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mercredi 1 octobre 2014

Dossier – Ebola et la poudrière de la Guinée Forestière


La maladie à virus Ebola ne pouvait pas frapper à un moment plus difficile pour la région de la Guinée Forestière, devenue l’épicentre de la maladie. Depuis des années, un faisceau de facteurs externes et internes a fait de la région la convoitise des multinationales minières mais aussi de groupes armés, de milices, et de politiciens en quête de bétail électoral. Ces facteurs ont créé une dynamique qui a fini de transformer la région en une véritable poudrière. 

Une des manifestations des étincelles fréquentes autour de la poudrière est le drame de Womey.  C’est le drame de trop qui devrait interpeller la conscience collective sur les dangers d’une nation hors-la-loi où chacun peut donner libre cours à sa colère. Après les élections législatives, ceux qui espéraient que l’expression de la colère ou des différences de point de vue se ferait à travers des débats houleux des représentants du peuple à l’Assemblée Nationale ont vite déchanté. La démocratie représentative n’a pas vu le jour encore. Au contraire, ce sont les assemblées hebdomadaires du RPG qui traitent des questions importantes de la nation. Au vu du déficit de démocratie et de justice, les Guinéens ne font plus dans la dentelle pour manifester leur désaccord avec l’Etat. Ils caillassent les véhicules, manquent de respect aux officiels, et vont jusqu’à les tuer froidement. Gouverneurs, préfets, ministres, premiers ministres, volontaires des ONGs humanitaires, médecins, personne n’est épargné. Cette défiance envers l’Etat se manifeste le plus en Guinée Forestière ou les pogroms intercommunautaires non résolus ont transformé la Forêt en une jungle où règne la loi du plus fort.

Le consensualisme qui est devenu le fondement moral du pays s’accommode de compromis et de compromission pour, dit-on, préserver la paix. Mais, la paix est tellement élusive que le pays a acquis la particularité de « pays en conflit » sans avoir subi une guerre. Le consensualisme empêche de résoudre les conflits par la guerre mais ne favorise pas l’instauration d’une paix durable, car il consiste à faire des bandages sur les plaies béantes des différends intercommunautaires récurrents. Pour désamorcer la poudrière forestière, il est nécessaire de comprendre les origines des tensions récurrentes et les incidents de violence dans la région. A cet effet, la coopération allemande avait appuyé l’ONG  « Coalition Nationale pour la Paix en Guinée » en juin et juillet 2011 pour mener des enquêtes de terrain dans différentes localités de la région forestière. Les enquêtes relèvent que les incidents de violences résultent de tensions entre les populations autochtones (les Kpèlè ou Guerzé, les Toma, les Kono et Mano) aux populations allochtones Mandingues (Malinké, Konyanké et Toma-Mania). Ces tensions ont des origines multiples examinées ci-dessous.

Le favoritisme ethnique sous le régime de Sékou Touré sème les graines de la frustration

Les populations de la Forêt ont vécu dans une paix relative depuis le temps colonial sur la base de la tradition africaine d’hospitalité. La donne a changé suite à une politique foncière jugée injuste que le régime de Sékou Touré avait imposée à la région. Pour favoriser les populations allochtones mandingues démunies de terre, le régime de Sékou Touré avait décrété que « la terre appartient à celui qui la met en valeur ».  Dans leurs pratiques traditionnelles d’hospitalité, les Autochtones avaient prêté leurs terres ancestrales aux populations allogènes qui les avaient mises en valeur. Par conséquent, la nouvelle politique foncière dépossédait de facto les autochtones au profit des Allogènes majoritairement proches de l’ethnie du président Sékou Touré. Du coup, les Autochtones avaient perdu leurs terrains prisés autour du centre-ville de N’Zérékoré et furent repoussé vers la périphérie. 

Fort de leur soutien politique, les Allogènes ont gagné au fil du temps un avantage socio-économique et même culturel sur les Autochtones. Au lieu de rétablir un équilibre juste, les régimes qui se sont succédé ont opté d’exacerber les divisions entre les deux communautés à des fins purement électoralistes. Les frustrations mal contenues qui en ont résulté expliquent le ressentiment et la méfiance qui caractérisent les relations entre Allogènes et Autochtones et les flambées récurrentes de violence intercommunautaire dans la région.

La compétition électorale entre le RPG d’Alpha Condé et le PUP de Conté a exacerbé les tensions intercommunautaires

L’avènement du régime de Lansana Conté continue la politique de division dans la région. Le tournant décisif pour la région date des élections municipales de 1991 à l’occasion des  premières contestations électorales depuis la fin du régime Sékou Touré. Le PUP, parti au pouvoir, se dispute le contrôle de N’Zérékoré avec le RPG, qui était alors le parti d’opposition avec une grande assise auprès des Allochtones (Malinké/Konyanké) qui constituent une grande composante de la population régionale.  L’ethno-stratégie est utilisée par les deux protagonistes. Alpha Condé, le chef du RPG, soutient le candidat Malinké Ibrahima Kalilou Keita qui est aussi le choix des Konyanké.  Lansana Conté et son PUP soutiennent le Guerzé Michel Guely. La candidature du RPG est contestée par les Autochtones qui s’en prennent aux populations allochtones dans une rare violence qui se soldera par plus de 200 morts. Au lieu de calmer les choses et privilégier la justice, Lansana Conté est plutôt préoccupé de ne pas perdre le fief électoral de la Forêt au RPG d’Alpha Condé.  Il tranche le problème par un discours diviseur en faveur du candidat de son parti : « Si les Konyanké ou les Malinké veulent accéder à des postes électifs : députés ou maires, ils n’ont qu’à aller faire acte de candidature en Haute Guinée qui est leur région d’origine et non en Guinée Forestière », déclare-t-il. La candidature du Malinké est alors annulée au profit de l’enfant du terroir. 

Depuis ce tournant fatidique, la spirale de violence intercommunautaire est devenue le lot de la Guinée Forestière. Les populations autochtones, communément désignées par le terme « Forestier » se sentaient envahies et opprimées par des « étrangers » qui dominent le commerce, imposent leurs langues et pratiques religieuses, prennent les terres et contractent des mariages mixtes à sens unique. Ces frustrations ont donné aux habitants autochtones de la région le sentiment d’être des citoyens de seconde classe dans leur terre ancestrale. L’instrumentalisation politique des populations consistant à jouer sur les différences du point de vue ethnique, culturel, et religieux par les régimes qui se sont succédé en Guinée a rendu la cohabitation difficile. 

Les frontières poreuses avec des zones de conflit en Sierra Leone, Liberia, et Côte d’Ivoire favorisent l’influx des milices rebelles, les armes légères et la culture de la violence

Durant les années 1990 – 2010 la Forêt a partagé une frontière poreuse avec trois zones de conflits : la Sierra Leone et le Libéria à l'ouest, la Côte d'Ivoire à l'est.  La porosité des frontières a permis à des factions armées de s’introduire dans la région et d’y élire domicile. D’autre part, la Forêt était aussi devenue un centre de recrutement par des factions libériennes, notamment le LURD (Libériens unis pour la réconciliation et la démocratie), lors de l’offensive finale contre Charles Taylor. 

L’armée guinéenne avait aussi recruté en 2000 des volontaires pour repousser les rebelles à partir de Guéckédou.  Enfin, en 2009, des milliers de jeunes forestiers qu'avait recruté et formé le chef de la junte, Moussa Dadis Camara a Kaliya ont été renvoyés chez eux, et un bon nombre avaient gardé leurs armes. Ceci a facilité la prolifération de milices dans la région et la circulation illicite d’armes légères de petit calibre. A ces groupes, il faut ajouter les ex-combattants de la guerre civile au Liberia  (l’ULIMO) ainsi que les Donzos. L’influx de refugiés (plus de 700 000 personnes) aux cultures différentes de la norme guinéenne, la grande concentration de milices rivales portées sur la violence, et la circulation incontrôlée d’armes légères ont fini par instaurer une culture de violence et de transformer la région en une véritable poudrière. 

L’absence de justice encourage l’instauration de la loi du talion : « œil pour œil, dent pour dent ».

Avec l’incapacité ou le manque de volonté de l’Etat de faire régner la loi et d’administrer la justice dans la région forestière, les groupes armés qui maraudent en toute impunité la Forêt ont fini par établir la loi de la jungle comme moyen de résolution des conflits. De même, les communautés autochtones et allochtones, qui se regardent en chien de faïence, ont adopté la loi du talion comme la seule forme de  justice. Cette pratique a mené à un équilibre malsain de la terreur, où les deux communautés rivalisent dans l’atrocité. Nous présentons ci-dessous un répertoire non exhaustif d’incidents de violence interethnique qui se sont succédé depuis ce tournant fatidique. 

Le 4 mars 1997 : Dans la sous-préfecture de Koulé, une fille Kpèlè est violée par un jeune Konyanké. A la gendarmerie, les jeunes Konyanké se seraient opposés à son emprisonnement pendant que les Kpèlè exigeaient qu’il soit emprisonné. Les discussions ont dégénéré en bagarre interethnique. Deux morts selon la version officielle (tous les deux étaient des hommes Kpèlè).

Le 2 janvier 1999, Dans la préfecture de Macenta, un ancien conflit domanial latent est ranimé par un incident entre deux groupes de femmes des villages de Vélézou et de Konesseredou. Carnage entre Toma et Mania, faisant 8 morts.

L’année 2004 est marquée par des tensions dans la sous-préfecture de Gouécké, quand un groupe de Konyanké viole les interdits de la cérémonie traditionnelle Kpèlè relative à la sortie du « Nyömou » (Le masque de la Forêt sacrée). Suite à cet incident qui fut réglé à l’amiable, un jeune Kpèlè est battu jusqu’à l’agonie par des Konyanké qui l’accusaient d’avoir volé leurs chaussures alors qu’ils priaient à la mosquée. L’armée s’allie avec les Konyanké et fait payer cher aux Kpèlè.

Le 12 juin 2005, au quartier Horoya I à N’Zérékoré, un jeune Kpèlè passant à vélo a failli renverser un musulman Konyanké qui sortait de la mosquée du quartier. Le jeune est bastonné copieusement, mais ses camarades reviennent à la charge pour le venger.  Au moins deux morts enregistrés.

Le 16 octobre 2005 au quartier Gonia, à N’Zérékoré, les musulmans Konyanké s’en prennent à une famille Kpèlè qui fêtait le baptême de ses jumeaux avec la musique auprès d’une mosquée du quartier N’Zebela Tokpa durant le mois de Ramadan. Ils bastonnent les habitants et détruisent leurs maisons et commerces.  La riposte des Kpèlè ne se fait pas attendre.

Durant l’année 2006, plusieurs troubles avaient secoué la ville de Nzérékoré en raison de l’isolement de la région dû à l’impraticabilité de la route Sérédou-Kissidougou ainsi que des problèmes d’impunité et de mauvaise gouvernance. Les troubles qui en résultent se soldent par 9 morts et le départ forcé du préfet et du procureur.

En décembre 2008 l’arrivée de Dadis au pouvoir donne l’espoir à la région forestière de se hisser aux hautes sphères de l’Etat et de mettre fin à ce que certains Forestiers considèrent comme la tyrannie des autres ethnies. Mais l’insistance de l’opposition réunie au sein des forces vives devient un handicap sérieux à la réalisation de ce rêve. Dadis forme des milices ethniques et se prépare à ôter sa tenue militaire pour se porter candidat à la Présidence. C’est le tôlé général au sein de la classe politique. Dadis sera poussé à commettre l’irréparable le 28 septembre 2009. Moins de deux mois plus tard, il est mis à la touche par une balle de Toumba Diakité. 

Les habitants de la région ne cachent pas leur amertume de voir le pouvoir échapper à leur fils et tomber dans les mains de son adjoint, Sékou  Konaté, qui est fils de l’ethnie rivale. Sékouba Konaté est obligé de démanteler les milices ethniques qui étaient en formation sous Dadis. Les personnes démobilisées rentrent grossir les rangs des gangs violents dans la région.  Selon une estimation, il y avait 16 000 ex-combattants qui circulaient librement dans la région, certains avec leurs armes. Leur présence encourage la loi du talion : « œil pour œil, dent pour dent ». C’est ainsi que le 5 février 2010, une femme Kpèlè est attaquée et battue par un groupe de Konyanké qui l’accusait d’avoir manqué de respect à leur religion alors qu’ils faisaient leur prières.  Les Kpèlè ripostent à la provocation avec trois jours de révolte qui se soldera par 5 morts et 70 blessés. 

La pauvreté du débat citoyen et l’ethnisation de la politique électoraliste exacerbent les tensions intercommunautaires

Le sous-produit toxique de la stratégie électorale en Guinée a été la division ethnique. Le concept de « trois régions contre une » a été une recette gagnante en 2010 pour le RPG et risque de faire des émules en 2015. Tout récemment, le leader de l’UFDG, dans un discours controversé, se targuait lui aussi de former un front ethnique pour contrer la formule « 3 contre 1 » d’Alpha Condé. Le plus inquiétant est qu’au-delà des calculs politiques électoralistes, l’exercice du pouvoir en Guinée s’est fortement ethnicisé, et ceci a mené à une profonde déchirure du tissu social. En Guinée Forestière, les populations autochtones perçoivent l’ascension sociale, politique et économique des populations allogènes comme le résultat du favoritisme ethnique des régimes successifs.  Elles s’étaient toutefois ralliées à Alpha Condé contre la promesse d’impunité pour certains de leurs fils impliqués dans le massacre du 28 septembre, dont l’enfant prodige de Koulé, Dadis Camara. Mais, la promesse électorale fut difficile à tenir devant la pression des victimes et des organisations de défense des droits de l’homme.

Par la suite, les populations autochtones avaient déchanté. Elles ont réalisé que tout ce qui intéresse les politiciens, c’est l’immense bétail électoral de la région et les possibilités d’obtenir la faveur des lobbys internationaux sur la base de la manne minière des chaines de Nimba et de Simandou. Ces trois dernières années, les exactions contre les Autochtones se sont multipliées et ont bénéficié de l’impunité. En particulier, les Kpèlè estiment qu’ils font l’objet de discrimination dans les recrutements et dans les nominations de l’administration sous le régime Condé. Ce sentiment d’impuissance a ravivé et aggravé les conflits intercommunautaires. Au lieu de prôner la paix et rendre justice à qui de droit, le régime a préféré le colmatage ethno-politique pour donner un semblant de résolution des problèmes communautaires « pour ne pas effrayer les investisseurs ».  D’ailleurs, ce sont les intérêts des investisseurs qui priment sur l’instauration de la paix et la quiétude dans la région. Mais, cette stratégie a fait un effet boomerang. Au lieu de faire de la région forestière une destination privilégiée de projets miniers multimilliardaires, la région est devenue le théâtre d’une lutte d’intérêts politico-mercantilistes entre titans miniers.

La politique de division est devenue la marque déposée de la classe politique. Avant le discours de Chicago du leader de l’UFDG, il y eu plusieurs incidents de discours de division aux plus hauts sommets de l’Etat. En début juin 2014, à l’occasion de l’inauguration de la station d'atterrissement du câble sous-marin international Africa Coast to Europe (ACE), afin d’attiser des divisions entre les alliés potentiels autochtones et les populations allochtones de la Basse Guinée, le diviseur-en-chef avait déclaré : « nous voulons désormais, que tous les terrains, qui ont été indûment spoliés, vendus, et achetés à vils prix soient récupérés ; tout ça c’est fini (…) A Kobaya, il y a des gens qui ont vendu des terrains en trompant des Autochtones ; ces terrains nous allons les récupérer ; deuxièmement, il y a des gens qui n’habitent pas Kobaya, et qui viennent pousser les populations (…) mais je préviens, tous les fauteurs de troubles qui ne sont pas de Kobaya et qui viennent, ils subiront toute la rigueur de la loi (…) La culture Baga est l’une des cultures les riches de Guinée ; l’ambassadeur des Etats-Unis ne me démentira pas ; nous savons aussi que le symbole de la Guinée, le symbole de la prospérité, est un masque Baga. Donc, il est important que les cadres Baga veillent à ce que la langue Baga, et la culture Baga soient perpétuées ; ils peuvent parler soussou, mais doivent en même temps développer leur langue. »  L’ambassadeur américain présent aurait dû le rappeler que Manhattan, qui abrite la capitale financière du monde et le centre immobilier le plus prisé aux Etats-Unis, avait été librement vendue par des Autochtones amérindiens à Peter Minuit le 24 mai 1626 en échange de marchandises d’une valeur de 24 dollars US, soit 1050 dollars US en valeur actualisée de 2014. Cette spoliation justifie-t-elle la résiliation du contrat de vente 300 ans après pour récupérer l’île ? Ce discours diviseur intervenait au moment où la Basse Guinée se remettait des émeutes entre les communautés Landouma et Diakanké qui avaient éclaté le 3 février 2014, suite à la découverte du corps d’un jeune homme  dans la localité de Ndoungou, dans la commune urbaine de Boké, sous-préfecture de Malapouya. D’importants dégâts matériels furent enregistrés, mais comme d’habitude, l’Etat avait brillé par son absence et à ce jour, l’affaire n’a pas encore eu de suite judiciaire.

La division du Fouta est orchestrée à travers la stratégie électoraliste « Manden Djallon » qui tente de recréer au Fouta le même clivage qui existe entre Mandingues et Kpèlè en Forêt. La stratégie avait été affutée et testée lors des élections législatives de 2013, mais avait fait flop. L’apôtre de la division,  Mansour Kaba, qui est le fondateur du parti DYAMA, aujourd’hui phagocyté par le RPG-arc-en-ciel d’Alpha Condé, continue sa croisade pour opposer les habitants du Fouta. Dans une interview en date du 27 mai 2012 au journal « La nouvelle marche », Mansour Kaba avait entamé sa mission de division en ces termes : « Nous assistons partout à une campagne de victimisation d’une seule communauté, celle des Peuhl en Guinée… Mais très bientôt, la communauté internationale comprendra que ceux et celles qui crient le plus fort à la violation des droits humains contre leur communauté, se taisent, donc soutiennent et, souvent, profitent de la pire des crimes contre l’humanité, à savoir, l’esclavage qui est pratiqué chez eux au Fouta Djallon, au détriment des Djallonka, des Maninka et des Poullis. » 

Après l’échec de la stratégie de division entre Roundé et Foulasso lors des élections législatives, Mansour Kaba et les stratèges de la division au RPG comptent revenir à la charge.  Dans un communiqué en date du 19 septembre 2014 au nom d’une obscure association citoyenne abolitionniste dont il est président, Mansour Kaba associe Alpha Condé au groupe de gens qui en veulent au Fouta pour des faits qui remontent à 1727 ! Il écrit : « Nos compatriotes esclavagistes « Pullo » accusent le président de la République, le Pr Alpha Condé et Mansour Kaba de vouloir semer la discorde entre « Pullo » et habitants des « Rundè » au Fouta Djallon (Moyenne Guinée). Ce faisant, ils semblent ignorer que cette discorde date de la conquête du Fouta Djallon par les « Pullo » en 1727 et de l’accaparement subséquent de toutes les terres cultivables de cette région par les vainqueurs de la Bataille de Talansan, les Peulh islamisés ou « Pullo » sous la direction de Karamô Alpha Sambegou Mô Timbo. »  Quel est l’Etat du 18ème siècle qui n’a pas été formé sur la base de conquêtes et de soumission des peuples conquis ? Si une discorde datant de 1727 doit être un motif de division de Guinéens en 2014 pourquoi les descendants de Samory Touré, dont la mère Masorona Kamara fut capturée en 1850 au cours d'une guerre et emmenée en captivité par Séré-Burlay (l'un des fils de Moriule Cissé), ne sont pas toujours en guerre avec les Cissé ? Pour racheter la liberté de sa mère, Samory n’était-il pas resté servant des Cissé pendant 7 années, 7 mois, 7 jours, avant de s'enfuir avec sa mère en 1858 ? Qui parle de semer la discorde entre Cissé et Touré aujourd’hui ? Les Américains avaient envahi et annexé le Texas en 1845 et la Californie en 1848, et acheté l’Alaska pour la modique somme de 7 millions de dollars avec les Russes en 1867. Ces Etats sont aujourd’hui parmi les plus prospères de l’Union. Est-ce une raison pour les Mexicains ou les Russes de revisiter l’Histoire ?

En somme, Alpha Condé ne pourrait être tenu comme seul responsable de la situation sécuritaire catastrophique de la région forestière. Il a hérité de la situation, mais il a la responsabilité morale et constitutionnelle d’y apporter une solution et il doit faire plus. Les calculs politiques électoralistes ne feront qu’empirer la situation. Il faut que la priorité soit donnée au renforcement du rôle régalien de l’Etat et l’administration de la justice plutôt que de gagner l’électorat de la Forêt par tous les moyens.  Les Guinéens devraient l’aider dans cette tâche en jouant leur rôle d’arbitre du jeu démocratique qu’ils ont réclamé depuis 1958.  Sans arbitre et sans garde-fous, ce sont les fous qui prennent le dessus et le jeu mène à l’anarchie.  C’est pourquoi, le RPG doit en premier lieu assumer ses responsabilités de parti national soucieux du devenir du pays plutôt que du soutien aveugle et irresponsable à tout ce que le Professeur dit et fait. Depuis longtemps, les voix de la raison et sagesse ont été priées de se taire ou de quitter la barque, laissant la place au « RPCé » qui voue au président la dévotion qui est normalement due à Dieu. Devant l’apathie du peuple, l’incapacité de l’opposition à formuler une alternative crédible, la démission de l’élite intellectuelle et religieuse, la communauté internationale joue à la politique de l’autruche.  

L’absence d’arbitres moraux et de garde-fous légaux a permis au pouvoir de faire de l’impunité un instrument efficace de sa stratégie électorale. Pour gagner des soutiens politiques, il suffit d’épargner aux alliés potentiels les rigueurs de la loi qui s’appliquent au reste de la population. De ce fait, la justice guinéenne est perçue comme un instrument au service de l’ambition politique d’Alpha Condé.  Elle est expéditive quand il s’agit de frapper des opposants, mais muette ou excessivement lente quand la résolution de l’affaire contrarie des alliés du pouvoir. Ceux qui applaudissaient quand l’Etat mâtait les manifestants de l’opposition sous l’excuse que « l’autorité de l’Etat doit s’affirmer » ont perdu la langue ; ça devient la défiance quotidienne à l’autorité de l’Etat.  Les incidents ne sont plus circonscrits au niveau de « l’axe du mal », mais se trouvent de plus en plus au cœur des fiefs du pouvoir : à Siguiri, à Kankan, à Forécariah et à N’Zérékoré.

La défiance envers l’Etat est le fruit de l’impunité qui a été élevée en instrument de campagne électorale et en mode de gouvernance. L’impunité contre les crimes de sang et contre les crimes économiques a sérieusement entravé la crédibilité de l’Etat. Le drame de Womey découle de ce manque de crédibilité doublé de la culture d’impunité qui s’est ancrée dans les mœurs guinéennes. Ce drame offre une l’occasion au ministre de la Justice de démontrer qu’il peut redresser la barre et en finir avec cette justice aux ordres et à deux vitesses qui a perdu la confiance des Guinéens. C’est l’occasion de rompre avec les habitudes partisanes, les arrangements lâches, la politique politicienne pour redorer le blason de la justice guinéenne.  Pour en faire une justice qui ne donne pas une fin de non-recevoir à la plainte de la famille du jeune opposant Zakariaou alors qu’elle se délecte à arrêter et condamner sévèrement les manifestants de l’opposition ; une justice qui éclaire les massacres du 28 septembre, l’assassinat de Mme Boiro, les assassinats d’opposants dans les quartiers chauds de la capitale (Bambeto, Hamdallaye, Cosa), et les crimes de Zowota, Saoro et Hafia,  qui restent toujours impunis.  Une justice des braves pour une paix durable, fondation essentielle du développement socio-économique de la Guinée. Bref, une justice au service des citoyens.

Dans notre prochaine livraison, nous traiterons de la responsabilité de l’Etat dans la situation de la Guinée Forestière.

L’équipe de rédaction de Guinéenews©

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