L’OBS – L’Etat a décidé de revoir la baisse de l’impôt sur les revenus des particuliers, parce qu’il s’est retrouvé avec des baisses de recettes de plus de 40 milliards de FCfa, au lieu des 29 milliards prévus. Comment analysez-vous cela ?
D’abord, je me demande comment on peut faire une telle erreur sur des pertes de recettes. Normalement, c’est basé sur la masse salariale qui n’évolue pas beaucoup d’une année à l’autre au Sénégal. S’il y avait la création de dizaines de milliers d’emplois imprévisibles, on aurait pu faire cette erreur de baisse de recettes, mais la masse salariale, le nombre d’employés étaient connus, donc je n’ai pas compris qu’on ait pu faire une erreur de plus de 10 milliards. Je me pose des questions sur la méthode utilisée pour exprimer ces baisses de 29 milliards. Ensuite, en matière de fiscalité, le plus important, c’est la stabilité et la prévisibilité, il faut envoyer des signaux très clairs aux acteurs économiques. Mais si on doit changer chaque année la fiscalité, ça ne permet pas aux gens de prendre des décisions éclairées, et ça ne rassure pas les investisseurs. On a vu que l’Etat était aussi revenu sur l’Impôt sur les sociétés (Is) qui, au départ, était une erreur. Il ne fallait pas baisser l’Is, surtout pour les grandes entreprises. On a l’impression qu’en prenant certaines décisions, l’Etat ne prend pas la peine de bien y penser. On ne doit pas mener des politiques sous forme de yo-yo, ça déstabilise le secteur privé. La mesure ne concerne que les salaires les plus élevés, mais tout dépend de ce qu’on appelle salaire élevé. Si c’est un million, je ne pense pas qu’il y ait aujourd’hui sur le marché plus de 10 000 personnes ayant un salaire supérieur à un million. Si on augmente de 5% leur impôt sur le revenu, ce qui fait 50 000 par salarié, ça fait 500 millions par mois et 6 milliards dans l’année, donc ce n’est pas vraiment grand-chose. C’est toujours ça de gagné, mais on aurait pu éviter cette erreur au départ. Maintenant ce qui est fait est fait, il faut corriger. Mais je ne pense pas que la justification puisse être la création d’espace budgétaire, il faudrait peut-être présenter cela sous forme d’une rationalisation des choix budgétaires et corriger l’erreur qui a pu être commise. Mais l’espace budgétaire pour le Pse, ce sont des centaines, voire des milliers de milliards qui permettraient de booster les investissements et la croissance.
L’Etat a aussi décidé de prélever 1% sur le chiffre d’affaires des entreprises de télécommunication, qu’en pensez-vous ?
Là aussi, le risque, c’est que les opérateurs fassent supporter cela par les consommateurs. C’est connu, ce sont les consommateurs qui vont in fine supporter cette taxe supplémentaire. Il vaut mieux taxer l’impôt sur les sociétés plutôt que le chiffre d’affaires, parce que quand on taxe le chiffre d’affaires, les sociétés répercutent ça immédiatement sur les consommateurs. On aurait dû taxer plutôt l’impôt sur les sociétés, c’était ça la bonne politique, ce sont les actionnaires qui supporteraient. Mais en taxant le chiffre d’affaires, ce sont les consommateurs qui vont être pénalisés. Le chiffre d’affaires peut représenter 4 à 5% du bénéfice des sociétés, on aurait pu avoir le même résultat en taxant le bénéfice plutôt que le chiffre d’affaires. Les entreprises de télécommunications peuvent profiter de ces mesures fiscales pour répercuter plus que de raison sur les consommateurs et le justifier par la modification de la taxation par l’Etat.
Le gouvernement souhaite engager la mise en œuvre du Pse en 2014 tout en poursuivant la réduction du déficit budgétaire. Est-ce que c’est possible ?
C’est vrai que ce sont deux choses difficiles à gérer en même temps. Le Pse suppose une extension budgétaire, parce que le gouvernement ne peut pas agir par le biais de la création monétaire pour financer les projets du Pse, donc ce qu’il faut faire, c’est trouver des ressources budgétaires pour financer les dépenses. L’Etat cherche à augmenter les dépenses, c’est son équation de base, comment augmenter les dépenses tout en maintenant un niveau de déficit soutenable. Et la clé, c’est l’augmentation des recettes. Il y a les dépenses du Pse qu’il faut couvrir avec des recettes avec la contrainte de la stabilité et de la réduction du déficit budgétaire. La seule possibilité que l’Etat a, c’est d’augmenter les recettes. Et pour ce faire, il y a trois possibilités. La première, c’est de favoriser la croissance, et il faut d’abord baisser les recettes pour cela, c’est un dilemme. La deuxième possibilité, c’est d’augmenter les recettes, mais il faut le faire sans que cela touche les secteurs productifs ou que ça déprime la consommation, c’est un challenge quasi impossible. L’autre possibilité, c’est de faire des emprunts, c’est peut-être la voie qu’il faudrait suivre, mais si on fait des emprunts et qu’on ne veut pas creuser le déficit budgétaire, ce sera difficile. Donc, c’est vraiment une équation à mille inconnues. Aujourd’hui, l’Etat aurait pu gagner des dizaines de milliards de FCfa en faisant une bonne taxation du foncier, qui est mal fiscalisé, et en veillant à ce que toutes les maisons paient.
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