Putschiste récidiviste recherché par la justice américaine pour complicité de narcotrafic, le chef d'état-major de l'armée bissau-guinéenne était devenu trop encombrant.
Dans les lieux publics de Bissau, on prononçait son nom à voix basse, surtout lorsqu'il s'agissait d'évoquer les nombreux trafics qu'on le soupçonnait de coordonner. De la coupe sauvage de bois au business de la cocaïne, on prêtait au général António Indjai, chef d'état-major de l'armée, un rôle de parrain tropical percevant sa dîme sur chaque cargaison. "L'armée fonctionne de manière collégiale, mais Indjai passait pour le principal organisateur de tous ces trafics", analyse un bon connaisseur du pays.
Et nul, pas même dans la classe politique, ne s'aventurait à défier cet officier balante [l'ethnie la plus importante du pays, très représentée dans l'armée], à l'origine de deux putschs. Le 1er avril 2010, il renversait Carlos Gomes Júnior, le Premier ministre, et se débarrassait de José Zamora Induta, le chef d'état-major, dont il était l'adjoint.
Trois mois plus tard, il était nommé à ce poste clé dans un pays où, depuis l'indépendance, armée et pouvoir entretiennent des relations incestueuses. Il est alors déjà dans le collimateur de Washington, l'ambassade des États-Unis à Dakar ayant estimé que les "actes d'insubordination, d'indiscipline et de mutinerie" attribués à Indjai le rendaient "indigne de diriger les forces armées bissau-guinéennes".
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Les trafics explosent dans l'impunité la plus totale
En avril 2012, au lendemain du premier tour de l'élection présidentielle, Indjai lance ses troupes hors des casernes et interrompt le processus électoral. Carlos Gomes Júnior, le candidat du Parti africain pour l'indépendance de la Guinée et du Cap-Vert (PAIGC), est forcé de s'exiler, et le pays bascule dans une période d'instabilité dont il mettra deux ans à se relever. Dans les coulisses du régime intérimaire d'union nationale, l'influence du général est plus forte que jamais.
Les trafics explosent dans l'impunité la plus totale, et, pendant que des intermédiaires chinois exportent du bois par cargos entiers, les cartels de la cocaïne bénéficient de complicités au sommet des forces armées.
Le 3 avril 2013, la Drug Enforcement Agency américaine procède à un coup de filet au large des côtes bissau-guinéennes et arrête le contre-amiral Bubo Na Tchuto, ex-chef d'état-major de la marine. Indjai parvient, lui, à éviter le piège. Depuis, il est recherché par la justice new-yorkaise et placé sous mandat d'arrêt international pour avoir accepté de prendre part à une transaction virtuelle destinée à acheminer de la cocaïne aux États-Unis. Même s'il reçoit le soutien de principe du régime de transition, l'accusation est lourde à porter pour un chef d'armée.
Le pays sous perfusion de l'aide internationale
Lors de la double élection de 2014 (présidentielle et législatives), tous les yeux sont rivés sur lui : va-t-il rééditer un coup de force si le "candidat de l'armée", Nuno Gomes Nabiam, son ami de trente ans, ne parvient pas à s'imposer face au PAIGC ? Et laissera-t-il un président entamer une réforme du secteur de la sécurité, que personne n'a jamais osé mettre en oeuvre de peur de mécontenter les casernes ?
Dans l'un des pays les plus pauvres du monde, sous perfusion de l'aide internationale, la réputation d'Indjai ne pouvait qu'indisposer partenaires et bailleurs de fonds, et entraver la marge de manoeuvre du nouveau gouvernement. Le 15 septembre, Indjai a donc été démis de ses fonctions par le président José Mário Vaz, puis remplacé par le général Biague Nantam, un vétéran de la guerre d'indépendance. "Cela fait longtemps que le départ d'Indjai était en discussion, y compris avec lui, témoigne la même source. Reste à savoir quel type de garanties il a obtenu."
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