Les responsables de l'église catholique en Afrique centrale réunis à Brazzaville (image d'archives)
Depuis un certain temps, on assiste à un débat de plus en plus animé et dense autour de la constitution de 2002. Et il y a de quoi s’interroger sur son intérêt. Quoique ses enjeux sont admirablement étouffés sous les griefs d’inadaptation ou d’inadéquation de cette constitution et sous les désirs subitement altruistes du chef de l’État en termes de partage de pouvoir et de revenus du pays. Des individualités, ―telles, les juristes, les sociologues, les politologues voire les politiques―, des collectivités ―telles, les associations, les prétendus sages, les femmes leaders du Pool, les partis politiques, etc―, évoluant au Congo ou ailleurs communiquent abondamment sur ce sujet dans les médias disponibles et disposés. Mais du côté de l’Église officielle, il nous parvient un silence assourdissant. Un fait tout de même : aucune institution de la République comme le parlement, la présidence, le Conseil économique et social… et aucune institution religieuse comme l’Église protestante du Congo, l’Armé du Salut… ne se sont encore prononcées sur le sujet. Pour autant, L’Église peut-elle fonder son mutisme sur un tel argument « mimétique » ? Comment justifier cette attitude de nos autorités ecclésiales ? Serait-ce l’expression d’une conjugaison de sa prudence et de sa position légendaire, celle de ne pas se mêler des affaires politiques ? Ou plutôt, serait-ce le manifeste d’un manque de courage apostolique, voire d’une complicité « diabolique »?
Le vrais enjeux du débat.
Sur le débat lui-même, il y a de quoi se poser la question de ses enjeux. Mais pour en avoir une idée adéquate, il serait intéressant de revenir sur l’origine de ce débat. Au cours d’une rencontre citoyenne, des prétendus sages du Niari, à la tête desquels se trouvaient les sieurs Pierre Mabiala (ministre) et Justin Koumba (président de l’Assemblée nationale), demandèrent à ce que le président change la constitution, afin de lui permettre de briguer un nouveau mandat. D’autres prétendus sages du même département crièrent à l’imposture, dénoncèrent une usurpation et exprimèrent leur indignation. Ce fut le point de départ du débat qui est tendancieusement alimenté par les médias acquis au pouvoir. A partir de ces deux personnages susnommés de l’État, il n’est pas besoin de réfléchir longtemps pour comprendre leur éminent rôle dans cette démarche. Je n’irais pas jusqu’à penser que ces hommes sont des prétentieux, car rien ne me permet de l’affirmer. Mais, je puis concevoir qu’ils en mesurent les bénéfices.
Personne ne peut douter qu’ils espèrent en son temps que Sassou sera sensible et redevable à leur mode de reconnaissance. Pourtant, ils se sont défendus d’exercer là leur liberté d’opinions. Quoi qu’il en soit, à moins de prendre les congolais pour des imbéciles, ce n’est pas cet exercice qui est mis en cause, mais les propos. Ceux-ci vont dans le sens du nivellement de l’ordre constitutionnel. Autrement dit, ils veulent tuer l’État. Dans le cas où un tel crime est perpétré, que restera-t-il du Congo ? Rien qu’une terre et un peuple. Plus d’institutions, plus de services publics… plus de légitimité. Qui alors prendra l’initiative d’une nouvelle constitution et sur quelle base ? Dès lors, toutes les possibilités sont ouvertes, un coup de force y compris. Le chaos risque de faire droit et la paix social, voler en éclat. Le spectre de 1997 planera de nouveau sur la tête de chaque congolais et tout son cortège de malheurs. Ainsi, ce qui est en jeu, ce n’est pas seulement l’ordre constitutionnel, mais surtout l’avenir de chaque congolais et de toute la nation. L’Église peut-elle se taire face à de tels enjeux ? Peut-elle se dérober à sa mission de dénoncer une telle menace ?
L’exemple des évêques de RD Congo.
Il n’y a pas que nos capitales qui sont proches. Le deux Congo partagent aussi une proximité au niveau des problèmes. Inutile de rappeler que les deux populations souffrent de leurs gouvernants cupides et égoïstes, pour ne pas dire, sadiques et cyniques. Le parallèle touche surtout l’actualité de ses derniers : à l’approche des élections présidentielles de part et d’autre, les deux peuples redoutent l’avenir. Et pour cause, leurs présidents respectifs projettent de modifier/changer la constitution. Du côté de Kinshasa, des voix s’élèvent, qu’il s’agisse des ONG ou des partis politiques d’oppositions et même des USA, contre un tel projet. L’Église par la voix de la conférence des évêques a donné et réitéré sa position comme on peut le constater dans ces quelques lignes tirées de leur déclaration : « Protéger la nation, c’est respecter la loi fondamentale qui constitue le socle de la nation. C’est pourquoi, nous ne nous lasserons pas de rappeler au peuple congolais et à nos gouvernants la position du CENCO [Conférence Épiscopale Nationale du Congo] contenue dans le mémorandum adressé au Chef de l’État au sujet de la non-modification de la constitution, en particulier en ses articles verrouillés qui échappent à toute révision. » Mais du côté de Brazzaville, l’Église brille par une absence incompréhensible. Quel est le problème chez nos évêques ? Y aurait-il quelque part une volonté délibérée de ne pas « scier la branche sur laquelle on est assis » ? Peut-être s’agit-il simplement d’un manque de courage apostolique ?
Le manque de courage de nos évêques.
Le courage est une vertu apostolique. Le livre des «Actes des apôtres» en donne un témoignage éloquent : malgré les risques et les menaces qui pesaient sur eux, les apôtres ont continué à annoncer l’Évangile, dénonçant au passage le «déicide», exhortant à la repentance, quoique contraints quelques fois à répondre de leur foi et de leurs actes devant la justice juive et/ou romaine. L’apôtre Paul, pour ne parler que de lui, en a fait les frais ; sa souffrance et sa mort en rendent compte ; mais il n’a jamais « désarmé ». De la période post-apostolique jusqu’à ces jours récents, l’histoire pastorale de l’Église regorge de témoignages du même genre. Et pour cause, il faut admirer le courage des Saints Pasteurs martyrs.
Il y a peu chez nous, on peut penser au courage de notre Vénéré Émile Cardinal Biayenda. Un autre courage dans l’Église du Congo peut être reconnu à Monseigneur Ernest NKombo qui, lors des funérailles ecclésiastiques de Monseigneur Batantou, osa recommander à ce dernier l’état d’un Congo malade et en panne, faute de gouvernants responsables, soucieux du bien-être de leurs compatriotes. La polémique suscitée à l’époque par les propos du prélat mît en relief la pertinence des ses critiques. Mais ce pavé dans la marre est demeuré isolé ; on a espéré en vain que d’autres pavés y soient jetés. Et comme par défiance, nos gouvernants ont accru une cupidité et un cynisme qui n’ont de mesure que leurs désirs et leur absence de scrupule.
En conclusion.
Alors que beaucoup espèrent que s’élève la voix de l’Église dans ce débat, aux enjeux vitaux pour le peuple congolais, les évêques gardent le silence. Pourquoi ? Force est de constater qu’un tel silence, de la part d’une institution qui a activement participé à l’avènement d’un État de droit au Congo, en présidant la Conférence Nationale, soulève beaucoup de questions, pire alimente des suspicions sur l’Église dans son rapport au pouvoir en place. Ces soupçons de connivences sont difficilement réfutables au regard de ce que l’on nous sert dans La Semaine Africaine, un organe de presse de l’Église. Toutefois, nous soupçonnons nos pasteurs de manquer de courage, comme l’avait déjà décelé notre ainé Philippe Mabiala dans sa critique de la “Lettre de nos pasteurs à propos des antivaleurs”. A moins d’aller jusqu’à croire que nos évêques soutiennent discrètement ce pouvoir aussi décrié et accusé de faire le lit de la misère des congolais ; auquel cas, il s’agit d’une complicité “diabolique” (pacte avec le diable).
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