|
Dans son discours, lors de la séance inaugurale, le vendredi 2 mars 2012, il appellera donc à « libérer l’esprit », affirmera qu’était « révolu le temps » où celui-ci était « formaté », « incarcéré », « standardisé », « embastillé », « emprisonné » sous une « chape de plomb » et derrière « un rideau de fer ». Il savait de quoi il parlait : secrétaire exécutif national du CDP d’août 1999 à juin 2003, il présidait, depuis, son nouvel organe dirigeant : le BPN.
Drôle d’idée de proposer de changer la donne au moment même où on passe la main. Mais il est vrai que la perspective de la fin des années Compaoré, en 2015, commençait à susciter des vocations présidentielles. A commencer par celle de Roch Kaboré lui-même. Patron du parti, il s’était habitué d’ailleurs, à ce que des « élites » le quittent pour tenter leur chance en solo. Deux de ses ministres – et non des moindres – quand il était chef du gouvernement avaient déjà « joué les filles de l’air » : Zéphirin Diabré et Ablassé Ouédraogo.
A la base, parmi la jeunesse, l’hémorragie avait été forte aussi. Et puis il y avait eu « l’affaire Salif Diallo », énigmatique figure historique du régime (cf. LDD Burkina Faso 0137/Mardi 25 mars 2008) qui, après avoir dénoncé la « patrimonialisation » du pouvoir, avait été exilé à Vienne comme ambassadeur tandis que Roch Kaboré aurait bien voulu prononcer son éviction du CDP*. Mais la « refondation » du parti que prônait alors Diallo n’était-ce pas ce que proposait Roch Kaboré en 2012 ? D’ailleurs, aujourd’hui, Diallo est premier vice-président du Mouvement du peuple pour le progrès (MPP), le parti qui vient de porter Roch Kaboré à la présidence du Faso.
Le temps n’était plus en ce temps-là où le débat politique passionnait les Burkinabè (passion motivée sous la « Révolution », il faut le dire, par « la force des baïonnettes »). Après « l’affaire Norbert Zongo », les inondations dramatiques de 2009, les « mutineries » sanglantes et traumatisantes pour la population de 2011, l’opinion publique avait basculé du côté des « Y’en a marre » ; marre de tout ce fatras d’une nomenklatura qui ne résout pas les problèmes basiques de la population : insécurité, santé, formation, emploi, logement, accès à l’eau, délestages, etc. Non pas que les gouvernements ne fassent rien ; mais compte tenu des évolutions des modes de vie, le gap n’a cessé de se creuser entre nécessité et moyens. Les frustrations vont s’accumuler au sein de la classe moyenne (celle qui, justement, devrait s’intéresser à l’évolution politique du pays) ; quant à la base, les tensions se régleront, désormais, par la violence.
Roch Kaboré semblait conscient qu’il fallait passer à autre chose. Mais le CDP était englué depuis trop longtemps au pouvoir et paralysé à l’idée de le perdre un jour, brutalement, par « une remontée de la rue à la surface ». Il savait qu’il fallait libérer l’inventivité et la capacité d’entreprendre (y compris politiquement) des Burkinabè et que la bureaucratisation (au sens sociologique du terme) du mode de production politique était un frein considérable au développement des énergies sociales, et donc du pays.
Le Burkina n’est pas une société figée (les événements des 30-31 octobre 2014 en feront la démonstration), mais ses « élites » tendaient à l’être : trop à perdre, trop à défendre. Et partout, on déplorera une absence de prises de décision, de prises de risque ; on déplorera un mode de production au jour le jour, incapable de susciter l’enthousiasme et de se projeter dans l’avenir.
Roch Kaboré est un homme dont on dit qu’il est « mesuré » et qu’il sait désamorcer les situations critiques sans pour autant se mettre en difficulté. Il en a fait la démonstration, lors des « mutineries » de 2011, à la tête de l’Assemblée nationale, l’institution étant chahutée par les commerçants furieux d’avoir été les principales victimes des « mutins ». Il en a fait la preuve également au sujet du fameux article 37 qui limite à deux le nombre des mandats présidentiels.
Le samedi 6 février 2010, lors d’une conférence de presse à l’occasion du 14è anniversaire du CDP, il avait dit : « La limitation du mandat, dans son principe, est antidémocratique. Il va contre le droit du citoyen de désigner qui il veut »**. « Je pense que du point de vue du principe, ce n’est pas attaquable », maintiendra-t-il, le 17 mars 2011, alors qu’il était interrogé par Christophe Boisbouvier sur RFI. Limiter les mandats c’était, selon lui, considérer que les pays africains étaient des sous-démocraties incapables d’alternance.
Mais ce qui était « inattaquable » en 2010 va devenir problématique au lendemain de « l’affaire Justin Zongo » puis des « mutineries ». Roch Kaboré tiendra alors un langage qui se voulait de bon sens : « Pour moi, la discussion de l’article 37 ne doit pas être taboue quelle que soit la conclusion à laquelle nous aboutissons […] Je ne vois pas pourquoi, il faut s’affoler autour du fait simplement que la question soit posée ».
Le retrait de Roch Kaboré de la présidence du CDP allait lui permettre d’exprimer ses préoccupations vis-à-vis de l’évolution des sociétés africaines*** et, dans le même temps, de se retirer du devant de la scène politique « compaoriste ». Il fallait alors un nouveau patron au CDP. Ce sera Assimi Kouanda qui avait, déjà, beaucoup à faire (à la présidence du Faso, au gouvernement, à l’université et auprès de ses chevaux) et peu de temps pour le faire. Ce n’était pas, manifestement, l’homme qu’il fallait pour relancer le CDP confronté à une crise larvée et à la montée en puissance, au sein du parti, de la Fédération associative pour la paix avec Blaise Compaoré (FEDAP-BC) dont l’instigateur n’était autre que François, frère de Blaise, qui va fédérer les oppositions internes et l’exécration externe. « Il a le malheur, écrira Abdoulaye Ly, dans le mensuel Mutations (juin 2012), de cristalliser toutes les haines d’une grande partie de l’élite du pays et du peuple par l’association constante de son nom à certaines affaires sombres du Burkina dont celle de l’assassinat du journaliste Norbert Zongo ». Roch Kaboré et ses amis vont dès lors apparaître comme « l’opposition de gauche » au sein du CDP et les victimes du « stalinisme » compaoriste ; ce qui, évidemment, n’était pas l’objectif de « l’opposition de droite » qui entendra, malgré tout – mais en vain –, de sauvegarder l’unité du parti.
Drôle d’idée de proposer de changer la donne au moment même où on passe la main. Mais il est vrai que la perspective de la fin des années Compaoré, en 2015, commençait à susciter des vocations présidentielles. A commencer par celle de Roch Kaboré lui-même. Patron du parti, il s’était habitué d’ailleurs, à ce que des « élites » le quittent pour tenter leur chance en solo. Deux de ses ministres – et non des moindres – quand il était chef du gouvernement avaient déjà « joué les filles de l’air » : Zéphirin Diabré et Ablassé Ouédraogo.
A la base, parmi la jeunesse, l’hémorragie avait été forte aussi. Et puis il y avait eu « l’affaire Salif Diallo », énigmatique figure historique du régime (cf. LDD Burkina Faso 0137/Mardi 25 mars 2008) qui, après avoir dénoncé la « patrimonialisation » du pouvoir, avait été exilé à Vienne comme ambassadeur tandis que Roch Kaboré aurait bien voulu prononcer son éviction du CDP*. Mais la « refondation » du parti que prônait alors Diallo n’était-ce pas ce que proposait Roch Kaboré en 2012 ? D’ailleurs, aujourd’hui, Diallo est premier vice-président du Mouvement du peuple pour le progrès (MPP), le parti qui vient de porter Roch Kaboré à la présidence du Faso.
Le temps n’était plus en ce temps-là où le débat politique passionnait les Burkinabè (passion motivée sous la « Révolution », il faut le dire, par « la force des baïonnettes »). Après « l’affaire Norbert Zongo », les inondations dramatiques de 2009, les « mutineries » sanglantes et traumatisantes pour la population de 2011, l’opinion publique avait basculé du côté des « Y’en a marre » ; marre de tout ce fatras d’une nomenklatura qui ne résout pas les problèmes basiques de la population : insécurité, santé, formation, emploi, logement, accès à l’eau, délestages, etc. Non pas que les gouvernements ne fassent rien ; mais compte tenu des évolutions des modes de vie, le gap n’a cessé de se creuser entre nécessité et moyens. Les frustrations vont s’accumuler au sein de la classe moyenne (celle qui, justement, devrait s’intéresser à l’évolution politique du pays) ; quant à la base, les tensions se régleront, désormais, par la violence.
Roch Kaboré semblait conscient qu’il fallait passer à autre chose. Mais le CDP était englué depuis trop longtemps au pouvoir et paralysé à l’idée de le perdre un jour, brutalement, par « une remontée de la rue à la surface ». Il savait qu’il fallait libérer l’inventivité et la capacité d’entreprendre (y compris politiquement) des Burkinabè et que la bureaucratisation (au sens sociologique du terme) du mode de production politique était un frein considérable au développement des énergies sociales, et donc du pays.
Le Burkina n’est pas une société figée (les événements des 30-31 octobre 2014 en feront la démonstration), mais ses « élites » tendaient à l’être : trop à perdre, trop à défendre. Et partout, on déplorera une absence de prises de décision, de prises de risque ; on déplorera un mode de production au jour le jour, incapable de susciter l’enthousiasme et de se projeter dans l’avenir.
Roch Kaboré est un homme dont on dit qu’il est « mesuré » et qu’il sait désamorcer les situations critiques sans pour autant se mettre en difficulté. Il en a fait la démonstration, lors des « mutineries » de 2011, à la tête de l’Assemblée nationale, l’institution étant chahutée par les commerçants furieux d’avoir été les principales victimes des « mutins ». Il en a fait la preuve également au sujet du fameux article 37 qui limite à deux le nombre des mandats présidentiels.
Le samedi 6 février 2010, lors d’une conférence de presse à l’occasion du 14è anniversaire du CDP, il avait dit : « La limitation du mandat, dans son principe, est antidémocratique. Il va contre le droit du citoyen de désigner qui il veut »**. « Je pense que du point de vue du principe, ce n’est pas attaquable », maintiendra-t-il, le 17 mars 2011, alors qu’il était interrogé par Christophe Boisbouvier sur RFI. Limiter les mandats c’était, selon lui, considérer que les pays africains étaient des sous-démocraties incapables d’alternance.
Mais ce qui était « inattaquable » en 2010 va devenir problématique au lendemain de « l’affaire Justin Zongo » puis des « mutineries ». Roch Kaboré tiendra alors un langage qui se voulait de bon sens : « Pour moi, la discussion de l’article 37 ne doit pas être taboue quelle que soit la conclusion à laquelle nous aboutissons […] Je ne vois pas pourquoi, il faut s’affoler autour du fait simplement que la question soit posée ».
Le retrait de Roch Kaboré de la présidence du CDP allait lui permettre d’exprimer ses préoccupations vis-à-vis de l’évolution des sociétés africaines*** et, dans le même temps, de se retirer du devant de la scène politique « compaoriste ». Il fallait alors un nouveau patron au CDP. Ce sera Assimi Kouanda qui avait, déjà, beaucoup à faire (à la présidence du Faso, au gouvernement, à l’université et auprès de ses chevaux) et peu de temps pour le faire. Ce n’était pas, manifestement, l’homme qu’il fallait pour relancer le CDP confronté à une crise larvée et à la montée en puissance, au sein du parti, de la Fédération associative pour la paix avec Blaise Compaoré (FEDAP-BC) dont l’instigateur n’était autre que François, frère de Blaise, qui va fédérer les oppositions internes et l’exécration externe. « Il a le malheur, écrira Abdoulaye Ly, dans le mensuel Mutations (juin 2012), de cristalliser toutes les haines d’une grande partie de l’élite du pays et du peuple par l’association constante de son nom à certaines affaires sombres du Burkina dont celle de l’assassinat du journaliste Norbert Zongo ». Roch Kaboré et ses amis vont dès lors apparaître comme « l’opposition de gauche » au sein du CDP et les victimes du « stalinisme » compaoriste ; ce qui, évidemment, n’était pas l’objectif de « l’opposition de droite » qui entendra, malgré tout – mais en vain –, de sauvegarder l’unité du parti.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire