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vendredi 3 octobre 2014

PATRONAT GUINEEN : Autopsie d’un secteur malade

Au-delà des appréciations que les uns et les autres en tirent, le forum économique guinéo-marocain du 9 septembre dernier, aura surtout été une occasion de réaliser les divisions et les mesquineries qui caractérisent les organisations patronales guinéennes. La terrible illustration étant que les patrons guinéens n’aient pas réussi à s’accorder sur la personne devant parler au nom de tous, à ce grand rendez-vous économique. Ce que beaucoup peuvent expliquer par des querelles d’égo et d’humeurs, mais qui, en réalité, se justifie par des raisons plus encore plus complexes. Flashback.
La division, une lacune congénitale aux patronats guinéens
Toutes les tentatives de mise en place d’organisations patronales auront en effet été quelque peu caractérisées par des bisbilles. C’est ainsi que la Chambre nationale d’agriculture et le Conseil national du patronat de Guinée (CNP-Guinée) sont nés des entrailles  de la Chambre de commerce, d’industrie et d’agriculture de Guinée (CCIAG), dont l’avènement date de 1985. C’est après que le secteur de l’agriculture se soit constitué en entité autonome que la CCIAG prendra le secteur de l’artisanat sous son aile. En 2002, à travers une lettre commune datant exactement du 14 novembre, ces trois organisations (Conseil national du patronat, Chambre nationale d’agriculture, Chambre de commerce, d’industrie et d’artisanat de Guinée) et la Chambre des mines, qui avait émergé entretemps, manifestent leur vœu en faveur de la mise en place d’une structure patronale faitière.
Une initiative que les dirigeants de ces quatre organisations justifiaient alors par le fait que « l’absence de cohésion et d’actions concertées, le chevauchement dans les attributions et dans les efforts, les velléités de leadership constituent autant de facteurs qui empêchent nos structures d’assurer collectivement et efficacement leur rôle d’interface entre l’administration et le secteur privé ». En conséquence, suggérant que la structure faitière puisse s’appeler ‘’Conseil national du secteur privé guinéen (CNSPG)’’, ils entendaient conférer à cette dernière la mission de ‘’coordination susceptible d’assurer une synergie des efforts et des compétences des quatre organisations fondatrices’’
Sur la base de l’esprit affirmé dans cette lettre, l’idée a été jugée à la fois ‘’courageuse et prometteuse’’ par une mission d’évaluation financée par l’ONUDI. Mais elle révélait le paradoxe qui, de la part des initiateurs, consistait à se référer à l’Etat pour la mise en place de cette structure faitière. En effet, une demande formelle avait été adressée via le ministère du commerce, pour que la création du CNSPG ainsi que la nomination des membres de son bureau exécutif, soient formalisées par un décret présidentiel. Une telle requête de la part d’une organisation du secteur privé, avait quelque chose d’anormal.
Par ailleurs, la mission d’évaluation avait également noté un léger décalage entre les objectifs et les missions du CNSPG tels qu’exprimés dans la lettre du 14 novembre 2002 et les mêmes objectifs et missions tels qu’ils étaient affirmés dans les statuts de la nouvelle organisation. Alors que dans lettre, l’accent était davantage mis sur le volet coordination et synergie, dans les statuts, on avait l’impression que le CNSPG devait in fine remplacer les organisations fondatrices. De même, les membres fondateurs du CNSPG n’avaient pas trouvé utile d’élaborer un document devant préciser les modalités de collaboration entre les structures composant l’organisation faitière.
Ces lacunes parmi tant d’autres, devaient entrainer la fissure du nouvel édifice, avant même sa mise en place. Exemple : à la signature des statuts du CNSPG, le 28 décembre 2002, la Chambre des mines n’était pas représentée. Et c’est à se demander, si ce ne sont pas ces divergences et insuffisances qui continuent encore à polluer le milieu des organisations patronales guinéennes ?
Le secteur privé guinéen face à de nombreuses difficultés
En attendant une réponse à cette question, il n’est pas inutile de préciser que les querelles auxquelles se livrent les patrons guinéens impactent négativement le secteur privé, dans son ensemble. Or, ce dernier, faisant lui-même face à un certain nombre de fléaux, aurait pu se passer de cet autre problème. Au-delà de l’hypertrophie du secteur informel et de la prédominance des activités commerciales au détriment de celles industrielles et agricoles, le secteur privé guinéen demeure toujours confronté à de nombreuses difficultés. Naturellement, depuis l’avènement de la troisième république, bien des efforts ont été consentis notamment dans le cadre de la lutte contre les tracasseries administratives ; mais les entrepreneurs guinéens font toujours face à d’énormes difficultés pour accéder aux crédits. De même, ils se plaignent d’une fiscalité peu adaptée au contexte de la mondialisation, de coûts trop élevés des facteurs de production (eau, électricité, communications, transports, etc.), du manque d’infrastructures et d’équipements productifs, du niveau toujours élevé de l’insécurité, du niveau jugé bas et de l’inadéquation de la formation professionnelle ou encore de l’accès inéquitable aux marchés publics.
Autant de problèmes qui inhibent les initiatives entrepreneuriales et qui affectent bien d’ambitions de la part des chefs d’entreprises guinéens. Il en résulte tout d’abord que les entreprises guinéennes ont une faible capacité d’absorption de la main d’œuvre nationale, mais aussi qu’elles ne sont pas particulièrement compétitives, au-delà des frontières nationales. Contrairement à ce qu’on peut penser, c’est tout le monde qui, en définitive, est victime.
La voie de la rédemption
C’est pourquoi un sursaut est presqu’une obligation. Il est dans l’intérêt de tous et de tout le pays que la tendance soit inversée, et dans les meilleurs délais. Ce qui suppose que, de part et d’autre, on ravale rancœurs, frustrations et orgueil et qu’on se mette à un niveau qui permette de voir davantage les intérêts généraux que ceux corporatistes et/ou personnels. C’est après cette indispensable remise en cause personnelle que l’on doit procéder à une relecture objective et lucide de l’histoire des organisations patronales du pays. L’idée étant de recenser et d’en extraire tout ce qui est de nature à semer la confusion et à générer la division.
Evidemment, il convient de préciser ici que contradiction est différente de division. La première étant nécessaire et porteuse de progrès, les acteurs doivent plutôt s’en accommoder. Sans préjuger du résultat de cet examen rétrospectif, il semble tout de même évident que les acteurs doivent tous œuvrer en faveur d’un secteur privé guinéen suffisamment indépendant de l’Etat. S’il est dans le rôle de ce dernier de booster le secteur privé dans son ensemble, il ne doit cependant d’aucune manière s’ingérer dans l’organisation interne des acteurs du secteur privé.
L’unité, seule solution !
Quand ces conditions préalables auront été réunies, les patrons guinéens, comme ils l’avaient idéalisé à travers la lettre du 14 novembre 2002, pourront, partant des organisations sectorielles de base (agriculture, pêche, commerce, industrie, etc.), remettre en place une structure patronale faitière. Parce qu’à un moment donné, il est d’une nécessité impérieuse que les opérateurs économiques du pays puissent parler d’une même voix, au-delà  de la concurrence qui singularise les économies de type libéral. Pour autant, les organisations sectorielles doivent demeurer intactes et garder toutes leurs prérogatives. Quitte à préciser au détail près leurs liens avec cette superstructure qui devrait impulser une image positive du patronat guinéen, capable de s’élever grâce à une vision stratégique solide pour le développement du pays.      
Boubacar Sanso BARRY pour GuineeConakry.info

 

 


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