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vendredi 29 août 2014

De nos jours, le débat politique est tellement faible, on insulte beaucoup dans ce pays, on dit beaucoup de méchancetés»



penda mbow
L’OBS – Sa voix claire et puissante s’était tue depuis qu’elle a décidé d’intégrer le cabinet présidentiel. Chantre de la société civile et défenseur infatigable de la cause féminine, le professeur Penda Mbow sort de sa réserve et apporte une lecture aux derniers évènements qui ont ébranlé la sphère civile et politique du pays.
Quelle lecture avez-vous de la crise universitaire, sur la gestion que le président de la République en fait ? Quelles solutions faudrait-il y apporter pour trouver une solution pérenne ?
Je commencerai par m’incliner devant la mémoire du défunt Bassirou Faye. Ces dernières années, la jeunesse sénégalaise a payé un lourd tribut pour ce qui concerne l’approfondissement de notre démocratie, la lutte pour la survie, mais aussi les exigences liées à un système éducatif de qualité et Bassirou Faye n’est pas différent de Mamadou Diop qui ne l’est pas de Balla Gaye. Et ces trois ne sont pas différents de toute cette jeunesse que nous avons perdue avec l’immigration clandestine. Nous sommes en train de payer les conséquences d’une croissance démographique très rapide qui ne correspond pas à la croissance économique et de développement de nos ressources dans un pays qui a toujours vécu sur des acquis. S’agissant de l’université, je dirais que tout le monde est fautif. Il y a eu des courants populistes. L’université qui était surveillée par le Président Senghor qui était lui-même agrégé de l’université et qui avait une politique élitiste tout à fait particulière et il n’a pas voulu une ouverture trop rapide de l’université. Il est vrai que dans un pays, le développement de l’élite doit répondre à un développement économique et social. Mais, on a voulu former des élites en nombre très important. Ce qui n’est pas une mauvaise chose en soi sans que les transformations économiques et sociales ne suivent. Une université doit reposer sur des forces économiques et sociales et ce sont ces forces qui sous-tendent l’université et qui poussent l’université à produire une élite qui va œuvrer pour le développement d’un pays. Tel n’est pas le cas au Sénégal. L’université, comme la plupart de nos institutions, est venue en surimposition dans notre société. Et c’est là la contradiction majeure. L’université a toujours été une affaire de l’élite sénégalaise. Mais aujourd’hui, avec le développement des théories sur la massification, nous en sommes arrivés à un point où tout le monde pense que l’université est la seule voie et on a atteint un point de non-retour. Dans les années 1980, on avait commencé à poser le problème de note éliminatoire. Le zéro et le 3 n’étaient plus des notes éliminatoires et tout le monde pouvait accéder à l’université. Or, l’université est un enseignement d’élite par excellence. Et, à partir du moment où l’on a ouvert l’enseignement supérieur à tout le monde, on a commencé à céder à la pression politique, à celle des étudiants et parfois à celle des enseignants. Et de dysfonctionnement en dysfonctionnement, on en est arrivé à une situation où l’université ne fonctionne presque plus. Certains pensent qu’il faut fermer l’université pendant un an et reprendre tout. D’autres pensent qu’il faut faire dans le colmatage, mais de colmatage en colmatage, on est en train d’éliminer les acquis de cette université. L’université est surpeuplée. Il faut trouver de l’espace pour construire d’autres universités. On ne peut pas avoir une aussi forte concentration de jeunes dans un espace aussi réduit et ne pas avoir de confrontations. Les conflits sont inévitables à l’Ucad. Des solutions définitives doivent être trouvées. Aujourd’hui, ce qui est en jeu, c’est l’avenir du pays et il faut que tout le monde s’y mette.
Le syndicat des enseignants (Saes) a demandé la tête de Mary Teuw Niane pour sanctionner la mort de Bassirou Faye et jusqu’à présent, le Président fait la sourde oreille avec ses concertations. Est-ce qu’il faut vraiment répondre à leurs exigences ?
Quand il y a crise, on cherche toujours des responsables. Il est vrai qu’il y a une responsabilité morale qui est engagée et Mary Teuw est quelqu’un  qui est engagé dans ces réformes et qui a un grand amour pour l’université. Il est prêt à tout donner pour cette université. Il nous faut dialoguer. Il s’est beaucoup investi pour la construction des deux autres universités. Ce serait dommage de briser son élan. Je pense qu’il nous faut discuter pour remettre les choses à plat.
Est-ce que Mary Teuw n’a pas un peu pêché en laissant perdurer cette situation avec la cohabitation étudiants/policiers ?
Est-ce que c’est la faute de Mary Teuw ? L’université est souvent victime de violences. On a connu des groupes qui suscitent de la violence. Il y a des intérêts tellement contradictoires à l’intérieur de l’université et toutes ces contractions débouchent à la violence. Il y a de véritables problèmes à l’université. Et le pays n’a pas les ressources extensibles nécessaires pour venir à bout de ces contradictions.
Toujours sur cette affaire Bassirou Faye, on a entendu peu ou prou la voie de la société civile, exception faite de Seydi Gassama. La société civile serait-elle morte ?
Non. Il y a eu une surprise générale, même si l’on devait s’attendre à ce qu’il y ait des problèmes. Ce n’est pas parce que les gens ne sont pas au-devant de la scène qu’ils sont absents ou qu’ils ne sont pas à la recherche des solutions. En coulisses, derrière ou ailleurs, ils ont d’autres méthodes. En ce qui me concerne, je suis dans le cabinet du Président, je ne peux pas toujours aller dans les médias pour dire mon point de vue. Cela n’empêche qu’à chaque fois que le besoin se fait sentir, je peux toujours, par mes conseils, mes textes, donner mon opinion.
Mais, était-ce vraiment une bonne idée que la société civile soit cooptée aux côtés du président de la République ? Ce n’est pas une manière de la museler ?
Il ne nous a pas cooptés. On amène aussi une autre expérience. Je suis dans la société civile depuis au moins 1967, je ne peux pas continuer à faire la même chose. Il faut donner de l’espace aux jeunes. Je pense qu’une société doit se renouveler au risque de se scléroser. Les mêmes personnes ne peuvent pas toujours être là. Là où je suis, je travaille pour le Sénégal.
Est-ce que vous dites par là que vous ne faites plus partie de cette société ?
Le Mouvement citoyen existe toujours. Il est l’une des premières organisations à avoir organisé avec la Fondation Konrad Adenauer toute une réflexion sur la situation de l’université. C’est là où l’on a découvert pour la première fois qu’à l’intérieur d’une chambre d’étudiant se trouvaient 8 étudiants. Chacun doit creuser une part du sillon. La chaîne n’a pas à s’arrêter, je suis à la Présidence pour le Sénégal, pour mon pays, ma société.
Vous arrive-t-il de croiser le fer avec Macky Sall sur des dossiers ?
On n’entretient pas ce type de rapport. J’y vais franco avec lui quand le besoin se fait sentir. Mais, j’ai plutôt pitié de lui. Je lui disais la dernière fois que je ne comprenais pas pourquoi l’on briguait la Magistrature suprême parce que c’est tellement dur. Lui me répond que c’est une mission et qu’il n’a pas le droit de se dérober. Il a souffert en apprenant la mort de Bassirou Faye. Je ne vois pas pourquoi on identifie le pouvoir à de la jouissance. Abdou Diouf disait: «Je suis l’esclave de vos désirs, de vos attentes.» Parfois, j’ai le sentiment que nous avons des tendances anarchistes dans ce pays. Un Etat doit être gouverné, dirigé. Ce qu’il faut dire et être exigeant là-dessus, c’est qu’il faut gouverner dans la transparence, respecter les citoyens. Il faut gouverner dans la justice, dans l’égalité. C’est ce qu’il faut attendre d’une bonne gouvernance.
Faut-il aussi s’attendre à la suppression de l’article 80 ?
Cet article fait débat depuis plusieurs années. Je suis profondément démocratique et je suis pour une citoyenneté égalitaire capacitaire. Mais d’un autre côté aussi, pour qu’on ait la maturité qui fera que la suppression de l’article 80 s’impose d’elle-même, il faut que chacun y mette du sien. Supposons qu’on supprime cet article, est-ce qu’il faudrait accepter qu’on accuse les gens, on accuse les personnalités sans que cela ne repose sur des fondements ? Doit-on faire des accusations totalement fausses et infondées juste parce qu’on a la liberté d’expression ? De nos jours, le débat politique est tellement faible, on insulte beaucoup dans ce pays, on dit beaucoup de méchancetés. Si nous voulons supprimer cet article 80, il faut aussi réunir un certain nombre de conditions parmi lesquelles le respect de l’autre. Il faut créer les conditions véritables du respect de la dignité de l’homme.
«Elle s’est forgée elle-même et ce serait dommage de lui enlever la mairie de Podor»
De la dignité de l’homme à celle de la femme. Vous avez beaucoup combattu pour les droits des femmes et finalement on ne vous entend pas sur la bataille politico-judiciaire de Podor qui oppose Aïssata Tall Sall à Racine Sy ?
J’ai parlé à qui de droit dans cette affaire et Aïssata m’a entendue. Mon point de vue est très clair sur cette question, Aïssata Tall Sall est une battante et une femme de grande qualité. Elle s’est forgée elle-même et ce serait dommage de lui enlever la mairie de Podor. D’abord pour deux raisons, le Parti socialiste joue un rôle déterminant dans le Bennoo et pour sauvegarder ces relations, il faudra reconsidérer cette question. Ensuite pour les femmes, il y a si peu de femmes qui ont été élues et tout le monde sait que tant qu’on ne changera pas les modes, les méthodes et le fonctionnement des institutions, il sera très difficile de faire émerger de véritables leaders femmes. Aïssata est une exception dans ce domaine et il faut sauvegarder les exceptions.
Vous faites partie du Conseil d’intégration de la Fondation «Servir le Sénégal» de la Première dame. Qu’en est-il de cette rumeur de surfacturation qui semble éclabousser le frère de Marième Faye Sall ?
Très sincèrement, je ne suis pas au courant de cette affaire. Je suis beaucoup plus une conseillère dans la Fondation, qui n’a d’ailleurs pas beaucoup de moyens, contrairement à ce qu’on en pense. Elle n’a pas de fonds, ne reçoit pas de subventions à part celles des bonnes volontés. Les demandes sont telles que je ne sais pas comment les gens font. La Fondation est hyper sollicitée et Marième Faye Sall met tout ce qu’elle a à la disposition de celle-ci.
On parle beaucoup de la fameuse dynastie «Faye-Sall-Thimbo», était-ce vraiment une bonne idée de solliciter son frère dans cette Fondation ?
Je regarde Daouda Faye faire et je me dis qu’il est en train de faire ce que beaucoup personnes n’auraient pas voulu faire. Il parcourt tout le Sénégal de long en large au moins deux fois par mois pour aider au nom de sa sœur. De manière générale, nous sommes dans une société où la famille est très importante. C’est un palliatif, peut-être n’a-t-elle pas beaucoup de ressources pour payer un personnel et qu’elle s’appuie sur ceux-là qui le font de façon bénévole ou qui le font sans rien attendre en retour.
Est-ce que le pays va mal ?
C’est difficile, c’est un pays difficile. Le président de la République est venu dans un contexte extrêmement difficile. Il n’y a pas beaucoup de ressources, vous vous rappelez de l’ancien Président qui disait qu’il n’y aurait plus de salaires deux mois après son départ. Les conditions économiques sont dures et vous ne pouvez pas vous imaginer toutes les restrictions et les sacrifices que font les gens à leur niveau pour pouvoir faire face aux priorités du Sénégal. Il n’y a pas beaucoup de moyens, les gens sont impatients, il faut réaliser des choses, il faut assainir les finances publiques, il faut aller chercher d’autres ressources… Les Sénégalais ne se rendent parfois pas compte que leur pays est un pays pauvre. Ils sont exigeants et oublient que leur pays est pauvre !
Recueillis par Aïcha Fall Thia

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