Cinq candidats, dont une femme pour la première fois, sont en lice pour succéder à Abdou Diouf à la tête de l’Organisation internationale de la Francophonie. C'est à Dakar, les 29 et 30 novembre, en marge des travaux du XVe Sommet de la Francophonie que le nouveau secrétaire général ou la nouvelle secrétaire général de l'OIF sera nommé(e).
Les choses sérieuses semblent avoir commencé, à dix semaines du sommet de Dakar (du 29 au 30 novembre), pendant lequel les chefs d’Etat et de gouvernements de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) seront appelés à choisir le successeur d’Abdou Diouf, secrétaire général de l’OIF depuis 2002. Après trois mandats de quatre ans, l’ancien président du Sénégal, 78 ans, qui a marqué de son empreinte le mouvement francophone, ne souhaite pas rempiler et serait même impatient, dit-on, de transmettre le flambeau à son successeur. Mais qui prendra le relais d’Abdou Diouf ?
Cinq candidats se sont déclarés jusqu’ici, dont quatre Africains et une candidate nord-américaine. L’OIF est une organisation internationale avec 57 membres à part entière dont nombre de pays africains. La tradition veut que son secrétaire général soit issu d’Afrique, sans doute pour maintenir l’équilibre entre les différents continents représentés au sein de cette institution, dont le siège central se trouve dans la capitale française. Prenant la parole le mardi 23 septembre devant le Press Club de France, à Paris, le candidat de l’île Maurice Jean-Claude de l’Estrac, 66 ans, a donné le coup d’envoi de la dernière manche de la compétition en cours pour prendre la tête de la Francophonie.
Pour une Francophonie économique
« L’OIF a besoin d’un souffle nouveau », a déclaré d’emblée le Mauricien, avant de se lancer dans un vibrant plaidoyer en faveur de la Francophonie économique. « La culture et la politique constituent les deux grands piliers de la Francophonie telle qu’elle existe aujourd’hui. Si je suis désigné au poste de secrétaire général de l’OIF, a-t-il déclaré, ma contribution consistera à doter cette organisation d’un troisième pilier qui sera son pilier économique ».
Tout en reconnaissant que la Francophonie n’avait pas vocation de devenir une organisation économique, le Mauricien a rappelé que cet espace de solidarité que l’OIF a l’ambition de devenir « ne peut exister sans cette dimension économique, surtout à l’ère de la mondialisation caractérisée par une compétition entre entreprises, entre Etats et voire entre les continents ». Pour Jean-Claude de l’Estrac, la réorientation économique du mouvement francophone passera par l’industrialisation de l’Afrique, une industrialisation qu’il appelle de tous ses vœux et qui a trouvé une place de choix dans le document intitulé 12 propositions pour la Francophonie de demain que le candidat a remis aux journalistes lors de son intervention au Press Club.
Ces propositions s’inspirent pour l'essentiel du parcours et de l’expérience du Mauricien à la tête des institutions économiques nationales et internationales. Ce journaliste de profession a été quatre fois ministre dans son pays, ministre des Affaires étrangères, mais aussi de l'Industrie. Secrétaire général aujourd’hui de la Commission de l’océan Indien, l’homme a fait de l’économie son domaine de prédilection et s’est signalé à l’attention par ses tentatives souvent réussies d’établissement de passerelles entre les secteurs public et le privé. Une expérience dont il aimerait faire profiter les Francophones.
Mais ce qui fait peut-être la particularité du candidat de l’Estrac, c’est son appartenance mauricienne. Cette origine est à la fois un atout et un handicap pour le Mauricien. Minuscule île de 1,3 million d’habitants perdue dans l’immensité francophone (220 millions), Maurice fait presque figure de marginal, mais un marginal qui a fait école à cause de « ses succès économiques, sa démocratie vivante, son attachement aux droits de l'homme, sa pratique décomplexée de plusieurs langues et sa gestion réussie de la diversité culturelle ». « Maurice est un laboratoire pour la Francophonie à venir », aime-t-il répéter. Des arguments dont le candidat de l’Estrac s'est servi avec intelligence pendant ses tournées en Afrique comme en Europe. Sa campagne lui a valu les soutiens des intellectuels francophones dont JMG Le Clézio, Tahar Ben Jelloun, Dominique Wolton, l'ancien secrétaire général de l'Unesco Federico Mayor. Ils ont publié dans Le Monde, il y a trois mois, une tribune appelant les décideurs francophones à voter pour lui car, écrivent-ils, la « candidature mauricienne, incarnée par une personnalité aux multiples talents, exprime la synthèse positive du monde en mouvement. Elle est la promesse d'un projet mobilisateur pour les femmes et les hommes de nos pays qui attendent beaucoup d'une mondialisation respectueuse de ce qu'ils sont. »
En quête de consensus
Pour autant, il n’est pas sûr qu’un consensus puisse se dégager parmi les décideurs africains de l'OIF, d’ici à novembre autour de la candidature mauricienne. « Difficile pour les chefs d’Etat et de gouvernements francophones d'Afrique d’accepter d’être représentés par un petit pays dont la voix ne compte pas beaucoup dans les forums internationaux », nous expliquait un diplomate francophone venu au Press Club écouter les propositions du candidat mauricien.
Pour l’instant, aucun des 4 candidats africains n’a réussi à convaincre les Africains à voter pour eux. Le candidat du Congo-Brazzaville Henri Lopes, ancien Premier ministre de son pays, ex-fonctionnaire international de l’Unesco, aujourd’hui ambassadeur du Congo à Paris et surtout homme de lettres francophone réputé, n’a pas vraiment fait campagne, comptant sur sa notoriété diplomatique et littéraire pour emporter la mise. Le candidat du Burundi, Pierre Buyoya a, lui, le profil idéal pour le poste. Il a la stature présidentielle, puisqu'il a dirigé le Burundi à deux reprises et peut se prévaloir de son appartenance à l’Afrique centrale qui attend son tour, après l’Afrique arabophone (Boutros Boutros-Ghali) et l’Afrique de l’Ouest (Abdou Diouf), pour conduire le destin de l’OIF. Mais il a un handicap : malgré son rôle actif dans les négociations avec la rébellion armée de son pays qui a débouché sur l'accord de paix signé à Arusha en août 2000, personne ne semble avoir oublié ni les deux coups d'Etat que Buyoya a fomentés pour accéder au pouvoir en 1987 et en 1996 ni les massacres interethniques qui se sont déroulés sous sa présidence. Difficile, en effet, d’imaginer un ancien putschiste à la tête de la Francophonie qui s’est construite précisément autour du partage des valeurs démocratique et du respect des droits de l’homme. Enfin, quant au quatrième candidat africain, l’Equato-Guinéen Augustin Nze Nfumu, il est peu connu en dehors des frontières de son pays. L’homme n’a pas fait campagne non plus pour se faire connaître des décideurs francophones.
Selon les observateurs, cette absence de consensus autour d’une candidature africaine profite à la candidate canadienne d'origine haïtienne Michaëlle Jean. Elle a été l'une des premières à se lancer en campagne et mise sur son profil multiculturel pour succéder à Abdou Diouf. Elle est brillante, polyglotte et multiculturelle. « Je suis à la fois du Nord et du Sud », aime-t-elle répéter. Par ailleurs, en tant que Québécoise - certes d'adoption -, elle se targue de connaître de l'intérieur les enjeux de la Francophonie.
Née en Haïti en 1957, Michaëlle Jean a grandi au Canada où sa famille s’est réfugiée quand elle avait 11 ans, fuyant le régime Duvalier. Femme de culture, elle a été universitaire, avant de faire une grande carrière de journaliste et d'animatrice à la télévision publique canadienne. Elle a aussi occupé, entre 2005 et 2010, le poste honorifique de gouverneure générale du Canada. Elle a représenté à ce titre la reine d'Angleterre. Quant à son projet pour la francophonie, il est essentiellement culturel et économique. Dans une déclaration diffusée sur son site internet, elle souligne la nécessité de mettre en place une solide stratégie économique au service du développement et de la solidarité entre les membres de l'OIF.
Tous reconnaissent que Michaëlle Jean a la carrure et le charisme nécessaires pour diriger l'OIF, même si elle n'a pas l'autorité politique d'un Abdou Diouf ni sa connaissance approfondie des dossiers politiques africains. Sa candidature à la tête de la Francophonie est appuyée par les gouvernements d’Ottawa et du Québec. Il semblerait que d'autres gouvernements, pas les moindres, se seraient engagés à lui apporter leur soutien. Selon des sources en général bien renseignées, la France favoriserait la candidature canadienne. Les modalités de la nomination de Michaëlle Jean seraient finalisées lors du prochain passage de François Hollande au Canada.
Si elle est nommée, la Canadienne deviendrait la première femme et la première personnalité du continent américain à diriger l'OIF. Après les « pères fondateurs » de la Francophonie, serait-il enfin venu le temps des « mères fondatrices » ?
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