Pages

vendredi 3 juin 2016

Mohamed Ould Abdel Aziz : «Si la Syrie n’avait pas été déstabilisée, il n’y aurait certainement pas eu d’attentats en France

Le président mauritanien Mohamed Ould Abdel AzizzAncien général de l’armée, ex-chef d’état-major particulier du président de la République Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi qu’il a renversé en 2008 avant de se faire élire en 2009 et réélire 2014, Mohamed Ould Abdel Aziz dirige la Mauritanie. Droit dans ses bottes, ce dirigeant au caractère bien trempé répond pour l’Opinion aux critiques, parle de sa relation sécuritaire avec la France et de son engagement dans la lutte contre de terrorisme au Sahel. La Mauritanie a été touchée entre 2005 et 2009 par des attaques djihadistes. Quelle est la situation sécuritaire du pays ? À partir de 2008, nous avons restructuré nos forces armées pour les adapter au contexte actuel du terrorisme qui est très changeant. Nous avons nettoyé toutes les poches terroristes et leurs bases logistiques au nord du pays. Nous avons arrêté plusieurs combattants d’al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi). Ils sont en prison et condamnés à mort. Nous avons aussi incarcéré quelques dizaines de salafistes. Nous avons sécurisé nos frontières, établi une zone militaire interdite d’accès et créé trente-six points d’accès au territoire. Cela nous permet de suivre les mouvements des groupes armés, des migrants et éventuels trafiquants. Nous n’avons presque plus subi d’attaques depuis trois ans. Le maintien de la Mauritanie en « zone rouge » par le quai d’Orsay vous semble-t-il justifié ? C’est la vision des autorités françaises. Elle est aujourd’hui loin de la réalité. La menace a été éloignée du pays même si le risque zéro n’existe pas comme en attestent les derniers attentats terroristes qui touchent le monde entier. Mais nous faisons des efforts et mettons tous les moyens pour assurer la sécurité. Une agence de presse a récemment affirmé, sur la base d’un document retrouvé au Pakistan lors de l’opération américaine contre Ben Laden, que votre gouvernement avait conclu un accord de non-agression avec Aqmi contre le versement annuel de 20 millions de dollars… On a parlé d’un accord passé entre Ben Laden et la Mauritanie en 2010. J’étais effectivement au pouvoir. Ce document est un faux. En 2010, nous ne pouvions pas savoir où se trouvait Ben Laden, les Américains ne le savaient pas non plus. Nous n’avons jamais versé un seul dollar à Aqmi ni libéré un seul terroriste. Ils sont tous en prison à l’exception de certains repentis libérés après avoir purgé leur peine. Nous n’avons pas davantage accédé aux demandes des pays amis qui voulaient que nous relâchions des prisonniers pour faciliter la libération d’otages. Aux termes de cet accord, al-Qaïda devait cesser ses attaques en Mauritanie ? Or nous avons ensuite déjoué une attaque à Nouakchott qui visait une ambassade et le ministère de la Défense. Cela dément l’existence d’un tel accord. J’en ai demandé une copie et des éclaircissements à l’ambassadeur américain. Qui a fait et signé cet accord ? Les Américains nous disent qu’ils n’ont pas vu ce document. L’application de l’Accord de paix intermalien d’Alger piétine. Pourquoi ? C’est un dossier assez complexe. Il l’était déjà du temps de la colonisation. En tant que pays frontalier, partenaire dans le G5 Sahel et dans l’Organisation pour la mise en valeur du fleuve Sénégal, nous ne pouvons pas nous désintéresser du Mali. Les mêmes populations se trouvent de part et d’autre de notre frontière. La solution ne peut pas seulement venir d’un accord. Elle implique beaucoup d’efforts et de sacrifices de toutes les parties en conflit. Le gouvernement malien doit s’engager fortement pour les populations du Nord. Certains groupes armés avaient des revendications folles, farfelues et irréalisables en demandant la partition du Mali. Il faut qu’elles soient réalistes et tiennent compte aussi de la capacité des autorités. Elles ont toutefois des réclamations fondées pour un meilleur accès à l’eau, à l’électricité, à la santé, à l’éducation et aux infrastructures de base. À cela s’ajoute le problème du terrorisme, à l’origine étranger au pays, et qui s’est greffé. Il faut le traiter. Les terroristes ont trouvé un réceptacle favorable dans le nord du Mali. Ils prospèrent et survivent là où il y a de l’insécurité. Les Maliens ont été laxistes par le passé, notamment sous la présidence d’Amadou Toumani Touré, en nouant une alliance avec les groupes terroristes. Y a-t-il une responsabilité française dans la crise malienne, conséquence de l’intervention en Libye ? Certains pourront le dire. Mais le problème est venu bien avant même si la crise libyenne a permis de quintupler les capacités militaires des terroristes qui se sont servis en armement et en équipements dans l’arsenal de Kadhafi. C’est une catastrophe pour la région au même titre que toutes ces révolutions arabes qui se sont produites. L’Occident les a applaudies en pensant que des États laïques et démocratiques verraient le jour, que les dictateurs disparaîtraient. Et finalement, c’est pire. La situation est dramatique, elle s’est répandue au-delà de ces États et a touché l’Europe. Je ne privilégie pas les dictateurs mais, entre deux maux, il faut toujours choisir le moindre. Si la Syrie n’avait pas été déstabilisée, il n’y aurait certainement pas eu d’attentats en France. Faites-vous partie du dispositif français Barkhane d’intervention au Sahel ? Nous ne sommes pas partenaires de Barkhane et ne réalisons aucune opération avec les forces françaises. En revanche, nous avons une très bonne coopération avec les armées française et américaine. Et nous échangeons des renseignements avec elles comme avec les Sénégalais, les Maliens et d’autres. Des formateurs français officient notamment à Atar. C’est aux Africains de prendre en charge leur sécurité même s’ils peuvent se faire aider. Nous allons continuer à nous équiper. Nous venons d’acquérir deux patrouilleurs pour sécuriser nos frontières maritimes, surveiller les migrants, les trafics et éventuellement les pirates. Pourquoi avoir créé le G5 Sahel, structure de coopération institutionnelle en matière de développement et de sécurité (*) ? Avec les pays du Sahel, nous vivons les mêmes problèmes de terrorisme, de sécheresse, d’insécurité, de trafics en tous genres. Cette organisation, créée il y a deux ans et demi, nous permet de mutualiser les moyens, de sécuriser nos pays et de répondre aux besoins de nos populations. Les échanges d’informations sécuritaires se poursuivent. Nous avons déjà tenu deux sommets, à Nouakchott et à N’Djamena. Nous projetons actuellement de créer une force d’intervention rapide de 1 000 hommes pour combattre le terrorisme et les trafics. Il y a des défis à relever, particulièrement au Mali. Avant de pouvoir y intervenir, il faudra régler les questions juridiques avec l’État malien et les Nations Unies alors que les Casques bleus sont déployés dans le pays. Il faudra un mandat robuste car nous ne voulons pas être une simple force d’interposition. Nous travaillons aussi sur le plan économique et du développement. Nous projetons de lancer une compagnie aérienne régionale, publique, à laquelle des fonds privés pourraient participer, et bien d’autres projets. Nous espérons que les moyens suivront. Les autorités mauritaniennes sont régulièrement indexées par les organisations de droits de l’homme pour laisser se perpétrer l’esclavagisme… Nous vivons dans un pays démocratique. On écoute tout le monde même si beaucoup raconte n’importe quoi. Où étaient les militants anti-esclavage il y a 20 ans ou 40 ans. Il y avait alors beaucoup plus d’esclaves et plus de séquelles apparentes et personne n’en parlait. Ce même personnage (NDLR : Biram Ould Dah Ould Abeid, fondateur de l’Initiative pour la résurgence du mouvement abolitionniste) qui se fait le chantre de la lutte contre l’esclavage était greffier de justice, attaché au cabinet du Premier ministre et dans une instance des droits de l’homme, il percevait trois salaires. Mais il ne s’intéresse à ces questions que depuis quelques années au moment où on a commencé à assainir les finances publiques et qu’il a perdu son train de vie. Il s’est ensuite porté candidat à la présidence en 2014. Il n’a fait que 8 %. Et s’il y avait plus de candidats, il n’aurait pas fait 2 %. Cela justifiait-il de le mettre en prison ? Ce n’est pas le président qui l’a mis en prison. Il a été arrêté par les forces de sécurité, lors d’une manifestation, qui ont fait un procès-verbal et la justice l’a condamné à deux ans de prison. La même justice, via la Cour Suprême, vient de le libérer. Le dernier rapport des Nations Unies dénonce le sort des Haratines (descendants d’esclaves) et les Afro-Mauritaniens « exclus de nombreux aspects de la vie économique et sociale »… Ce ne sont pas les Nations Unies dans leur ensemble mais le rapport d’un individu (Ndlr : Philip Alston, Rapporteur spécial des Nations Unies sur l’extrême pauvreté et les droits de l'homme) qui se comporte très mal vis-à-vis de notre pays. Il tenait les mêmes propos en 1995 et éprouve une haine viscérale pour la Mauritanie. Il n’a pas pris les bonnes attaches, notamment auprès de la société civile. J’ai reçu plusieurs émissaires et secrétaires généraux des Nations Unies. Ce n’est pas la position officielle. Il n’y a pas un seul esclave enchaîné ni de traite d’êtres humains vendus sur les marchés. L’acte d’esclavage est aujourd’hui criminalisé. Nous avons condamné récemment deux personnes à l’est du pays pour des faits d’esclavage qui se sont passés en dehors de notre territoire. Mais je reconnais qu’il existe toujours des disparités liées à la misère et la pauvreté. Ce sont les séquelles de l’esclavage, qui ne sont pas propres à la Mauritanie. Cela est encore le cas aux États-Unis. Des populations ont été à la marge du système éducatif, ont grandi avec des parents absents. Mais des enfants de parents esclaves ont aussi trouvé leur voie et sont insérés. D’ailleurs, la misère touche aussi des descendants d’anciens maîtres qui n’avaient pas l’habitude de travailler et se sont retrouvés démunis. On parle beaucoup de l’esclavage car certains en font un fonds de commerce. - See more at: http://fr.africatime.com/mauritanie/articles/mohamed-ould-abdel-aziz-si-la-syrie-navait-pas-ete-destabilisee-il-ny-aurait-certa

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire