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mardi 18 août 2015

Immigration - Gambie : le pays qui prend ses jambes à son cou

Un groupe de migrants sur les rivages de la Méditerranée à la frontière entre l'Italie et la France. REUTERS/Jean-Pierre Amet
Reportage Gambie (1/3). Les moins de 30 ans fuient misère et répression dans ce petit Etat devenu champion du monde de l'émigration clandestine.
Indifférents à la chaleur et à la faim qui les tenaille, ils courent. Apprentis footballeurs que le ciel de plomb et le ramadan n'ont pas découragés, ils font le tour d'un terrain vague, entre des flaques suspectes et des ordures. Bras croisés, Bakary Badjie, le coach de l'équipe Blackpool, observe un joueur qui souffle, 3 mètres derrière les autres. Il soupire : "Il a 11 ans. Six de moins qu'eux. Je n'ai pas le choix, il n'y a plus que des enfants ici, tous les grands sont partis.
"En deux ans, j'ai perdu douze joueurs"
"Ici, entre les baraques en tôle, sans eau ni électricité, les chèvres cherchent l'ombre dans les ruelles terreuses. Ici, c'est le quartier Churchill's Town, près de Banjul, capitale de la Gambie. "En deux ans, j'ai perdu douze joueurs, poursuit Badjie. Le gardien, les milieux de terrain, les buteurs... La dernière fois, c'était il y a un mois, trois gars sont partis pour la Libye... L'équipe a été rétrogradée, les meilleurs ont pris leback way." Littéralement, le "passage secret". En Gambie, tout le monde comprend. Ils ont tenté de gagner l'Italie illégalement. Ce minuscule pays, enclave anglophone qui sépare la Casamance du reste du Sénégal, fait peut parler de lui. Il est pourtant champion dans un domaine : l'émigration clandestine. Depuis le début de l'année, selon l'Office international des migrations, 3 593 Gambiens ont atteint les côtes italiennes. Soit, pour une population de 1,9 million, 1,9 habitant pour 1 000. Parmi les dix premières nationalités répertoriées en Italie, seule l'Erythrée la devance.
Deux présidents depuis 1965
Mais la Gambie ne sort pas d'une guerre. Depuis son indépendance, en 1965, elle n'a connu que deux présidents. Yahya Jammeh, le délirant dictateur actuel, a pris le pouvoir par un coup d'Etat en 1994, puis a été "élu" quatre fois. Il faut lui reconnaître une imagination fertile : il a récemment ajouté à son titre - Son Excellence le cheikh professeur Alhaji Dr Yahya Abdul-Aziz Jemus Junkung Jammeh - celui de "Babili Mansa", en mandingue, "conquérant des rivières". Il prétend guérir le sida avec une boisson à base de plantes. Il a fait voter, en novembre 2014, une loi permettant l'emprisonnement à vie des homosexuels, qu'il menace de décapitation. Il fait disparaître opposants et journalistes et a rétabli les pelotons d'exécution.
"Un copain s'est noyé il y a deux mois"
Surtout, il maintient la Gambie (172e sur 187 pour le développement humain) dans la misère. Selon le Programme des Nations unies pour le développement, 60 % de la population y vit dans une "pauvreté multiforme", dont un tiers avec moins de 1,25 dollar par jour. Résultat, le pays prend ses jambes à son cou. Les anecdotes, à peine croyables, deviennent banales. En mai 2014, huit joueurs d'un autre club de foot, Cannon, sont montés dans un bus affrété par un ancien goal, parti en 2003. De l'équipe initiale il ne reste que deux frères, qui jurent qu'ils ne regrettent rien et qu'ils resteront. "On aurait pu mourir, affirme Ysufa Gaye, 29 ans. Un copain s'est noyé il y a deux mois..." Faut-il les croire ? Leur coach écoute, et la règle d'or du back way est que personne n'en parle avant de l'entreprendre.

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