En Guinée, les prochaines élections présidentielles prévues pour 2020 sont encore loin. Mais depuis la conférence de presse donnée par le président de la République, le débat sur l’éventuelle révision constitutionnelle a curieusement refait surface dans l’opinion. Il porte principalement sur la limitation et la durée du mandat présidentiel qui font partie des intangibilités consacrées par la Constitution du 7 mai 2010, œuvre du régime transitoire du Conseil National pour la Démocratie et le Développement (CNDD), qui s’était emparé du pouvoir le 23 décemcre 2008 suite à la mort du président Lansana Conté.
Loin d’être impertinente et non pertinente, stérile ou oiseuse, inutile ou soporifique, la question sur l’éventuelle révision de la Constitution offre aujourd’hui au peuple de Guinée l’occasion de débattre des ratés de la transition, des éclaboussures autoritaires qui ont émaillé le débat politique en ce temps-là et de faire sereinement le bilan de l’application de la Constitution et des lois électorales qui ont, durant au moins deux élections présidentielles et une élection législative montré leur limite. En creux de ce débat sur le verrou constitutionnel lié à la durée et au nombre de mandat présidentiel se pose la question de la consolidation des acquis démocratiques, qui passe par le respect de la Constitution à chaque passage du flambeau présidentiel, le consensus politique et l’alternance au pouvoir, le jugement des affaires du passé et la pressante question de l’unité nationale.
Le respect de la Constitution à chaque passage du flambeau présidentiel
Le premier héritage du bilan de chaque président sortant devrait être le transfert de la Constitution au prochain pouvoir. Car, on ne peut consolider la démocratie sans un minimum de coutume constitutionnelle définie comme l’ensemble des pratiques des organes constitutionnels qui sont répétées et considérées par tous les acteurs politiques comme des normes obligatoires liées à l’exercice du pouvoir. Le respect de la Constitution doit nécessairement être de mise à chaque passage du flambeau. Cela implique l’interdiction du 3è mandat à la tête du pays. Le plus grand rendez-vous de la démocratie constitutionnelle guinéenne depuis 1958 n’est pas vraiment le second mandat du président de la République Alpha Condé en 2015, mais le respect en 2020 de l’interdiction du 3ème mandat. Ce sera donc, sur ce point fondamental, l’occasion de mettre à l’épreuve la toute nouvelle Constitution et notre jeune démocratie en construction.
Mais le respect de la Constitution suppose nécessairement d’avoir des normes juridiques de qualité qui ne souffrent d’aucune contestation dans leur application. Or, notre Constitution n’a pas reçu l’onction populaire (référendum). C’est l’une des critiques légitimes qui lui sont faites par les constitutionnalistes et une partie du peuple de Guinée. C’est, en effet, une "assemblée" de transition composée de représentants non élus des forces vives de la nation qui l’ont adoptée sans en référer au souverain primaire par référendum. C’est donc un faire-valoir constitutionnel imposé par la force au peuple. Elle est née avec un vice congénital. Ce vice rédhibitoire, qui l’affecte, ouvre la voie à sa contestation globale ou partielle en tant que norme juridique fondamentale imposée au peuple par la force des acteurs politiques d’alors et de la communauté internationale. Ce fut le cas pour la Constitution japonaise, qui est aujourd’hui l’une des rares constitutions au monde à n’avoir pas subi de modification en 60 ans. Au commencement des années 2000, deux thèses dominaient, comme dans le nôtre actuellement, le débat constitutionnel japonais. L’une de ces thèses était celle de la constitution imposée par la force au peuple japonais en 1947 par les États-Unis d’Amérique. Une constitution qualifiée par les tenants de cette thèse de « Constitution d’occupation ». Ils souhaitaient la révision de la Constitution nippone en vue d’y introduire le jus ad bellum.
Depuis, l’eau a coulé sous les ponts, la révision de la constitution japonaise (plusieurs fois violée) a été possible en dépit des conditions strictes de sa modification posées par l’article 96 ; le pays s’est accordé le droit de la guerre en cas d’agression et participe désormais au financement des opérations de maintien de la paix des Nations Unies.
Le vice qui affecte notre Constitution doit être corrigé pour exprimer à la fois la sacralité et l’adhésion du peuple à la Constitution, mais aussi et surtout pour l’élever à la dignité de constitution démocratique. C’est ainsi qu’elle ne peut faire l’objet de contestation juridique. La direction politique actuelle (président de la République et chefs des partis politiques) de notre pays peut résoudre cette crise de confiance et de légitimité originelle de la Constitution du 7 mai 2010, en la rendant conforme aux standards internationaux. Sans l’approbation du peuple, il n’est aucun argument juridique sérieux permettant de reposer les intangibilités constitutionnelles de l’article 154 de notre Constitution sur une légitimité charismatique. Et la solidité de cet article, comme de toute la Constitution, prête à discussion. Car, contrairement au préambule de la Constitution qui dispose que « le peuple de Guinée, proclame… exprime sa volonté…», il n’a rien proclamé et rien exprimé du tout. Absolument rien. Le danger serait donc de considérer cette constitution transitoire de définitive et de limiter le débat sur la révision constitutionnelle à la durée et au nombre de mandat présidentiel. Pour corriger la pathologie de notre Constitution, il suffit de quelques jours pour que notre assemblée nationale démocratiquement élue cette fois, se réunisse en Pouvoir constituant et résolve ce problème en l’adoptant démocratiquement, en respectant la majorité prévue à cet effet par la Constitution.
La Guinée peut ainsi profiter de cette occasion pour faire une révision constitutionnelle par des amendements sur des problèmes mineurs apparus dans l’application de la Constitution au cours du mandat présidentiel écoulé. Par exemple, l’on peut définir de façon claire et précise le rôle du Premier ministre, même si c’est la pratique qui est plus importante que le texte. Car c’est, en définitive, le président de la République qui décide du rôle qu’il souhaite assigner à son premier ministre. Le gouvernement peut judicieusement impliquer l’opposition à ce travail constitutionnel, notamment par le truchement de ses députés à l’Assemblée nationale.
Le choix de la voie parlementaire permettant de passer du faire-valoir constitutionnel actuel à la Constitution démocratique offre l’avantage du coût budgétaire raisonnable et abordable qui permettra au gouvernement d’éviter des dépenses somptueuses dans l’organisation d’un référendum constitutionnel.
La consolidation de la démocratie implique en outre de faire confiance aux institutions de la République en usant de toutes les voies de recours juridictionnels pour le règlement des contentieux, notamment électoraux. Au centre de ces institutions, une place importante doit être accordée à la Cour constitutionnelle comme seule voie de recours pour régler les divergences électorales et les problèmes liés à la Constitution. Cela suppose également la soumission de l’État à ses propres lois. C’est le principe de l’État de droit. C’est ainsi qu’il sera profitable au Gouvernement d’encourager les recours contre des décisions contestées qu’il viendrait à prendre sans que les personnes qui les attaquent soient poursuivies pour atteinte à la sureté de l’État, possession de cocktail Molotov ou menacées dans leurs biens, dans leurs professions et leurs carrières.
De même, le Gouvernement en fonction doit garantir à tous la stabilité institutionnelle : pas de réforme à tout-va. Quelques réformes constitutionnelles, peuvent, à l’avenir, être évitées en utilisant l’interprétation constitutionnelle en fonction des circonstances et de l’évolution sociétale, politique ou économique du pays. C’est pour cela qu’il me paraît essentiel, de placer la Cour constitutionnelle au centre du contrôle de l’activité normative en lui donnant les moyens de son action.
L’autre aspect de la consolidation de la démocratie tourne autour du consensus politique et de l’alternance au pouvoir.
Le consensus politique et l’alternance au pouvoir
La consolidation de la démocratie en Guinée passe aussi par le consensus politique entre les acteurs politiques ainsi que l’alternance au pouvoir. Le consensus politique implique d’associer l’opposition à la démocratie de manière formelle. Le Statut de l’opposition, volet obligatoire du consensus politique, est l’un des plus importants aspects et acquis de la gouvernance actuelle. Il mérite d’être salué, soutenu et encouragé.
Cependant, au cours des mois écoulés, il n’a pas été accordé beaucoup d’importance au Statut de l’Opposition. Cela peut être mis sur le compte du contexte politique tendu et de l’apprentissage de cette institution nouvelle. Ce statut permet, entre autres, à l’opposition de contribuer de manière constructive à la marche du pays, c’est l’un des instruments constitutionnels du dialogue politique permanent. Dans le contexte actuel des relations entre le pouvoir et l’opposition, la concrétisation du Statut du chef de file de l’opposition qui aurait pu contribuer à asseoir le consensus, à atténuer le tribalisme, le communautarisme et le repli identitaire a eu l’inconvénient de renforcer les querelles de leadership entre les ténors de l’opposition guinéenne. Le statut de l’opposition doit devenir le soubassement de la cohésion nationale autour des grands dossiers stratégiques de l’État.
Certains domaines de la gouvernance contemporaine exigent le consensus national alors que d’autres pas. Dans ceux qui l’exigent, le Gouvernement en place et la République ont intérêt à ce que l’opposition soit associée à la prise de décisions sensibles qui engagent, entre autres, la conduite de la politique internationale de la Guinée. Il en est ainsi, par exemple, de l’envoie des troupes à l’extérieur du pays, comme récemment l’envoie des militaires guinéens au Mali.
Le Gouvernement peut utilement associer l’opposition ou au moins l’écouter en saisissant l’Assemblée nationale avant ou après l’envoie de soldats guinéens à l’étranger dans le cadre des opérations militaires sous mandat des Nations Unies ou des organisations internationales africaines (Union africaine, CEDEAO, Mano River Union).
Les gouvernements guinéens successifs doivent faire en sorte que les grandes décisions soient présentées comme des décisions nationales, pas simplement celles du gouvernement en place. Il est admirable de savoir montrer que l’envoie des troupes à l’extérieur du territoire de la République est une décision nationale, prise de concert avec toute la classe politique et la société civile. Cette pratique doit être maintenue à chaque événement circonstanciel, en fonction des grands enjeux du moment. La Guinée a besoin de cette culture démocratique, qui renforce l’autorité et garantie la continuité de l’État. L’absence de ce consensus peut créer une contradiction nationale dans la gestion des dossiers importants, une frustration au sein de l’État. Le consensus politique institutionnalisé est un moyen de transformer l’alternance au pouvoir en simple variance de la gouvernance et non des ruptures dans la gestion des affaires de l’Etat.
La vraie garantie de l’alternance au pouvoir se cache certainement dans le niveau du consensus politique qui précède chaque passage du flambeau présidentiel. Par ailleurs, l’expérience montre que tous les obstacles à l’alternance sur le continent africain sont motivés par le souci machiavélique des personnes au pouvoir d’échapper, coute que coute, à la justice sur les affaires ayant émaillé leur mandat.
C’est pourquoi, la troisième condition de la consolidation de la démocratie passe par le refus de l’impunité et la capacité du système pénal à connaître sereinement des affaires judiciaires.
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