Il y a quelques mois, le  gouvernement malien annonçait 
avec tambours et trompettes sa décision de lancer des poursuites pénales
 contre l’ancien Président ATT,  renversé à la suite du coup d’Etat 
militaire du 22 mars 2014 et coupable à ses yeux de haute trahison.
Le communiqué publié à cette occasion, tout en informant le public de
 la saisine du parquet général de la Cour Suprême pour matérialiser ces 
poursuites, donnait des détails précis sur les crimes pendables 
reprochés au  général à la retraite devenu président à l’issue de 
l’élection présidentielle de 2002. Intelligence avec l’ennemi, 
destruction du matériel militaire, atteinte au moral de l’armée, ainsi 
s’égrenaient les charges visées dans l’acte d’accusation présenté par 
les autorités de Bamako.  Malheur aux vaincus….
Cette annonce spectaculaire, qui a immédiatement suscité un vif émoi 
au Mali et ailleurs dans le monde, sera  suivie d’une autre, celle du 
lancement d’un mandat d’arrêt international contre le président renversé
 à l’issue du coup d’Etat militaire et la saisine du gouvernement du 
Sénégal, pays d’accueil de l’ancien chef de l’Etat malien, d’une demande
 d’extradition.
Pendant plusieurs semaines, le débat a fait rage par presse 
interposée, entre les partisans de l’initiative et ceux qui y sont 
opposés.  A présent que la controverse s’est apaisée et que les 
évènements se sont, par une  sorte de pied de nez dont l’histoire a 
parfois le secret,  chargés de  faire justice de l’opportunité de 
l’initiative, il est peut être venu le moment de se pencher sereinement 
sur  les chances de succès de la procédure pénale visant ATT.
Quelles sont les chances réelles de traduire ATT devant les tribunaux maliens ?
Le chemin qui mène au jugement et à la condamnation effective d’une 
personne accusée d’avoir commis un crime dans un Etat déterminé et qui 
se trouve sur le territoire d’un Etat tiers est semé de multiples 
embûches et obstacles. La tâche est encore plus ardue lorsque la 
personne en question est poursuivie pour des raisons politiques. La 
raison en est simple : les Etats sont très jaloux de leur souveraineté 
et n’acceptent pas que d’autres puissances fassent la loi chez eux. Ils 
ne consentent pas à apporter leur concours à la mise en œuvre de telles 
poursuites qu’à des conditions strictes et préalablement définies au 
moyen d’accords de coopération judiciaire dûment signés et ratifiés.
Certes, dans le cas précis d’ATT, la réunion de la condition de 
l’existence d’accords de coopération en matière de poursuites et 
d’extradition ne pose pas de problème particulier, plusieurs  accords de
 coopération judicaire ayant été conclus entre le Sénégal et le Mali, 
tant au plan bilatéral qu’au plan multilatéral, notamment dans le cadre 
du traité de la Cedeao.
Toutefois, de sources bien informées, les autorités sénégalaises 
n’auraient toujours pas été officiellement saisies du moindre mandat 
d’arrêt délivré contre le président déchu, encore moins d’une demande 
d’extradition.  L’examen relève non pas du gouvernement sénégalais mais 
des plus hautes instances judiciaires de ce pays.
En supposant même qu’un mandat d’arrêt international ait été lancé et
 qu’une demande d’extradition ait été formulée dans les règles de l’art,
 il serait très hasardeux de croire qu’au bout du compte, le 
gouvernement malien aura gain de cause.
En effet, si au terme des accords de coopération précités les 
gouvernements des Etats – parties s’obligent à  donner suite aux 
demandes d’extradition dont ils  sont saisis, ils ne prennent aucun 
engagement particulier quant à leur issue, l’examen de telles requêtes 
relevant de juridictions indépendantes. Quant au mandat d’arrêt, il est 
illusoire de penser qu’en l’état le gouvernement de Dakar lui donne 
exécution.
On peut s’attendre logiquement à ce que  le Gouvernement du Sénégal, 
qui a donné asile au Président ATT à la suite de négociations ardues 
menées par la Cedeao avec la junte militaire ayant pris le pouvoir au 
Mali lors du coup d’Etat du 22 mars et qui a été parmi les premiers à 
condamner cette atteinte grave aux principes démocratiques proclamés par
 l’Union africaine, ne fasse pas preuve d’un activisme débordant pour 
donner satisfaction à son homologue malien.
Il est tout aussi probable qu’en raison des suspicions de 
politisation qui pèsent sur les poursuites engagées contre l’ancien 
président malien, la Cour Suprême sénégalaise, juridiction compétente en
 la matière, refuse de prendre un arrêt d’extradition pouvant mettre en 
péril la vie d’un homme qui a trouvé asile au Sénégal, ou susceptible de
 donner lieu à des règlements de compte n’ayant qu’un lointain rapport 
avec l’idée de rendre la Justice.
A cet égard, il est intéressant de noter que le Sénégal n’extrade 
presque jamais les hommes politiques qui trouvent asile sur son 
territoire. Cette attitude s’est manifestée avec constance sous les 
régimes successifs qui ont eu à diriger le pays. Elle est, en grande 
partie, à l’origine de la longue brouille qui a opposé les Président 
Sékou Touré et Léopold Sédar Senghor, lorsque le premier avait vainement
 tenté d’obtenir l’arrestation et l’extradition d’opposants guinéens 
ayant trouvé refuge au Sénégal dans les années 1970.
Cette  tradition de non-extradition de personnalités politiques s’est
 poursuivie après le départ de Senghor et a été fermement maintenue par 
le Président Abdou Diouf, qui a donné asile aux Présidents Amadou Ahidjo
 du Cameroun et Hissène Habré du Tchad, et… par le Président Abdoulaye 
Wade.
Dès lors, on ne voit guère pour quelle raison le Président Macky Sall
 y dérogerait, d’autant plus que le contexte géopolitique, avec aux 
commandes de la Cedeao des chefs d’Etat foncièrement opposés  à tout 
changement politique par la force, n’est pas favorable à la solution 
contraire. Les chefs d’Etats de la sous-région verraient sûrement d’un 
très  mauvais œil l’extradition d’un de leurs pairs qui plus est n’à dû 
quitter ses fonctions qu’à la suite d’un coup d’Etat unanimement 
condamné par la communauté internationale.
Cette tradition s’est d’ailleurs confirmée de manière presque 
obsessionnelle lorsqu’à la fin des années 90, le dictateur tchadien 
Hissein Habré, qui avait pris ses quartiers à Dakar après son 
renversement par son ex-bras droit Idriss Déby, a été visé par des 
poursuites initiées par les victimes de son règne sanglant. Finalement, 
l’intéressé sera non pas extradé mais jugé au Sénégal par une 
juridiction internationale spécialement créée à cet effet et mise en 
place par l’Union Africaine. On voit mal comment un pays qui n’a pas 
voulu extrader un dictateur de la trempe de Hissein Habré accepterait de
 livrer à ses bourreaux un homme tel que ATT, auquel aucun crime de sang
 n’est, au demeurant, reproché.
En conclusion, on peut affirmer, sans risque d’être contredit par la 
suite des évènements, qu’à moins d’une comparution volontaire de 
Monsieur  Amadou Toumani Touré devant la Justice malienne, il est très 
peu probable que les poursuites pénales annoncées contre lui par le 
Gouvernement et le Président IBK lui – même soient suivies du moindre 
effet.
Birama FALL
  
   
       
     
     SOURCE:   Le Prétoire  du
            30 juin 2014.    
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