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vendredi 20 février 2015

La communauté internationale surveille et veille sur le processus de transition au Burkina Faso », dixit Pr Abdoulaye Soma

Boudée pour être restée insensible aux cris de cœur du peuple burkinabè dans son combat contre la modification de l’article 37 de la Constitution, la communauté internationale semble s’être brusquement réveillée de ‘’son profond sommeil’’. C’est du moins, ce que l’on peut croire depuis un certain temps, surtout le 4 février dernier où le Secrétaire général adjoint de l’ONU (Organisation des Nations-Unies), chargé des Affaires politiques, Jeffrey Feltman a tenu un discours de fermeté quant à la bonne marche de la transition. Pour donner à l’opinion publique d’appréhender au mieux le sens et les implications de ce discours tenu sous un ton à tout le moins diplomatique, nous avons approché le professeur de droit international, Abdoulaye Soma qui est aussi revenu sur certaines de ses positions prises dans le débat public d’avant insurrection. Le Pr Soma a également décliné sa vision sur les réformes souhaitées dans ce contexte transitoire. Lisez !
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« La communauté internationale surveille et veille sur le processus de transition au Burkina Faso », dixit Pr Abdoulaye SomaLefaso.net : Le 4 février dernier, peu après le constat de non-tenue du Conseil des ministres suite à un mouvement d’humeur des militaires du Régiment de sécurité présidentielle (RSP), le Secrétaire général adjoint de l’ONU chargé des Affaires politiques, Jeffrey Feltman déclarait que « la Communauté internationale ne tolèrera aucune entrave à la transition ». D’abord, à quelle instance fait-il allusion, quand il parle de « communauté internationale » ?
Abdoulaye Soma : Techniquement, la communauté internationale peut être entendue dans un sens large comme dans un sens restreint. En droit international, on entend par communauté internationale au sens large, l’ensemble des acteurs de l’ordre international. Il peut s’agir des Etats, des organisations internationales, et certaines personnes privées telles que les entreprises multinationales, les ONG et même les individus qui jouent un rôle influent dans la conduite des relations internationales. Evidemment, ce n’est pas ce sens large qui importe ici. C’est le sens restreint qui est beaucoup plus utile et efficace ici. Au sens restreint, la communauté internationale désigne les sujets du droit international, les personnes qui disposent de la personnalité juridique en droit international, à savoir les Etats et les organisations internationales.
Dans la situation actuelle du Burkina Faso, lorsqu’il apparaît dans le discours du sous-Secrétaire général des Nations-Unies la notion de communauté internationale, on veut entendre non seulement les Etats partenaires du Burkina Faso dans cette situation de crise, mais aussi les Organisations internationales auxquelles fait partie le Burkina Faso, et qui sont impliquées dans le processus de la transition burkinabè. Donc ici, plus concrètement, quand on parle de communauté internationale, on veut parler de l’ONU, de l’Union africaine et de la CEDEAO (Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’ouest, ndlr) notamment, qui sont membres du Groupe international de contact, mais aussi des grandes chancelleries qui interviennent dans cette crise, comme la France, les Etats-Unis, l’Allemagne, et autres.
En termes courants et clairs, que veut dire M. Feltman quand il affirme que « la Communauté internationale ne tolèrera aucune entrave à la transition » ?
Cette assertion signifie que la communauté internationale surveille et veille sur le processus de transition au Burkina Faso, et que ce processus est garanti par la puissance internationale ; et qu’alors, s’il y a des événements qui tendraient à remettre en cause le processus de transition, c’est-à-dire la marche normale de la sortie de crise, la communauté internationale pourrait prendre ses responsabilités. Donc, en termes clairs, c’est le langage diplomatique dans lequel il faut voir une mise en garde contre tout acteur qui remettrait en cause le fonctionnement normal des institutions de la transition.
Il est évident que cette déclaration fait référence aux événements que vous avez mentionnés (dans la première question, ndlr), où on a constaté que le Conseil des ministres n’a pas pu avoir lieu le 4 février, et qu’il y a eu quelques tractations entre autorités militaires et politiques, même coutumières, religieuses et civiles, pour essayer de juguler la situation. Or, la tenue normale du Conseil des ministres fait partie du fonctionnement régulier des institutions républicaines. Donc, empêcher la tenue d’un Conseil des ministres, c’est entraver un peu la marche normale de l’Etat. Ce n’est pas catastrophique ; mais c’est quand même un acte emblématique. De ce point de vue, il faudrait que ce type d’actes ne soit pas répété à souhait. Avec le développement ultérieur de la situation, on peut bien espérer qu’il n’y aura plus de tels événements à l’avenir. En tout cas, c’est l’espoir que nous fondons ; l’avenir n’étant pas prédéterminé.
Le fait que le message du Secrétaire général adjoint ait été livré quelques heures seulement après ce mouvement d’humeur des militaires, est-ce par pure coïncidence, ou parce que l’ONU suit la situation à la minute près ?
Je pense que ce sont des choses liées. C’est parce qu’il y a eu cet incident, qu’il y a eu cette réaction. Cette réaction est directement impliquée par ce cas que nous avons vécu le 4 février. Il faut toutefois préciser une chose. La communauté internationale n’a pas ciblé un groupe ; elle a dit qu’elle ne tolèrera aucune entrave, c’est-à-dire de qui que ce soit ; que ce soit d’un acteur national ou international. Immédiatement, on peut voir le cas du RSP. Il est clair que ce mouvement du RSP soit concerné par cette déclaration.
C’est vrai, cette déclaration a été faite dans une circonstance particulière, mais elle a une portée globale. C’est une sorte d’assurance apportée aux autorités de la transition burkinabè, pour leur dire qu’elles ont le soutien de la communauté internationale ; que le Burkina Faso bénéficie de l’égard, de l’attention, de la bienveillance de la communauté internationale pour pouvoir sortir de cette situation transitoire où nous savons que les choses ne fonctionnent pas comme elles devraient l’être. Il faut aussi reconnaître que beaucoup d’efforts ont déjà été fournis pour pouvoir redresser la situation non seulement sur le plan politique, mais aussi constitutionnel et économique.
Je pense que l’ensemble des forces vives de la Nation, y compris les forces défense et de sécurité, devraient avoir cette direction de conduite que nous devons ensemble conduire un processus qui normalement, ne devrait pas avoir d’opposant, puisque nous sommes dans une construction nationale et c’est quand l’édifice sera construit que nous verrons quel acteur va occuper quel compartiment. C’est dans ce schéma qu’on devra voir des oppositions apparaître. Pour l’instant, on doit avoir une convergence d’idées, une convergence de volonté, une convergence des énergies pour pouvoir sortir de cette situation qui en fait, n’arrange personne.
Cette déclaration vue comme une mise en garde, vous l’avez dit, quelles peuvent être ses implications concrètes si elle venait à être outrepassée ?
Il vaudrait mieux qu’on n’envisage pas ce scénario ; en tout cas, au regard de l’espoir que je fonde sur la marche de la transition. Un scénario qui entrainerait un imbroglio ou une réaction ferme militaire de la communauté internationale n’arrange personne ; ni les acteurs qui seraient visés directement, ni même les autorités politiques actuelles, et la population de façon générale.
Je pense que les acteurs sauront raison gardée, pour éviter les débordements qui entraineraient des réactions beaucoup plus fermes de la communauté internationale qui, elle aussi, est prudente puisque dans toute gestion de crise nationale, le paradigme qui compte est celui de l’intérêt de la population à première vue. Tenant compte de cet intérêt qui est commun à l’ensemble des acteurs en présence, on pense qu’il est tout à fait possible que la situation du Burkina, qui n’est ni catastrophique, ni dramatique, puisse être traversée. Nous pouvons nous en sortir sereinement.
M. Feltman a aussi précisé que la communauté internationale tiendra pour responsables, ceux qui viendraient à entraver la marche de la transition. Qu’en est-il de la mise en jeu effective de la responsabilité dont il parle ?
Quand il y a responsabilité, c’est qu’il y a sanction. Si effectivement on envisage le pire et qu’un acteur quelconque se rend auteur d’entraves à la bonne marche de la transition, alors, cet acteur verra sa responsabilité engagée. Et quand on parle de responsabilité engagée, c’est une décision globale. Il peut s’agir d’une responsabilité politique, pouvant conduire à la neutralisation politique de cet acteur. Il peut s’agir de responsabilité pénale dont la mise en œuvre peut entrainer des poursuites au niveau international contre cet acteur. Mais il peut aussi s’agir d’une responsabilité vitale dans l’extrême, dont la mise en œuvre peut entrainer l’anéantissement ou la neutralisation de l’acteur concerné, par la communauté internationale.
De telles situations se sont déjà produites ailleurs. Quand la communauté internationale a senti qu’un acteur ou un groupe d’acteurs s’est rendu coupable d’actes entravant la bonne marche des institutions de façon grave et irrémédiable, elle a pris ses responsabilités, notamment par des frappes militaires ou par des sanctions ciblées. Ces types de sanctions peuvent être tout à fait envisagés dans le cas du Burkina Faso, si un groupe d’acteurs se rendait absolument auteur d’actes incompatibles avec la bonne marche de la transition.
Parlant de sanctions ciblées, est-ce qu’elles sont véritablement efficaces ?
Dans la dynamique des sanctions internationales, il y a eu une grosse réflexion qui s’est menée dans les années 1945, c’est –à-dire depuis la naissance de l’ONU, pour trouver la bonne formule de sanction qui soit la plus efficace. Et pour l’instant, les réflexions se sont stabilisées à ces sanctions ciblées, parce qu’à l’époque quand il y avait des troubles dans un Etat, l’ONU imposait des sanctions globales sur tout l’Etat. Mais, on a constaté que ces sanctions avaient des répercutions plus négatives sur les populations ordinaires que sur les personnalités qui étaient en réalité visées. Et pour mieux adapter ces sanctions, on a adopté le mécanisme de sanctions ciblées qui visent les fauteurs de troubles.
Actuellement, ce sont ces types de sanctions qui sont plus efficaces que les sanctions groupées. On a vu ce que cela a produit comme effets en Côte-d’Ivoire quand des proches du président Laurent Gbagbo ont été visés. Il s’agit notamment des interdictions de voyager, du gel des avoirs ; l’objectif étant l’étouffement de tels personnages pour anéantir leurs capacités de nuisance. Même si ces sanctions manifestent une certaine faiblesse, ce sont des sanctions qui sont les plus efficaces parmi la palette de sanctions possibles qu’inflige la communauté internationale.
D’aucuns pensent que la communauté internationale est restée anormalement inactive face à la situation tendue que traversait le Burkina Faso. Que peut-on comprendre du mécanisme de mise en branle de la réaction de la communauté internationale ?
Il faut comprendre que la réactivité, l’inactivité ou la passivité de la communauté internationale est une question d’Hommes. Il y a des mécanismes institutionnels qui sont mis en place au niveau des différentes organisations internationales auxquelles fait partie le Burkina Faso. Il s’agit notamment de la CEDEAO, de l’Union africaine, et des Nations-Unies. Dans des situations de crises, ces mécanismes sont supposés être mis en route suivant des procédures diplomatiques ou politiques prévues.
Diverses interférences peuvent avoir cours dans le déclenchement d’un mécanisme qui devrait être déployé dans une situation particulière. C’est pourquoi, je disais que c’est une question d’Hommes, puisqu’à chaque niveau, il y a des personnes qui sont responsabilisées pour prendre les décisions. Au niveau de la CEDEAO par exemple, l’impulsion doit être donnée par le président de la Commission qui, heureusement est un national. Il aurait dû donner l’impulsion le plus rapidement possible et faire intervenir la CEDEAO. Mais cela n’a pas été le cas dans le temps qui était souhaitable par la communauté nationale au Burkina Faso. Cela a fait qu’il y a eu une violente réaction de la société civile lorsque la CEDEAO est venue avec le Groupe international de contact pour aider à juguler la crise. Cela est un fait avéré qui a été critiqué par la population.
Le mécanisme est le même ; que ce soit au niveau de l’Union africaine ou au niveau des Nations-Unies, il y a une personne ou un organe qui est responsabilisé pour donner l’impulsion suivant des procédures propres dans le cadre du mécanisme de déclenchement de la réaction. Face à la situation du Burkina Faso, l’impulsion n’a pas été donnée à temps, par les personnes qui étaient habilitées à le faire.
Maintenant que cette communauté internationale soit proactive dans la surveillance, dans la veille du processus de transition, est quelque chose qui est à saluer. En veillant régulièrement sur la situation, on peut arriver à contenir les débordements possibles dans la conduite de la transition burkinabè.
Je pense que, tout en critiquant la communauté internationale, il faut aussi convenir que l’actuelle option est à saluer. La situation du Burkina Faso est difficilement contrôlable ; les événements se produisant dans des circonstances où personne n’est véritablement capable de prévoir quoi que ce soit. Même l’insurrection n’a pas été prévisible dans son ampleur. Rester collectivement attentionné à la situation burkinabè permettra d’éviter des dégradations graves.
Est-ce à dire que le dispositif organisationnel de la communauté internationale est gage d’un bon encadrement de la transition burkinabè ?
On peut dire qu’elle est mieux organisée qu’au début de la crise où elle a affiché un tâtonnement. Aujourd’hui, on a déjà des choses bien ciblées. On a le Groupe international de contact investi d’une mission ad hoc de surveillance de la transition. C’est un Groupe qui a des relais au sein des différentes catégories d’acteurs nationaux impliqués dans la conduite de la transition ; et ce sont ces relais qui lui fournissent régulièrement des informations sur le processus. Et si ces informations sont alarmantes, il peut rapidement prendre les dispositions nécessaires pour juguler la situation.
Je pense que normalement, si le dispositif actuel est vraiment mis en œuvre, il n’y a pas à craindre que quelque chose surprenne la communauté internationale. Actuellement, l’ONU, l’Union africaine, la CEDEAO, sont suffisamment saisies de la situation du Burkina Faso. Ces organisations ont effectué des missions conjointes ou isolées au Burkina pour s’imprégner de la situation et proposer des axes d’appui. On peut donc penser que la situation est en cours de meilleur traitement au niveau de la communauté internationale. On peut espérer que la communauté internationale sera toujours informée en temps utile, et réagira chaque fois qu’il y aura des événements de nature à porter atteinte à la bonne marche de la transition.
Vous qui êtes impliqué - à un certain niveau - dans la conduite de cette transition, la presse a fait état entre-temps, de ce que vous aviez soutenu les velléités de modification de l’article 37 de la Constitution, et que vous auriez également été « conseiller dans l’ombre du CDP, parti jusqu’alors au pouvoir ». Qu’en est-il ?
Face à ces allégations à tout le moins surprenantes, j’ai exercé un droit de réponse pour rétablir la vérité. A un moment donné, il faut savoir rétablir la vérité. Je pense que la liberté d’expression commence à partir de faits avérés. Si un fait est avéré, évidemment, les journalistes doivent pouvoir jouir amplement de la liberté d’interprétation, de commentaire, dans l’intérêt même de la démocratie. Je pense que les journalistes ne peuvent pas s’amuser à manipuler des faits qui ne sont pas avérés. Comme ces faits ne sont pas avérés, et je le réaffirme, c’est pourquoi j’ai tenu à faire un droit de réponse. Et ce que je dis est vérifiable ; tous les acteurs étant là. Une petite vérification permet de savoir qui a été le conseiller de quoi.
Sur la question de savoir si j’ai été conseiller du CDP (Congrès pour la démocratie et le progrès, ndlr), je dis non. Ce non est ferme, puis que je n’ai jamais été contacté par le CDP pour le conseiller en quoi que ce soit. Je n’ai jamais eu à faire ça. C’est une vérité qu’il faut aussi rétablir à l’égard des responsables du CDP, qui ne m’ont jamais demandé ès qualité de les conseiller. Tous les acteurs étant là pour fournir la vraie information.
Jusqu’à ce jour, je ne suis pas politiquement engagé. Je ne suis membre d’aucune formation politique, je n’ai jamais été membre d’une formation politique. Actuellement, la contribution que je fais pour le Burkina Faso, est une contribution que je place simplement à un niveau technique. Je ne fais que ce que je connais. Et ce que je connais, c’est le droit constitutionnel, c’est le droit international, ce sont les droits de l’Homme. Vous ne me verrez pas faire d’analyse en dehors de ces domaines. Mais, quand je fais des analyses dans ces domaines, je prends les précautions nécessaires pour éviter au maximum, des erreurs. Et chaque fois, mon argumentation est appuyée par le droit ; ce qui fait qu’il est difficilement contestable, sauf sur des questions d’interprétation.
Sur le fait que j’aurais défendu la modification de l’article 37, je pense que là aussi, les choses sont vérifiables, parce que j’ai accordé des interviews à la presse et les comptes rendus sont publics. Je réaffirme aujourd’hui encore, ma position que j’ai toujours tenue. Par rapport à l’article 37, j’ai estimé que la modification de la Constitution par voie de référendum est quelque chose de prévue. Quand vous lisez la Constitution actuelle du Burkina Faso, vous verrez à l’article 164 qu’il est possible de modifier la Constitution par voie de référendum. Ça, c’est un fait incontestable ; c’est la situation du droit constitutionnel burkinabè que n’importe qui peut constater. Donc, j’ai affirmé cela.
Toutefois, j’ai dit que la modification de cette disposition, qui porte sur la limitation du nombre de mandats présidentiels et qui a pour esprit de permettre l’alternance au Burkina Faso, serait contraire aux engagements internationaux du Burkina Faso. Je pense que dans la chronologie du débat sur cette question, j’ai été le premier à soulever la contrariété qu’il y aurait entre la modification d’une disposition constitutionnelle litigieuse et le droit international qui lie le Burkina Faso, en citant notamment le protocole de la CEDEAO de 2001, la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la bonne gouvernance de 2007 que le Burkina Faso a ratifiée.
En maintenant ma position que pour moi, le droit international est supérieur au droit constitutionnel, je dis que si une modification est conforme au droit constitutionnel mais contraire au droit international, cette modification ne peut pas prospérer, et ne peut donc être soutenue puisque dans cette contrariété, il faut que le droit international prime. Comme le droit international interdit une telle modification, on ne peut pas se fonder sur le droit national qui l’autorise, pour l’opérer. Voici mon raisonnement. Ce raisonnement, je l’ai diffusé dans plusieurs organes de presse, notamment le vôtre (Lefaso.net, ndlr), dans le cadre d’une déclaration officielle de la Société burkinabè de droit constitutionnel (SBDC).
Je ne comprends vraiment pas les polémiques que l’on a eues sur la position que j’ai soutenue par rapport à cette question de modification constitutionnelle, sans apporter les preuves contraires. J’ai tous les documents publiés sur ma position ; et je me mets à la disposition de quiconque voudrait vérifier. Et donc, si quelqu’un pense que j’ai défendu une position contraire à ce que je dis, que la personne sorte aussi les documents dans lesquels j’ai tenu ces positions contraires, et nous apprécierons ensemble. Je ne dis pas que je ne peux pas me tromper sur le plan de l’analyse. Et j’assume toujours ce que je dis. Constitutionnellement, la modification par voie référendaire de l’article 37 est possible ; mais elle est incompatible avec le droit international. Et ma position doctrinale en tant qu’internationaliste, c’est que le droit international prime sur le droit constitutionnel, et cela n’autorisait pas la modification.
Dire que l’article 37 est modifiable, c’est incontestable parce que l’article 164 de la Constitution l’autorise ; et dire que l’empêchement de l’alternance est un changement anticonstitutionnel de gouvernement contraire au droit international, est aussi incontestable parce que l’article 23 de la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la bonne gouvernance le dit. A partir de là, tout est une question de cohérence et de raisonnement.
Si tant est que vous avez défendu la position selon laquelle la modification de l’article 37 de la Constitution ne peut être soutenue parce que contraire au droit international liant le Burkina Faso, est-ce que vous avez apporté votre soutien aux mouvements contestataires de cette modification ?
Lorsqu’on était dans ce débat sur la modification de l’article 37, j’ai fait une conférence publique où j’ai critiqué la massivité des pouvoirs du président de la République que j’ai qualifié d’oracle constitutionnel. J’ai précisé qu’il y a trop de pouvoirs conférés au président de la République. J’ai suggéré une modification de la Constitution pour réduire ces pouvoirs, de sorte à établir un équilibre institutionnel au Burkina Faso.
J’ai animé des conférences publiques où j’ai dit que la modification de l’article 37 n’est pas possible en l’état actuel du droit international applicable au Burkina Faso. Si on se limite au droit constitutionnel du Burkina, on peut dire que cette modification est possible, parce que l’article 37 ne fait pas partie des dispositions insusceptibles de modification. Mais j’ai aussi dit que l’analyse doit dépasser le cadre du droit constitutionnel burkinabè, puisque le Burkina Faso a pris des engagements au niveau international ; des engagements qui doivent infiltrer l’analyse de la modification constitutionnelle au Burkina Faso.
Votre contribution dans le combat contre la modification de l’article 37 n’a donc été que théorique
La Société burkinabè de droit constitutionnel (SBDC) que je dirige, fait partie des sociétés dites savantes. Ce sont des organisations qui fondent leurs actions sur la science. Elle est, de ce point de vue, différente d’une organisation syndicale, d’une organisation partisane. Statutairement même, son action est limitée à la réflexion, à la sensibilisation, à la conviction ; et je pense que la SBDC a pleinement joué sa mission statutaire par rapport au débat national sur l’article 37. Ce qui veut dire que la SBDC n’aurait pas pu institutionnellement, se retrouver en train de marcher ; statutairement, elle n’est pas autorisée à le faire. D’un point de vue institutionnel, voici donc la limite de cette structure que je dirige.
Mais, individuellement, de nombreux membres de la SBDC, qui sont également membres d’autres associations, et ayant leurs convictions personnelles, ont pu aller aux marches non pas au titre de la SBDC, mais à celui soit d’autres associations auxquelles ils appartiennent, soit à titre personnel.
Personnellement, les premiers jours des marches, je ne suis pas sorti. Mais le 31, j’étais à la place de la Nation, j’ai rencontré plusieurs de mes collègues, plusieurs de mes connaissances là-bas.
Les personnes qui animent la SBDC ont fait leurs manifestations publiques à des degrés différents ; chacun assumant la responsabilité de ce qu’il a fait à titre individuel. Pour ma part, je précise encore que les 28, 29 et 30, je n’étais pas dehors. Le 31 octobre, j’étais à la place de la Nation. Je ne revendique pas la plus haute participation à l’insurrection, mais voici ce qu’il en a été en réalité.
Comment doit-on comprendre les prestations intellectuelles que vous avez sans doute faites pour le CDP en rapport avec votre neutralité partisane que vous clamez tant ?
Je pense qu’il faut distinguer entre prestations intellectuelles et appartenance partisane. C’est une distinction qui doit forcément être faite. Il y a que ma ligne de conduite, c’est ma neutralité partisane. Et actuellement, vous pouvez faire toute vérification, vous ne verrez nulle part que j’ai été membre d’une formation politique. En vertu de cette neutralité partisane, je ne suis membre d’aucun parti politique, mais je peux assurer des prestations techniques au profit de partis politiques.
Dans le cadre de ces services techniques, j’ai eu à animer une conférence publique pour le CDP à l’hôtel Laïco sur l’exercice de la souveraineté par le peuple ; j’ai fait une conférence pour l’ADF/RDA (Alliance pour la démocratie et la fédération/ Rassemblement démocratique africain) à N’Dorola sur l’alternance au pouvoir, et j’ai eu à animer des conférences pour ‘’Le Faso Autrement’’ qui est un parti d’opposition. Au-delà de ces conférences, aucun dirigeant de parti politique ne m’a jamais demandé ès qualité des conseils à donner à son parti.
Cela veut dire que s’il s’agit de services techniques et que je suis sollicité, que ce parti soit de la majorité ou de l’opposition, je suis capable d’accepter ou de refuser.
Je pense qu’il y a ce devoir d’explication de ma part. Mais l’image que je veux renvoyer à la communauté nationale, c’est celle de la neutralité partisane et politique. Je veux aussi lui envoyer l’image de services scientifiques à la Nation dans toutes ses composantes. C’est une ligne de conduite que je vais maintenir pendant un certain temps.
Quel souvenir gardez-vous des journées du 30 et du 31 octobre 2014 au cours desquelles l’insurrection populaire a été menée ?
Je garde de ces journées, un double souvenir. D’abord, sur le plan juridique ; et ensuite, sur le plan politique.
Sur le plan politique, le souvenir qui me vient en tête, c’est la récupération par le peuple, de son pouvoir ; la récupération par le peuple, de sa souveraineté. On était dans une situation politique où, soit la modification réussissait et on aurait un verrouillage du jeu politique au Burkina Faso tel qu’on n’aurait pas pu espérer un développement politique et démocratique dans notre pays avant un certain nombre d’années. Mais je pense que c’est la prise de conscience par le peuple de la réalité de ce verrouillage qui a déterminé les gens à mener l’action jusqu’au bout. Ce qui a abouti à la chute du président Blaise Compaoré.
Toujours sur le plan politique, il faut également retenir la détermination – c’est vraiment le constat que l’on a pu faire – du peuple burkinabè. On a avait toutes les raisons de craindre que la force soit du côté du régime. Et que de ce point de vue, les manifestations étaient très risquées. Mais de milliers de personnes ont accepté prendre ce risque pour l’aboutissement de la lutte, et la consécration de ce que nous connaissons aujourd’hui.
Je dois préciser que cette détermination a été faite aussi bien sur le plan physique, c’est-à-dire de la démonstration de force avec les manifestations, mais aussi sur le plan intellectuel avec un certain nombre de personnalités, notamment de la société civile qui ont maintenu, même pendant les manifestation, le rôle de veille pour pouvoir communiquer avec l’extérieur sur ce qui se passe. Il y a donc eu ces deux fronts qui ont été ouverts, le front des manifestations et le front des analyses, de l’interprétation, de prise de position par voie médiatique pour porter le message au niveau international. Ce qui a déterminé le soutien de la communauté internationale à l’insurrection.
Et sur le plan juridique, c’est la démission du président Compaoré. Cette démission qui est intervenue le 31 octobre, a ouvert une nouvelle phase constitutionnelle qui a concerné la vacance du pouvoir. Selon l’article 43 de la Constitution, lorsque le président de la République démissionne, et est donc définitivement incapable d’exercer le pouvoir, s’ouvre cette phase de vacance du pouvoir, à laquelle il faut pourvoir par l’élection d’un président intérimaire en attendant les prochaines élections.
Et le peuple a ouvert cette brèche dès lors que pendant la lutte, le constat a été fait que le résultat recherché pouvait être obtenu. C’est ainsi que la vacance de la présidence du Faso a été réalisée pour permettre l’élection d’un nouveau président de la République ; ce qui a permis d’aboutir à tout ce que nous avons connu jusque-là. Donc, autant sur le plan politique que sur le plan juridique, ces journées ont été caractérisées par la détermination du peuple au changement démocratique.
A quoi faites-vous allusion lorsque vous dites que pendant que le peuple dans sa grande majorité était dans les rues, certaines personnalités de la société civile communiquaient avec l’extérieur pour défendre la manifestation ?
Je veux simplement faire allusion à cette réalité qui est que dans toute lutte, il y a ces deux versants. Il y a le versant de l’action, et il y a le versant de la réflexion. Aucune lutte au monde ne peut réussir sans les deux aspects.
Il faut une partie de ceux qui partagent le même idéal pour faire des actions sur le terrain, et une autre partie doit rester dans la réflexion pour faire aboutir les idées. A un moment donné, pour qu’une lutte aboutisse, il faut l’action mais il faut aussi le soutien. Et ce soutien ne peut être obtenu qu’avec la conviction sur fond de réflexion pour sortir des analyses qui favorise la détermination dans la manifestation.
Je pense que dans le cadre de l’insurrection au Burkina Faso, le jeu a été très bien mené ; pendant que les manifestations se déroulaient, des acteurs qui remplissaient un certain nombre de conditions, étaient encore au front de la communication, de la réflexion, de l’analyse, de la conviction, pour expliquer ce qui se passe, pour expliquer en quoi le peuple a raison de faire ce qu’il fait. Ce qui est tout à fait important. Par cette démonstration, par cette conviction sur le bien-fondé de la lutte, on a pu attirer aussi le soutien de la communauté internationale ; ce qui a aussi été décisif dans la lutte.
Bien menée, cette lutte a engendré une transition politique en marche, et au cours de laquelle on parle beaucoup de réformes. Vous qui êtes constitutionnaliste, quelles formes seraient techniquement possibles, au regard du temps restant pour cette transition ?
Je pense que tout est possible. Et quand je dis tout, ce sont, autant des amendements à la présente Constitution, que la rédaction d’une nouvelle Constitution. D’ailleurs, dans la loi organique portant sur la commission de la réconciliation nationale et des réformes, une des missions qui ont été confiées à la sous-commission des réformes politiques et institutionnelles, c’est de faire des amendements à l’actuelle Constitution, ou de rédiger le projet d’une nouvelle Constitution. C’est pourquoi je dis que tout est possible, c’est-à-dire les deux options. Il suffit que les autorités décident et que les techniciens se mettent à l’œuvre.
Si on dit aujourd’hui qu’on veut faire des amendements à l’actuelle Constitution, c’est possible. Elaborer une nouvelle Constitution et éventuellement passer à une Vè République, techniquement c’est aussi possible. Dans l’état actuel du fonctionnement des choses, on n’a pas besoin de six mois ou d’une année pour rédiger une nouvelle Constitution tout à fait adaptée à la situation du Burkina Faso. Mais c’est une décision politique que les autorités politiques doivent prendre. Les techniciens peuvent, bien entendu, leur donner des avis ; mais l’impulsion décisionnelle leur appartient.
Dans cette situation, mon avis personnel en tant que technicien constitutionnaliste, c’est qu’on devrait aller dans le sens de la rédaction d’une nouvelle Constitution. Je sais toutes les implications politiques, techniques, matérielles que cela comporte, mais je pense honnêtement que si on veut reconstruire, si on veut donner corps à cette motivation nationale de renouveau au Burkina Faso, il faut aller vers la rédaction d’une nouvelle Constitution. Et je dis que c’est techniquement possible parce qu’on a les compétences techniques pour le faire, on a le temps et les moyens pour le faire.
Je pense que la Constitution de la IVè République est ontologiquement limitée à réguler la situation actuelle du Burkina Faso. Je dis cela, parce que chaque Constitution a sa logique intrinsèque qu’on ne peut pas détruire sans bouleverser fondamentalement la Constitution. Et la logique intrinsèque de la Constitution de la IVè République, c’est que c’est une Constitution faite pour s’appliquer en période de déséquilibre des forces politiques ; alors qu’au Burkina Faso actuellement, on est comme dans une situation d’équilibre des forces politiques. Donc, si on maintient une Constitution qui est faite pour régir une situation de déséquilibre des forces politiques, pour l’appliquer à une situation d’équilibre des forces politiques, il y a un grand risque de perturbation du fonctionnement normal et régulier des institutions. Et c’est ce risque que je voudrais qu’on ne prenne pas. C’est pourquoi, mon argumentation tend à convaincre pour la rédaction d’une nouvelle Constitution. Quelques que soit le format, et les options politiques qui peuvent être faites à l’intérieur, c’est un travail qui peut être fait selon le droit et dans le respect de l’intérêt général.
Si vous devriez adresser un message fort aux acteurs déterminants de cette transition, que leur diriez-vous ?
Mon souhait c’est que la transition fasse une refondation institutionnelle de l’Etat. Les élections, pour moi, elles sont très importantes ; mais, elles sont en seconde position.
La refondation institutionnelle de l’Etat est pour moi, la priorité. Les élections, la seconde priorité. Les deux choses sont essentielles à réussir par la transition et dans le délai qui lui est imparti. C’est comme une image. Nous avions une maison que nous avons critiquée parce qu’elle n’était pas bien bâtie et qu’il faut donc reconstruire. Cette reconstruction est sortie de la bouche des insurgés. S’il faut reconstruire la maison, il faut refonder institutionnellement l’Etat. Il faut construire la maison d’abord, avant d’y mettre les occupants. Et cette reconstruction doit être faite sur des bases solides. Si cette reconstruction est mal faite, les débordements ne peuvent pas manquer.
Pour moi, il faut bien faire la refondation et organiser les élections. Et cela est tout à fait possible sans incidence sur les délais qui sont fixés. C’est techniquement possible.
J’appelle vraiment les acteurs déterminants de cette transition, qu’ils soient au niveau des acteurs politiques, qu’ils soient au niveau des autorités coutumières ou religieuses, au niveau des forces de défense et de sécurité, ou de la société civile, à se concentrer sur ces deux choses : refonder l’Etat et organiser les élections. Les deux choses sont souhaitables, et les deux choses sont encore possibles.
Entretien réalisé par Fulbert Paré

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