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lundi 30 juin 2014

Haute Cour de justice : Pourquoi le Sénégal n’extradera pas ATT

Il y a quelques mois, le  gouvernement malien annonçait avec tambours et trompettes sa décision de lancer des poursuites pénales contre l’ancien Président ATT,  renversé à la suite du coup d’Etat militaire du 22 mars 2014 et coupable à ses yeux de haute trahison.

Le communiqué publié à cette occasion, tout en informant le public de la saisine du parquet général de la Cour Suprême pour matérialiser ces poursuites, donnait des détails précis sur les crimes pendables reprochés au  général à la retraite devenu président à l’issue de l’élection présidentielle de 2002. Intelligence avec l’ennemi, destruction du matériel militaire, atteinte au moral de l’armée, ainsi s’égrenaient les charges visées dans l’acte d’accusation présenté par les autorités de Bamako.  Malheur aux vaincus….

Cette annonce spectaculaire, qui a immédiatement suscité un vif émoi au Mali et ailleurs dans le monde, sera  suivie d’une autre, celle du lancement d’un mandat d’arrêt international contre le président renversé à l’issue du coup d’Etat militaire et la saisine du gouvernement du Sénégal, pays d’accueil de l’ancien chef de l’Etat malien, d’une demande d’extradition.
Pendant plusieurs semaines, le débat a fait rage par presse interposée, entre les partisans de l’initiative et ceux qui y sont opposés.  A présent que la controverse s’est apaisée et que les évènements se sont, par une  sorte de pied de nez dont l’histoire a parfois le secret,  chargés de  faire justice de l’opportunité de l’initiative, il est peut être venu le moment de se pencher sereinement sur  les chances de succès de la procédure pénale visant ATT.


Quelles sont les chances réelles de traduire ATT devant les tribunaux maliens ?
Le chemin qui mène au jugement et à la condamnation effective d’une personne accusée d’avoir commis un crime dans un Etat déterminé et qui se trouve sur le territoire d’un Etat tiers est semé de multiples embûches et obstacles. La tâche est encore plus ardue lorsque la personne en question est poursuivie pour des raisons politiques. La raison en est simple : les Etats sont très jaloux de leur souveraineté et n’acceptent pas que d’autres puissances fassent la loi chez eux. Ils ne consentent pas à apporter leur concours à la mise en œuvre de telles poursuites qu’à des conditions strictes et préalablement définies au moyen d’accords de coopération judiciaire dûment signés et ratifiés.

Certes, dans le cas précis d’ATT, la réunion de la condition de l’existence d’accords de coopération en matière de poursuites et d’extradition ne pose pas de problème particulier, plusieurs  accords de coopération judicaire ayant été conclus entre le Sénégal et le Mali, tant au plan bilatéral qu’au plan multilatéral, notamment dans le cadre du traité de la Cedeao.
Toutefois, de sources bien informées, les autorités sénégalaises n’auraient toujours pas été officiellement saisies du moindre mandat d’arrêt délivré contre le président déchu, encore moins d’une demande d’extradition.  L’examen relève non pas du gouvernement sénégalais mais des plus hautes instances judiciaires de ce pays.

En supposant même qu’un mandat d’arrêt international ait été lancé et qu’une demande d’extradition ait été formulée dans les règles de l’art, il serait très hasardeux de croire qu’au bout du compte, le gouvernement malien aura gain de cause.
En effet, si au terme des accords de coopération précités les gouvernements des Etats – parties s’obligent à  donner suite aux demandes d’extradition dont ils  sont saisis, ils ne prennent aucun engagement particulier quant à leur issue, l’examen de telles requêtes relevant de juridictions indépendantes. Quant au mandat d’arrêt, il est illusoire de penser qu’en l’état le gouvernement de Dakar lui donne exécution.

On peut s’attendre logiquement à ce que  le Gouvernement du Sénégal, qui a donné asile au Président ATT à la suite de négociations ardues menées par la Cedeao avec la junte militaire ayant pris le pouvoir au Mali lors du coup d’Etat du 22 mars et qui a été parmi les premiers à condamner cette atteinte grave aux principes démocratiques proclamés par l’Union africaine, ne fasse pas preuve d’un activisme débordant pour donner satisfaction à son homologue malien.

Il est tout aussi probable qu’en raison des suspicions de politisation qui pèsent sur les poursuites engagées contre l’ancien président malien, la Cour Suprême sénégalaise, juridiction compétente en la matière, refuse de prendre un arrêt d’extradition pouvant mettre en péril la vie d’un homme qui a trouvé asile au Sénégal, ou susceptible de donner lieu à des règlements de compte n’ayant qu’un lointain rapport avec l’idée de rendre la Justice.
A cet égard, il est intéressant de noter que le Sénégal n’extrade presque jamais les hommes politiques qui trouvent asile sur son territoire. Cette attitude s’est manifestée avec constance sous les régimes successifs qui ont eu à diriger le pays. Elle est, en grande partie, à l’origine de la longue brouille qui a opposé les Président Sékou Touré et Léopold Sédar Senghor, lorsque le premier avait vainement tenté d’obtenir l’arrestation et l’extradition d’opposants guinéens ayant trouvé refuge au Sénégal dans les années 1970.

Cette  tradition de non-extradition de personnalités politiques s’est poursuivie après le départ de Senghor et a été fermement maintenue par le Président Abdou Diouf, qui a donné asile aux Présidents Amadou Ahidjo du Cameroun et Hissène Habré du Tchad, et… par le Président Abdoulaye Wade.

Dès lors, on ne voit guère pour quelle raison le Président Macky Sall y dérogerait, d’autant plus que le contexte géopolitique, avec aux commandes de la Cedeao des chefs d’Etat foncièrement opposés  à tout changement politique par la force, n’est pas favorable à la solution contraire. Les chefs d’Etats de la sous-région verraient sûrement d’un très  mauvais œil l’extradition d’un de leurs pairs qui plus est n’à dû quitter ses fonctions qu’à la suite d’un coup d’Etat unanimement condamné par la communauté internationale.


Cette tradition s’est d’ailleurs confirmée de manière presque obsessionnelle lorsqu’à la fin des années 90, le dictateur tchadien Hissein Habré, qui avait pris ses quartiers à Dakar après son renversement par son ex-bras droit Idriss Déby, a été visé par des poursuites initiées par les victimes de son règne sanglant. Finalement, l’intéressé sera non pas extradé mais jugé au Sénégal par une juridiction internationale spécialement créée à cet effet et mise en place par l’Union Africaine. On voit mal comment un pays qui n’a pas voulu extrader un dictateur de la trempe de Hissein Habré accepterait de livrer à ses bourreaux un homme tel que ATT, auquel aucun crime de sang n’est, au demeurant, reproché.

En conclusion, on peut affirmer, sans risque d’être contredit par la suite des évènements, qu’à moins d’une comparution volontaire de Monsieur  Amadou Toumani Touré devant la Justice malienne, il est très peu probable que les poursuites pénales annoncées contre lui par le Gouvernement et le Président IBK lui – même soient suivies du moindre effet.
Birama FALL

SOURCE:  du   30 juin 2014.   

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