alors que le FMI regarde ailleurs.
Ainsi, les largesses du chef de l’Etat, le prêt Paladino, une partie des
700 millions de Rio et d’autres fonds opaques n’empruntent pas le
circuit normal des dépenses et de ce fait n’affectent pas le déficit
budgétaire officiel.
Baisse record de l’inflation…du
niveau de troisième taux le plus élevé d’Afrique à celui de quatrième
taux le plus élevé d’Afrique!
Le gouvernement célèbre avec fanfare ce
qu’il considère comme « la baisse record de l’inflation » qui n’est en
réalité que le fait ordinaire de réduire l’inflation de plus de 2 points
par rapport au niveau de 2013, ce qui ramène l’inflation de 12% à 9,9%
en Mai 2014, puis à 9,6% récemment. Même a ce niveau d’inflation, il n y
a pas de quoi pavoiser. En 2013, tous les pays africains avaient
réussi à ramener leur taux d’inflation à un chiffre (et le maintenir
au-dessous de 9%), excepté un groupe de 5 pays dont la Guinée fait
partie. En ce qui concerne le taux d’inflation à un chiffre, tous les
pays africains l’avaient atteint en 2013, à l’exception de quatre pays
dont la Guinée. S’il donc faut célébrer un exploit, c’est la progression
du taux d’inflation de la Guinée du rang de troisième taux le plus
élevé d’Afrique en 2013, à celui de quatrième taux le plus élevé
d’Afrique en Juillet 2014. Pour un « record » à célébrer, c’en est
vraiment un !
D’autre part, les affirmations gratuites
d’inflation rampante sous les régimes précédents sont sans fondement.
Selon toujours les statistiques du FMI, le taux d’inflation de la Guinée
était à « un chiffre » durant la majeure partie du règne de Conté.
Pendant une dizaine d’années, entre 1996 et 2005, le régime Conté a
maintenu un taux moyen d’inflation de 8,6%, soit une meilleure
performance que celle qui fait danser le gouvernement actuellement.
C’est vers la fin de la vie de Conté, alors qu’il était trop rongé par
la maladie pour gérer le pays, que l’inflation avait atteint deux
chiffres, pour culminer à 34,6% en 2006. Cependant, durant les deux
années qui ont suivi, le gouvernement avait pris des mesures idoines
pour juguler l’inflation galopante. Grâce à ces mesures, le taux s’est
rétréci graduellement pour tomber à 18,4% en 2008 à la mort de Conté
(soit une réduction du taux d’inflation de 16,2 points de pourcentage en
deux ans, et c’est ce qu’on pourrait appeler un record !). En 2009,
sous la transition de Dadis, la chute du taux d’inflation initié avec
Conté a continué jusqu’à atteindre le plus bas niveau jamais atteint par
la Guinée depuis plus d’une décennie (taux de 4,7%). Par la suite,
c’est l’utilisation irresponsable de la planche à billet par le régime
Konaté-Doré qui va faire remonter l’inflation à 15,5% en 2010. En 2011,
sous le magistère d’Alpha Condé, le taux d’inflation continue de
galoper pour atteindre 21%, et c’est en ce moment que le régime Condé
redouble d’efforts pour contrôler (sur papier) la montée fulgurante des
prix. Le crédit du régime d’Alpha Condé est donc d’avoir ramené le taux
d’inflation à environ 5 points de pourcentage au-dessous du taux de
15.5% hérité de Konaté-Doré, après trois ans d’efforts. C’est ce qui
est servi au peuple comme un record sans précédent en Guinée grâce à la
clairvoyance du Professeur.
La baisse attendue de l’inflation (qui
fut facilitée d’ailleurs par la faible demande des entreprises et des
ménages suite au départ des miniers) est devenue soudainement un motif
d’autosatisfaction du gouvernement. Son porte-parole Damantang Camara
s’est récemment fendu d’un communiqué triomphaliste dans lequel il
affirme : « il s’agit d’une baisse record en Guinée… après des décennies
de régimes autoritaires et de mauvaise gestion …sous l’impulsion du
Président Alpha Condé et de son Gouvernement ». Continuant la propagande
gouvernementale, il explique que cette réussite record est atteinte «
grâce à la mise en œuvre d’une politique monétaire rigoureuse et un
exploit dans la gestion des finances publiques. » Son homologue à la
BCRG, qui, comme on l’a dit a peu d’impact sur la maitrise de
l’inflation vu qu’il ne contrôle pas le déficit budgétaire, n’en finit
pas de faire les tours de medias pour pontifier sur son nouvel exploit.
Dans sa propagande, le gouvernement est aidé par le représentant du
FMI, Monsieur Aziz Wan qui aura la primeur d’annoncer la bonne nouvelle
aux Guinéens lors d’une conférence de presse récente. Il clame comme
si un miracle venait de se produire: « la Guinée a réussi à ramener son
taux d’inflation à un chiffre ! » alors que le taux d’inflation
inférieur à 10% en 2013 est la règle plutôt que l’exception en Afrique.
A titre comparatif, voici le niveau d’inflation chez les voisins de la
Guinée qui jouissent en plus d’un taux plus élevé de croissance du PIB
selon les données du FMI: Cote d’Ivoire (2,6%), Guinée Bissau (0.6%),
Liberia (7,6%), Mali (-0.6%), Sierra Leone (9,8%). En dehors de la
Guinée, seuls le Ghana, la Guinée Equatoriale, et Malawi avaient un taux
d’inflation de deux chiffres.
Quel progrès significatif est donc
célébré avec un taux d’inflation de 9,9% ? D’ailleurs, l’inflation
baisse normalement quand la croissance économique s’affaiblit, comme
c’est le cas en Guinée. Tous les pays africains qui avaient enregistré
un taux faible de croissance égal ou inferieur à 2,5% (le taux de la
Guinée) ont vu automatiquement leur taux d’inflation chuter et se
maintenir au niveau d’un chiffre (la seule exception est l’Eritrée).
C’est le cas du Mali qui enregistre une inflation négative (-0,6%) avec
la faible croissance de 1,7%. La même tendance est observée pour
l’Afrique du Sud (1,9% de croissance et 5,8% d’inflation), et le Cap
Vert (0.5% de croissance et 1,5% d’inflation). La Guinée est déjà en
stagnation économique depuis deux ans, et c’est tout à fait normal que
le taux d’inflation baisse s’il n’y pas un choc externe (la montée des
couts du pétrole par exemple) causant une inflation des coûts des
facteurs. Ce serait tout à l’honneur du gouvernement si le pays
connaissait une croissance économique de deux chiffres (comme en Sierra
Leone et bientôt en Côte d’Ivoire) et un taux d’inflation à un chiffre.
Mais en Guinée, on célèbre la baisse de l’inflation quand l’économie
ne progresse que de 2,5%.
Réduction de la pauvreté : confirmation de la paupérisation progressive de la Guinée
La Guinée est l’un des rares pays qui
ait régressé cette année dans son classement mondial sur le
développement humain selon le dernier rapport du PNUD. La Guinée recule
même au sein du peloton des 10 lanternes rouges mondiales en matière de
développement humain, troquant la 178ème place qu’elle occupait 2012
pour la 179ème place cette année, confirmant ainsi la paupérisation
progressive de la population et la tendance progressive du pays vers la
place de pays le plus démuni de la terre malgré son fabuleux potentiel
minier, agricole, énergétique et humain. Ce n’est pas pour rien que
certains observateurs non sans ironie surnomment la Guinée « le pays
riche le plus pauvre de la terre ».
Le Président de la république et du «
RPCé » aurait finalement raison de se faire appeler « le Président des
démunis ». Sous son magistère, le PNUD considère que son pays est
devenu plus démuni que ses petits voisins à peine sortis de guerre
(Guinée Bissau et Libéria), sans parler des grands voisins comme le
Sénégal et de la Cote d’Ivoire. Malgré ses mégaprojets miniers et
multiples chantiers annoncés avec fanfare, la Guinée est le pays non
sahélien le plus arriéré et démuni de l’Afrique Occidentale. Avec un
score de 0,355 sur 1.000, la Guinée est non seulement en dessous de la
moyenne sous régionale, mais aussi la moyenne africaine (0,475) et
mondiale (0,694). Les seuls pays où l’indice du développement humain
est inférieur à celui de la Guinée sont notamment des pays affectés par
les séquelles de la guerre (notamment la RCA, l’Eritrée, le Mali, la
RDC, la Sierra Leone) ou des pays sahéliens soumis à des conditions
climatiques extrêmes (Mali, Burkina Faso, Tchad, Niger).
Pourtant, les défis de la Guinée ne
paraissent pas insurmontables, même si le nouveau régime se plaint
toujours d’avoir trouvé « un pays sans Etat » et continue à rendre les
anciens premiers ministres dans l’Opposition responsables de tous les
maux du pays (Lansana Conté, Dadis et Konaté n’y sont pour rien). Par
exemple, la RDC est un pays beaucoup plus grand complexe qui subit
toujours des conflits armés dans certains endroits, mais arrive à faire
des progrès significatifs en matière de développement humain. La Cote
d’Ivoire se remet à peine d’une guerre civile mais renoue avec le
développement. Le Mali ne contrôle toujours pas totalement son
territoire, Le Liberia est en phase post-conflit mais tous les deux pays
se classent mieux que la Guinée. Les gouvernements de l’Afghanistan,
du Soudan, du Madagascar, de la Palestine, de l’Egypte, de la Lybie, de
l’Iraq connaissent des situations infiniment plus sérieuses et
complexes et ne peuvent pas se permettre les excuses sempiternelles
d’avoir hérité « un pays sans Etat » ou d’avoir en face une opposition
politique non armée qui « empêche le président de travailler », ou
d’anciens premiers ministres « qui ont mis le pays à genoux ». Pourtant
tous ces pays réussissent mieux à subvenir aux nécessités de base de
leur population, en assurant au moins l’eau, l’électricité et la
sécurité des biens et des personnes.
Malgré les effets d’annonce et les
listes de chantiers sans lendemain égrenées à longueur de journée par la
RTG, la Guinée peut et doit faire mieux. Selon les statistiques du
PNUD, environ 70% de la population vit toujours au-dessous du seuil de 2
dollars par jour et a une espérance de vie de 54 ans (la moyenne en
Afrique est de 55 ans). Ce taux se compare à 12% au Ghana et 32% en
Cote d’ivoire. Les facteurs qui contribuent à la pauvreté des Guinéens
sont le déficit d’éducation (34,4%), de services de base (43,3%) et de
sante (22,3%). L’indice de satisfaction des Guinéens et très bas
(3,7/10) et à peine 1 Guinéen sur 5 se dit satisfait de la qualité de la
sa vie. En matière d’éducation, des pesanteurs socioculturelles
contribuent au maintien de pauvreté. Par exemple, les régions les plus
pauvres du pays sont celles qui enregistrent les taux de croissance
démographiques les plus élevés. Au lieu de sensibiliser ses zones, le
régime les traite comme un vivier électoral pour se maintenir au
pouvoir.
Réformes politiques et institutionnelles : le changement ne semble pas marcher, il faut le changer
L’année dernière, la Guinée occupait le
164e rang sur 182 pays, dans l’Indice de perception de la corruption
publié par Transparency International (TI). Les affidés du pouvoir font
croire que « le changement est en marche » avec des réformes en
profondeur menées par le gouvernement. Mais à regarder de près, les
reformes ne sont pas sérieuses dans la majorité des cas. Elles
consistent à prendre des mesures isolées souvent incohérentes, soit pour
les besoins de la propagande électoraliste ou pour la consommation
extérieure, pour faire plaisir aux bailleurs de fonds en « faisant
semblant » de reformer. C’est pourquoi la plupart des grands chantiers
de réforme tardent à produire des résultats tangibles. Les Etats
Généraux de la justice n’ont pas amélioré la justice (bien au
contraire). Le Ministre des Droits de l’Homme donne l’impression de
celui qui prêche dans le désert, alors que les libertés publiques
continuent d’être bafouées. La création du Conseil Supérieur de la
Magistrature tarde à se traduire en indépendance effective de la
justice. L’Unicité des caisses n’a pas empêché la gabegie à grande
échelle (dont de 1 milliard de dollars au sein de l’EDG, sans compter
les multiples deals opaques ou extra budgétaires). Les signatures
hâtives de contrats miniers de projets multimilliardaires se trouvent
toujours au niveau des effets d’annonce. Les études de faisabilité ne
sont pas achevées (cas de Simandou) et aucun projet minier n’a entamé la
phase de construction. Au contraire on assiste au désinvestissement
dans le secteur avec le départ de plusieurs sociétés minières. Le
barrage Kaléta risque d’avoir le succès éphémère de Garifiri à moins que
le gouvernement engage des réformes en profondeur du secteur
énergétique, résolve les problèmes de réseau, et mobilise les
investissements pour le couplage Kaléta-Souapiti. On est loin du
compte. Les autres projets en chantier ne pourraient produire des
résultats probants que si le gouvernement arrivait à s’attaquer à sa
faiblesse principale: les nominations politico-ethniques aux postes de
responsabilité de gestion des projets.
Il est particulièrement intéressant de noter le fossé entre les
déclarations du gouvernement et les évaluations indépendantes des
organisations internationales sur le progrès des reformes en Guinée. En
effet, la Banque mondiale effectue chaque année une évaluation de la
qualité des améliorations des politiques et institutions publiques de
chaque pays afin de jauger le sérieux des reformes, évaluer le risque de
gouvernance et fixer le plafond de l’aide financière à accorder à un
pays. Cette évaluation appelée « Country Policy and Institutional
Assessment » ou CPIA, au contraire des satisfécits et autres
déclarations diplomatiques, a des implications financières pour le
financement du développement. Un score élevé implique une enveloppe de
financement IDA plus conséquente pour des projets d’amélioration des
infrastructures, la santé, et l’éducation. Le CPIA se base sur le
progrès mesuré de 16 indicateurs du développement, dans quatre domaines :
la gestion économique, les politiques structurelles, les politiques
d’insertion sociale et d’équité, ainsi que la gestion et les
institutions du secteur public. Les pays sont notés sur une échelle
allant de 1 (note la plus faible) à 6 (note la plus élevée) pour chaque
indicateur. La Guinée a fait quelques progrès macroéconomiques sur
papier, mais cela n’a pas été suffisant pour susciter une amélioration
sensible de son score déjà très bas et en dessous de la moyenne en
Afrique. Le régime Condé n’a pas pu encore réaliser une amélioration de
plus de 0,1 par an sur le score dont il a hérité. Le score se situe
actuellement à 3.0/6 contre la moyenne de 3,2/6 pour l’Afrique.
Le rapport du CPIA a reconnu cette année
8 pays africains qui ont amélioré sensiblement leur politique, et la
Guinée ne figure pas sur la liste. Le Rwanda, le Cap Vert et le Kenya
sont les plus grands réformateurs du continent (score de 3,9/6) suivi du
Burkina Faso, le Sénégal, et la Tanzanie (score de 3,8). Parmi les
pays sortant de difficulté, la RDC a impressionné avec une avancée
notable de score cette année, alors que la Cote d’Ivoire continue
d’améliorer son score chaque année avec des réformes en profondeur, ce
qui lui permet d’attirer des financements bi- et multilatéraux
importants.
Réduction de la dette : l’obtention du PPTE comme une fin (politique) en soi ?
Le fait d’atteindre le point de décision
du PPTE continue de figurer en bonne place dans le palmarès économique
du gouvernement, même si la Guinée fut la dernière de la sous région à
être admise…grâce à des dérogations de dernière minute. Mais au lieu de
tirer avantage du PPTE et relancer l’économie du pays, le gouvernement
exploite la réduction de la dette (normalement acquise à presque tous
les pays pauvres qui en ont fait la demande) comme une fin en soi.
Aucun gouvernement africain aujourd’hui ne mentionne l’obtention du
PPTE dans son palmarès. Le Libéria, la Cote d’Ivoire, le Sénégal, le
Mali, la Sierra Leone, le Ghana ont longtemps dépassé le PPTE et se
focalisent sur des défis de la période post-PPTE : relancer la
croissance, créer de l’emploi, fournir les services de base. Mais en
Guinée le régime Condé continue toujours à brandir le PPTE comme l’un de
ses acquis économiques majeurs.
A titre d’exemple, la Cote d’Ivoire
avait eu son PPTE presqu’en même temps que la Guinée. Depuis, le pays a
renoué avec la croissance, stimulé sa production agricole et minière et
redonné confiance aux investisseurs. L’agence de notation Moody vient
de donner la note de crédit B1 au pays, ce qui lui permet de faire sa
rentrée dans le marché des capitaux pour lever 500 millions d’euros en
emprunts obligataires. En Guinée, la réduction de dette est masquée par
des dettes opaques extra budgétaires, des dettes entre amis contractées
dans des conditions opaques avec des sociétés liées au cercle
présidentiel. Par exemple le montant d’un milliard de dollars dépensé
sans résultats probants pour donner la lumière à Conakry inclue des
dettes avec une petite société malienne et une société brésilienne.
Conclusion
Les archives des Etats-Unis rapportent
que le Président américain Franklin Roosevelt avait une fois écouté un
briefing de son Secrétaire d’Etat Sumner Welles sur les exactions du
dictateur nicaraguayen Somoza contre sa population. Somoza était
exécrable, mais il servait bien les intérêts des Etats-Unis. Face aux
objections de Roosevelt, Welles avait rassuré en s’exclamant: « he’s a
bastard, but he’s our bastard » (littéralement : « c’est un salaud, mais
c’est notre salaud »). Ce principe a guidé la politique extérieure des
Etats-Unis tout le long de la guerre froide, amenant parfois le pays à
soutenir des dictateurs sanguinaires comme Somoza, Sadam Hussein, le
Shah d’Iran, Noriega et tant d’autres.
La Guinée n’est pas en guerre froide
avec une puissance hégémonique extérieure, mais se trouve en guerre
larvée avec elle-même au nom de l’hégémonie d’une ethnie par rapport à
une autre. Son élite a perdu le sens national pour se ranger dans un
camp ou l’autre et de se faire le défenseur de l’indéfendable
conformément au principe de Roosevelt : « he’s a bastard, but he’s our
bastard ». Le manque d’unité de l’élite pour dénoncer les erreurs et
tares de la classe politique dans l’intérêt supérieur du pays a créé un
vide qui a été vite occupé par les opportunistes et extrémistes de tous
bords. Un leader n’est plus jugé sur sa performance, mais sur le fait
d’être chef de file d’un groupe ethnique. Par conséquent, le premier
venu le plus hardi peu s’imposer comme chef, menant à l’épanouissement
de la culture de la médiocrité. La solidarité du groupe assure le manque
d’imputabilité.
La polarisation du débat sur une base
souvent ethno-politique est en train de cimenter les fondations d’une
culture de médiocrité et d’impunité
dont le pays aura du mal à se relever. L’implication de la culture de
médiocrité est qu’elle détourne des résultats qui comptent pour la
Nation et occupe les citoyens dans des combats futiles pour la victoire
de leur parent. Le Chef de l’Etat est alors obligé d’être un chef de
clan et de donner constamment des assurances a la base ethnique qui l’a
porte au porte au pouvoir qu’il fera avancer leur « causa nostras ».
Même s’il est mauvais, la « causa nostras » va le soutenir et le
protéger pour leur propre intérêt.
Il est grand temps pour que les Guinéens
pensent à lutter pour l’avenir de leurs enfants plutôt que de préserver
le pouvoir et la gloire personnelle d’un paulicien. S’ils aspirent au
bonheur matériel, ils doivent exiger de leurs gouvernants des résultats
concrets. A l’instar des peuples des pays avancés, les Guinéens doivent
réaliser que la meilleure façon d’aider leur parent en politique est
d’exiger de lui des résultats et de le sanctionner si nécessaire. Qui
amine bien châtie bien, dit-on. En l’absence de sanctions ou de
récriminations, le politicien aura carte blanche d’occuper des postes
qu’il ne mérite pas sans être obligé de travailler pour le bien être de
la population. Et il va s’entourer de médiocres (souvent de son groupe
ethnique) capables de chanter ses louanges et de mentir pour lui. Le
jour ou le politicien saura que le principe du « he’s a bastard, but
he’s our bastard » ne s’applique plus, il travaillerait plus dur pour
les intérêts du plus grand nombre de citoyens, pas seulement de sa «
causa nostras ».
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