En 1989, quelque 70 000 Négro-Mauritaniens étaient expulsés de leurs terres. Aujourd'hui, ceux qui ont été rapatriés s'en mordent les doigts, tandis que les autres ne décolèrent pas.
Une natte, un coussin, une table de chevet, une télé, un chargeur de téléphone et des papiers - beaucoup de papiers. L'extrait de naissance de son père, l'acte de mariage de ses parents, un récépissé vert en guise de titre de séjour, aujourd'hui périmé, et une carte de réfugié récemment acquise. Un demi-siècle d'une histoire familiale écrite des deux côtés du fleuve Sénégal ; un quart de siècle de drame personnel que partagent des milliers d'hommes et de femmes. Dans la petite pièce qui lui sert de lieu de vie, au détour d'une rue ensablée de Diamaguène, entre Thiaroye et Rufisque, dans la banlieue de Dakar, Aldiouma Cissokho tient à montrer les documents qu'il garde soigneusement dans une pochette et qui prouvent que ce Soninké de 63 ans est bien mauritanien.
Aldiouma Cissokho, le 20 avril, à diamaguène, dans la banlieue de Dakar.
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60 000 à 70 000 Négro-Mauritaniens déportés
Comme tous les réfugiés qui vivent encore en exil alors que l'on commémore (sans aucune cérémonie) le 25e anniversaire du drame de Diawara - un conflit entre des bergers peuls et des paysans soninkés de ce village du Sénégal oriental qui éclata le 9 avril 1989 et déclencha ce que l'on appellera plus tard "les années de braise", soit le massacre de Négro-Mauritaniens, puis la déportation de 60 000 à 70 000 d'entre eux vers le Sénégal et le Mali -, Aldiouma prend le temps de raconter son "calvaire". Le racisme ordinaire entre Blancs et Noirs. Les premières tensions avec les Maures de Nouadhibou, où le fonctionnaire de l'administration maritime qu'il était depuis une dizaine d'années avait été muté quelques mois plus tôt. Puis les couteaux qu'on aiguise dans la rue, le sang, les corps sans vie, la peur, l'incompréhension. Et, dans une pièce qui sert de "lieu d'interrogatoire", cette phrase lâchée par un Maure qu'il croyait connaître : "Tu vas au Sénégal." C'était le 7 mai 1989.
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Depuis, Aldiouma, qui a fondé en 1994 le Mouvement des réfugiés mauritaniens, se bat contre l'injustice. Il aurait pu rentrer au pays, seul ou dans le cadre de l'aide au retour menée conjointement par Dakar, Nouakchott et le Haut-Commissariat de l'ONU aux réfugiés (HCR) entre 2008 et 2012, qui a permis à quelque 24 000 personnes (5 000 familles) de retrouver la terre de leurs ancêtres. Aldiouma en a peut-être même rêvé, de ce retour, lui qui vivote depuis vingt ans, enchaînant boulots informels et mal payés "parce que (son) statut de réfugié ne lui permet pas d'être embauché dans les règles", nourrissant ses trois enfants grâce à la solidarité familiale et aux rares aides du HCR. Mais il ne regrette rien. "C'est difficile, mais j'ai la conscience tranquille. Je ne peux pas avoir été heureux là-bas et ne pas avoir envie de rentrer. Mais pas dans ces conditions !"
"Ils ne sont plus rien : ni réfugiés, ni Mauritaniens"
À leur retour, les "rapatriés" ont été inscrits dans les registres mauritaniens, puis acheminés vers l'un des cent dix-huit camps sommairement aménagés dans le sud du pays. Là, chaque famille s'est vu attribuer une parcelle désertique, un peu de riz, une ou deux vaches et une pièce en dur ou une tente. Mais combien s'en mordent les doigts aujourd'hui ? "Ce qu'on leur a promis ne leur a pas été donné", dénonce, dans sa modeste maison de Pikine (banlieue nord de Dakar), Mamadou Lamine Ba, "expulsé le 7 avril 1989". Mamadou, qui a suivi une formation d'infirmier en 2011 grâce au HCR et qui vient tout juste de trouver un stage de six mois dans un hôpital de Dakar, n'est jamais retourné au pays. Mais le téléphone fonctionne. Et les histoires sont légion de ces "rapatriés" qui, écoeurés, ont décidé de revenir au Sénégal. "Aujourd'hui, ils ne sont plus rien : ni réfugiés ni Mauritaniens !" Les six enfants de Mamadou, tous nés à Dakar, ne connaissent pas leur pays. Savent-ils même lequel est le leur ? L'aînée aura bientôt 18 ans. Elle devra faire un choix. Mamadou ne lui imposera rien, mais il espère qu'elle prendra la nationalité mauritanienne, quitte à rester une "réfugiée" pour la vie.
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Pour lui comme pour tous les autres, c'est une question de principe. "Quand on a été déportés, le président Ould Taya a dit qu'il n'y avait aucun Mauritanien dans le lot. Alors moi, je ne veux pas devenir sénégalais. Je veux prouver qu'il y en avait, des Mauritaniens. Et qu'ils sont fiers de l'être", tonne Ibrahim Ndiaye, "expulsé le 15 mai 1989". Une question de justice aussi. "Moi, je connais mes tortionnaires : leur nom, leur tribu. Pourquoi ne seraient-ils pas jugés pour ce qu'ils ont fait ? Cet État est raciste. Il y a cinq ethnies en Mauritanie, mais une seule dirige le pays : les Maures. Quand Sidi [Ould Cheikh Abdallahi] a été élu [en 2007], j'étais prêt à rentrer, on était tous prêts. J'avais posé ma candidature. C'était l'espoir. Mais Ould Abdelaziz a fait son coup d'État. Et l'espoir a disparu."
Marche ou crève
Ibrahim Amadou Ndiaye ne décolère pas. Pour le président de l'Union nationale des rapatriés mauritaniens joint à Nouakchott, les conditions du retour n'ont pas été respectées. "On nous avait promis une pièce d'état civil au bout de trois mois : aujourd'hui, sur les 24 536 rapatriés, seuls 8 000 en ont une. Tous les fonctionnaires n'ont pas été réintégrés et la plupart n'ont pas été reclassés : moi, j'étais premier échelon il y a vingt-cinq ans, je suis toujours premier échelon." Et puis il y a ces sites de rapatriés "sans eau", ces hangars ou ces tentes "étouffants", ces enfants qui, parce qu'ils ne parlent pas arabe (ils ont appris le français au Sénégal), sont perdus en classe. Selon un fonctionnaire international, l'État mauritanien a fait "de gros efforts" pour accueillir les rapatriés. Pour le HCR, le programme mené entre 2008 et 2012 est un succès, mais cela ne satisfait pas les intéressés. Le 25 avril, ils devaient entamer une marche entre Boghe (dans la vallée du Sénégal) et Nouakchott, à 310 km, pour le faire savoir.
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