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mercredi 22 juin 2016

La Gambie a-t-elle quitté le groupe des pays les plus pauvres au

La Gambie « ne fait plus partie » des pays les plus pauvres du monde, déclare son président Yahya Jammeh. Africa Check a vérifié. «Lorsque j’ai pris le pouvoir [en 1994], ce pays était l’un des plus pauvres au monde, il ne l’est plus. Il y a un Parlement, un système de santé fiable … Appelez-moi dictateur si vous le voulez, mais je ne suis qu’un dictateur du développement», a notamment dit Yahya Jammeh, dans une interview avec Jeune Afrique du 29 mai 2016.
Nous avons tenté sans succès de contacter le State House pour savoir les critères de M. Jammeh. Nos sollicitations par courriers électroniques et appels téléphoniques n’ont pas connu de suite.
Quel était le niveau de développement de la Gambie en 1994 ? Quelle est la situation actuelle ?
Sur quoi Jammeh peut-il se baser ?
S’adressant à Jeune Afrique, Yahya Jammeh a donné ses propres critères pour mesurer la croissance de la prospérité et la prospérité
« Je regarde combien de personnes pouvaient s’offrir un déjeuner ou une bicyclette hier et combien le peuvent aujourd’hui. Cela me suffit », a-t-il dit.
Cependant, selon le directeur exécutif d’Enda-CACID (un centre de recherche), le Docteur Cheikh Tidiane Dièye, anthropologue du développement, l’Indice de développement humain (IDH) du Programme des nations unies pour le développement (PNUD) est « un bon paramètre, c’est l’indice le plus parlant ».
L’IDH mesure le niveau de développement des pays, sans en rester simplement à leur poids économique mesuré par le PIB (Produit intérieur brut) ou le PIB par habitant. Il intègre des données plus qualitatives. C’est un indicateur qui fait la synthèse de trois séries de données : l’espérance de vie à la naissance (qui donne une idée de l’état sanitaire de la population du pays), le niveau d’instruction et le PIB réel par habitant.
Il se présente comme un nombre sans unité compris entre 0 et 1. Plus l’IDH se rapproche de 1, plus le niveau de développement du pays est élevé. Son calcul permet l’établissement d’un classement annuel des pays.
Les scores de la Gambie en 1994 et 2015
M. Jammeh se base sur le nombre de personnes capables de se payer une bicyclette pour mesurer la prospérité. Ici, un homme conduisant son vélo à Keur Ayib à la frontière sénégalo-gambienne. Photo AFP
M. Jammeh se base sur le nombre de personnes capables de se payer une bicyclette pour mesurer la prospérité. Ici, un homme conduisant son vélo à Keur Ayib à la frontière sénégalo-gambienne. Photo AFP
En 1994, quand Jammeh a pris le pouvoir, la Gambie était créditée de 0,215 et occupait la 166e place sur 173 pays. Elle était dans le groupe des pays les moins développés.
En 2015, elle était 175e sur 188 pays pris en compte par le PNUD, avec un indice de 0,441, soit le double de son score de 1994.
Indice de développement humain (IDH)
Année IDH
1994 0,215
2015 0,442
Mais le Docteur Dièye relativise cette performance, en expliquant que «tous les pays ont évolué en Afrique et dans le monde avec plus d’écoles, un plus grand nombre d’hôpitaux…».
«Des études ont montré que tous les pays qui n’ont pas connu de guerre ou de conflit ont évolué [quantitativement] du point de vue santé, éducation, agriculture», a-t-il confié à Africa Check.
«Lorsque Jammeh parle, il fait allusion à la qualité de la vie (hôpitaux, éducation). Et l’agriculture est un domaine où il s’est beaucoup investi. Mais le PIB par habitant reste faible, on ne peut pas dire que sur le plan qualitatif la Gambie a évolué mais sur le plan quantitatif, oui», a-t-il ajouté.
Mais elle reste dans le groupe des pays à «développement humain faible » dont les indices sont compris entre 0,548 à 0,348.
Qu’y a-t-il d’autres dans l’indice 2015 ?
En Gambie, le PIB par habitant était de 412,99 dollars US en 1994. Vingt ans plus tard, il est estimé à 435, 42 dollars, soit une modeste hausse.
Le PIB par habitant en dollars US
Année PIB par habitant
1994 419,99
2015 435,42
Les derniers chiffres sur la scolarisation ne sont pas disponibles. Nous allons actualiser cet article dès que nous les aurons. Les statistiques les plus récentes datent de 2003. Elles indiquent que le pays a en outre connu une augmentation de son taux brut de scolarisation qui est passé à 67 % en 1999, à 73 % en 2001 et à 82 % en 2003, écrit Crispin Grey-Johnson, son ex-représentant spécial aux Nations Unies.
Le résultat s’est traduit par une augmentation importante du taux de transition dans l’enseignement secondaire de deuxième cycle, passant de 12 % en 1994 à environ 65 %, neuf ans plus tard. «En 1994, 16 000 élèves étaient inscrits dans les écoles secondaires dans l’ensemble du pays. Aujourd’hui (2003), ils sont environ 40 000 », ajoute M. Johnson. Il rappelle d’ailleurs que la première université du pays a vu le jour sous Jammeh.
Quant au taux de scolarisation chez les adultes, entre 2000 et maintenant, il est passé de 52,56% à 70,80% chez les adultes, selon l’Institut des statiques de l’UNESCO.
Qu’en est-il de l’espérance de vie ?
De son côté, l’espérance de vie a augmenté d’année en année depuis que Jammeh est au pouvoir. Selon la Banque mondiale, la moyenne est passée de 53 ans en 1994 à 60 ans aujourd’hui. Au même moment, au Sénégal, l’espérance de vie, qui était de 57 ans en 1994 était à 66 ans en 2015.
Dans le cas de la Gambie, cette situation s’explique, selon les experts, par l’augmentation du nombre de lits d’hôpitaux qui est passé de 0,6 pour 1000 habitants en 1996 à 1,10 en 2011. Au même moment, le nombre de médecins pour 1000 habitants a augmenté de 0,02 en 1993 à 0,04 en 2010. En comparaison, au Sénégal, le nombre de lits est passé de 0,25 en 1994 à 0,30 en 2008 (chiffre le plus récent).
De même, la sous-alimentation qui touchait 15,90% de la population à son arrivée au pouvoir a baissé jusqu’à un peu plus de 5% vingt ans après.
Année Espérance de vie à la naissance
1994 53 ans
2015 60 ans
Conclusion : la Gambie fait toujours partie des pays les plus pauvres du monde
Il ne s’agit pas de faire le bilan des 22 ans de règne de Yahya Jammeh mais juste de mesurer les progrès réalisés pour réduire la pauvreté et savoir si, comme il l’affirme, son pays « ne fait plus partie » des pays les plus pauvres du monde.
La Gambie a certes progressé en doublant son score en 21 ans. Avec 0,215, elle occupait la 166e place sur 173 pays en 1994. Actuellement, elle est 175e sur 188 pays avec 0,441. Et certains indicateurs comme la scolarisation et l’espérance de vie se sont également améliorés.
Mais il s’agit d’un progrès dans la zone de pauvreté qui regroupe les pays à «développement humain faible». Par conséquent, l’affirmation du Président Jammeh est fausse.

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