Les rebelles, plus que jamais, dans le collimateur de la Justice internationale. Paix et sécurité au Mali Le ministre de la réconciliation nationale, Zahaby Ould Sidi Mohamed, dans les colonnes du dernier numéro de « Jeune Afrique » a expliqué, en somme, qu’il ne saurait y avoir d’impunité pour ceux là qui ont commis de graves violations des droits de l’homme. Selon ses dires, dès la signature d’un accord de paix, la Cour Pénale Internationale (CPI) jugera les auteurs présumés, quelque soit le bord dont ils pourraient être issus.
Depuis le 18 juillet 2012, la Cour Pénale Internationale (CPI) enquête sur les graves crimes commis sur l’ensemble du territoire national. A cause de la complexité de l’affaire et de la nature extrêmement grave des infractions commises sans oublier les pourparlers de paix engagés à Alger, la mission de la CPI dans notre pays est parsemée d’embûches.
De plus, cette déclaration du ministre Zahabi semble être une pique envoyée directement aux groupes rebelles touaregs et arabes. Ces derniers, pour être épargnés par le viseur de la CPI n’auront autre choix que de négocier une amnistie sur les faits qui leur sont reprochés, avec l’Etat malien. Cet élément sera, à n’en point douter, une des clés principales lors des pourparlers qui se déroulent actuellement à Alger. Mais avant, il intéressant de comprendre le pourquoi et le comment de l’action de la juridiction permanente pénale internationale dans notre pays.
Le contexte difficile dans lequel évolue la CPI au Mali
En tant qu’Etat partie au statut de Rome depuis le 16 aout 2000, le traité qui consacre la création et le fonctionnement intégrale de la CPI, le Mali est fondé à requérir son intervention notamment à cause de l’incapacité de ses tribunaux de poursuivre et de juger les auteurs de crimes graves commis sur son territoire depuis l’éclatement de la crise en janvier 2012. En prenant en compte l’état de faiblesse dans laquelle se trouvent nos tribunaux après une crise multidimensionnelle, la saisine de la CPI par les autorités de transition reflétait leur volonté de ne pas laisser les exactions commises impunies. Mais, en même temps, la CPI opère dans un contexte extrêmement compliqué surtout que le Mali est engagé dans un processus de paix avec ceux-là même qui ont du sang sur les mains.
La justice nationale malgré tous les efforts qu’elle a fournis afin de traduire les auteurs présumés de ces crimes graves devant les tribunaux, elle s’est heurtée à un mur érigé par la complexité même de la crise malienne. En effet, l’on se rappelle qu’elle s’était empressée, après le début de l’opération Serval, de lancer des mandats d’arrêts contre des chefs jihadistes dont Iyad Ag Ghaly et Oumar Ould Hamaha mais aussi contre les principaux chefs rebelles. Très vite, cet élan enthousiaste mené par le téméraire juge Daniel Tessougué, procureur général près la Cours d’Appel, s’est refroidi. La principale cause, c’est le processus de paix dans lequel le gouvernement et les groupes armés tentent de trouver une solution consensuelle et définitive au problème du septentrion malien. Un processus de paix qui empiète sur le volet justice de la de la réconciliation.
Faisant face à cet imbroglio politico sécuritaire que constitue la résolution de la question arabo-touarègue, et se trouvant dans un état de déliquescence aggravé par la crise, la justice malienne est dans l’incapacité d’enquêter valablement sur les graves crimes commis dans le nord du pays.
Constatant cela, l’on peut dire que la saisine de la Cour Pénale Internationale par les autorités de transition, le 18 juillet 2012, est plus que salutaire. La justice nationale étant dans l’incapacité d’arriver au terme de l’action judiciaire qu’elle a ouverte sur les crimes internationaux commis dans le nord malien, la CPI est la juridiction toute désignée pour poursuivre et juger les auteurs des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité.
Et de la matière, il y en a. En effet, lors de la saisine du procureur de la juridiction, l’Association Malienne des Droits de l’Homme et la Fédération Internationale des Droits de l’Homme ont transmis à la Cour un rapport détaillé sur les crimes internationaux commis dans le nord malien lors de l’occupation jihadiste.
Ledit rapport relate les témoignages et des informations vérifiées sur la campagne de viols perpétrée à Gao et à Tombouctou dès la prise de ces villes par les membres du MNLA. L’enquête a permis d’identifier plus de 50 cas de viols et autres crimes sexuels contre des femmes dont de nombreux cas de mineurs. Les enfants, de 12 à 15 ans, ont aussi été ciblés puisque bon nombre d’entre eux ont été enrôlés de force. L’enquête revient également sur l’exécution sommaire de 153 militaires maliens par les indépendantistes du MNLA et les jihadistes d’AQMI à Aguelhock, le 24 janvier 2012. Et cela n’est que la face émergée de l’iceberg puisque l’enquête, tant bien que mal, suit son cours. Beaucoup d’images et d’informations, pour ne pas heurter la sensibilité populaire n’ont pas été diffusés auprès du grand public.
Et dire que c’est avec une bonne partie des auteurs des crimes internationaux que l’Etat du Mali est en train de négocier !
En l’état actuel des choses, la Cour Pénale Internationale, est le seul espoir de justice qui reste à nous maliens.
Face à une amnistie octroyée aux rebelles, que peut faire la CPI ?
Cette éventualité n’est pas à exclure et elle pourrait faire l’objet de revendication de la part des groupes rebelles. Surtout après la déclaration du ministre de la réconciliation nationale qui expliquait dans l’hebdomadaire « Jeune Afrique » en début de semaine, que dès la signature d’un Accord de paix, la CPI jugera les auteurs de crimes dont elle a compétence. L’octroi de tels privilèges relevant du seul ressort de l’Etat, cela pose la question même de la souveraineté nationale face à une juridiction internationale permanente telle que la CPI. Que prévoit-elle si jamais le Mali, dans le cadre des pourparlers d’Alger, décide d’amnistier les crimes graves commis par les groupes armés ?
Tout d’abord, il est bon de savoir que l’amnistie et l’immunité garantissent à une personne ou à un groupe de personne (celles qui occupent des postes à responsabilités au sein de l’Etat), qu’elles ne seront pas traduites en justice bien qu’elles aient commis, ou pu commettre certains crimes. L’amnistie est rétroactive puisqu’elle est accordée après les faits alors que l’immunité est liée à un poste. Dans le cas du Mali, c’est l’amnistie qui peut être utilisée, les cadres rebelles n’étant pas des hautes personnalités de l’Etat.
Le gouvernement est engagé dans des pourparlers de paix censés mettre fin au conflit armé au nord. Les accords qui sanctionneront ces pourparlers devront prendre en charge les revendications des différents belligérants. L’Algérie qui est le médiateur se trouve dans l’impossibilité d’écarter les seigneurs de guerre qu’il faudrait pourtant traduire devant la justice malgré le fait qu’ils soient devenus indissociables du processus de paix, quitte à compromettre celui-ci ou à prolonger la crise malienne. Pourtant, compte tenu des crimes commis et de leur degré de gravité, les responsables de l’accord de paix, (médiateur algérien et l’Etat malien),sont devant une double obligation morale et légale : morale vis-à-vis des victimes et légale vis-à-vis des principes internationaux, en l’occurrence le traité de Rome, qui régissent ce genre de crimes et que le Mali a signé et ratifié.
L’Etat malien sera en face donc de deux préoccupations. D’abord, mettre un terme au conflit armé en négociant avec un grand nombre des responsables des crimes de guerre à cause des rapports de force et puis, combattre l’impunité en s’assurant que les parties au conflit ne commettent plus de crimes graves condamnés par le droit international humanitaire.
A ce jour, la seule mesure juridique prise par les nouvelles autorités dans le sens des pourparlers de paix, en plus de la libération de prisonniers, est la levée de mandats d’arrêt survenue en octobre 2013 qui, elle, est différente de l’amnistie.
D’un côté, l’Etat doit respecter ses engagements internationaux envers le statut de Rome qu’il a signé et ratifié et ne peut, de ce fait, se dérober de l’obligation de coopérer dans une affaire qui a comme assise physique son territoire d’autant plus que c’est lui-même qui a saisi la Cour pour connaitre des graves crimes commis durant l’occupation jihadiste, et de l’autre, il doit exécuter une autre obligation, morale celle-ci, dans le but d’une paix tant désirée par l’ensemble des maliens.
Quels sont les cas de figure envisageables ?
En théorie, la CPI peut passer outre cet état de fait car ces immunités internationales et autres règles de procédures spéciales, ne s’appliquent qu’aux juridictions internes. En effet, dans son article 27, le statut de Rome stipule : « les immunités ou règles de procédure spéciales qui peuvent s’attacher a la qualité officielle d’une personne en vertu du droit interne ou droit internationale, n’empêche pas la cour d’exercer sa compétence a l’égard de cette personne ». En plus, il en résulte de la combinaison des articles 17 et 20 du statut que la CPI dispose d’une faculté d’appréciation de la recevabilité d’une affaire dont elle serait saisie et qui aurait fait l’objet d’une décision d’amnistie nationale.
Dans le cas du Mali, deux situations peuvent encore se présenter. Primo, si la loi d’amnistie intervenait avant la décision de condamnation d’une juridiction répressive nationale, interrompant ainsi la procédure, le principe de complémentarité et donc la compétence de la Cour s’appliquerait si celle-ci estimait que l’amnistie aurait été accordée « dans le dessein de soustraire les personnes concernées à leurs responsabilités pénales ».
Secundo, si la loi d’amnistie intervenait après la décision d’une juridiction répressive nationale annulant ainsi la condamnation, la CPI ne pourrait, en se saisissant de l’affaire, faire exception au principe non bis in idem (l’autorité de la chose jugée au pénal sur le pénal qui interdit toute nouvelle poursuite contre la même personne pour les mêmes faits) de l’article 20 que si la procédure suivie devant la juridiction nationale avait pour but de soustraire la personne concernée à sa responsabilité pénale ou n’a pas été menée de manière indépendante et impartiale mais d’une manière qui démentait l’intention de traduire l’intéressé en justice.
La CPI a donc le devoir d’examiner le contexte et les conséquences des éventuelles amnisties que pourrait rendre l’Etat malien afin d’éviter qu’elle ne favorise l’impunité des auteurs des crimes couverts par ces lois. Mais pour le cas du Mali, il est évident que la CPI devra passer outre toute loi d’amnistie puisqu’elle n’aura comme seul but que de soustraire les auteurs présumés à d’éventuelles poursuites judicaires pour faciliter le retour de la paix. Et dans ce cas, même si l’Etat malien n’a pas la capacité ou n’a pas la volonté de procéder à l’arrestation des personnes visées par un mandat d’arrêt émis par la CPI, d’autres pays membres de la Cour peuvent le faire si ces dernières se retrouvent sur leurs territoires.
Ahmed M. Thiam
- Encadré
La Cour pénale internationale (CPI), créée par la Convention de Rome du 17 juillet 1998, est une juridiction permanente, destinée à punir les crimes les plus graves contre le droit humanitaire international, lorsque les criminels ne peuvent être jugés dans leur pays.
La compétence de la CPI est en réalité assez limitée. Trois raisons l’expliquent :
- Tout d’abord, la CPI ne peut connaître que de quatre catégories d’infractions, considérées comme les plus graves : les crimes contre l’humanité, les génocides, les crimes de guerre et les crimes d’agression.
- Ensuite, elle ne peut intervenir que si le crime a été commis sur le territoire d’un État ayant signé la convention, ou si le mis en cause est un ressortissant de l’un de ces États. Cependant, le Conseil de sécurité de l’ONU peut donner compétence à la CPI de manière exceptionnelle lorsqu’un État qui n’a pas ratifié la convention commet des violations graves : cela a été le cas pour le Darfour en 2005.
- Enfin, la compétence de la Cour est complémentaire, c’est-à-dire qu’elle n’est mise en jeu qu’en cas de défaillance de l’État compétent pour juger le criminel.
Cette limitation du rôle de la CPI souligne la difficulté pour la communauté internationale des États de construire une véritable justice pénale à l’échelle du monde. La CPI n’est d’ailleurs pas entrée en vigueur dès la Convention de Rome, mais quatre ans plus tard, après qu’a été atteint le seuil de 60 États l’ayant ratifiée (ce que les États-Unis ou la Chine n’ont toujours pas fait).
Le pouvoir de punir constitue en effet historiquement le cœur de la souveraineté étatique. De plus, la justice pénale internationale, qui trouve son origine dans les tribunaux militaires institués à l’issue de la Seconde Guerre mondiale à Nuremberg et Tokyo, est souvent soupçonnée de n’être que la « justice des vainqueurs ».
La CPI a rendu son premier jugement le 14 mars 2012 en déclarant l’ancien chef de milice congolais Thomas Lubanga coupable de crimes de guerre commis en 2002.
Source: Inf@sept
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