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lundi 22 août 2016

Projet de passage à la Vème République : Juridiquement correct mais inopportun

Depuis l’arrêt de la Cour suprême des Etats Unis dans l’affaire Marbury Vs Madison, l’on sait que « la Constitution est la Loi suprême du pays » . Au sens matériel, la constitution est l’ensemble des règles relatives à l’organisation, au fonctionnement des institutions, à la dévolution du pouvoir politique ainsi qu’aux libertés des citoyens ; et Francis DELPERE de dire qu’elle « est la règle juridique originaire qu’une ou plusieurs sociétés politiques qui entendent fonder un Etat se sont données en vue d e permettre la réalisation efficace du bien public »


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Projet de passage à la Vème République : Juridiquement correct mais inopportunEn 1991, alors que certains pays hésitaient encore à se lancer dans cette entreprise de construction démocratique, « le Burkina Faso a pris le parti du réalisme » en entamant un processus constitutionnel qui dotera le pays d’une nouvelle Constitution le 02 juin de la même année. Cette Constitution a connu neuf modifications à la date d’aujourd’hui . Malgré ses insuffisances, elle est la norme suprême de notre pays depuis plus d’un quart de siècle.
Cette Constitution longtemps considérée comme la « constitution de Blaise Compaoré » est aujourd’hui remise en cause. L’idée d’un passage à une Vème République exprimée peu avant les évènements des 30 et 31 octobre 2014 s’est développée sous la transition et a surtout été une promesse de campagne du Président nouvellement élu du Burkina Faso à la faveur des élections du 29 novembre 2015. Cette idée a pris forme depuis la mise en place de la commission constitutionnelle devant proposer un avant-projet de constitution aux burkinabè dans un délai de deux mois.
Alors que la commission constitutionnelle peine à se réunir, des voix s’élèvent pour s’ériger contre ce projet de passage à une Vème République. Dans une interview accordée au journal le pays, l’éminent Professeur Augustin Loada soutient que ce projet est anticonstitutionnel, la Constitution actuelle n’ayant pas prévu un mécanisme pour son propre changement . Sans aucune intention de contrarier notre Maître en droit, pour qui nous avons de la déférence, nous aimerions par cette réflexion livrer notre humble avis sur la question. Il s’agira pour nous de nous interroger sur la légalité de ce projet de passage à une Vème République.
De notre point de vue, si l’opportunité d’un tel projet est discutable (II), passer à une Vème République n’est pas contraire à la Constitution (I).
I. La légalité du passage à une Vème République
Aux termes de l’article 28 de la déclaration des droits de 1793, « un peuple a toujours le droit revoir, de réformer et de changer sa Constitution. Une génération ne peut assujettir à ses lois les générations futures » . Cette disposition, même si elle ne figure pas dans la Constitution burkinabè de 1991, met en évidence le principe sacro-saint de la souveraineté du peuple. Le préambule de la constitution commence par l’emblématique formule, « Nous, peuple souverain du Burkina Faso,… », ceci pour affirmer que le peuple est l’alpha et l’oméga de la Constitution qui a été adoptée. La souveraineté du peuple est le fondement de tout l’ordre juridique burkinabè, la Constitution y compris. La Constitution existe parce que le peuple l’a voulue et par la volonté de ce même peuple elle peut être changée. N’est-ce pas d’ailleurs sur la base de cette considération que la Charte de la transition a été adoptée, en complément de la Constitution du 02 juin 1991, sans qu’il ne soit posé un problème de constitutionnalité alors qu’elle n’a aucun fondement légal ou constitutionnel ? Passer à une Vème République ne pose donc pas de problème de légalité.
Il est vrai que la Constitution ne consacre pas une disposition expresse à son propre changement mais cela relève d’une logique qui se résume dans ces propos de Jean-François AUBERT : « est-il normal qu’une Constitution indique les règles de sa propre suppression ? Ceux qui font une Constitution la trouvent probablement bonne ; ils peuvent sans doute penser qu’elle est perfectible, mais il est peu naturel qu’ils la déclarent d’emblée destructible » . Le peuple souverain jugera par la suite de la nécessité ou non de changer cette constitution pour l’adapter à ses convictions.
Habituellement, l’on adopte une nouvelle constitution dans le cas d’un vide constitutionnel. Mais comme le précise les Professeurs Loada et Ibriga, « l’élaboration d’une nouvelle Constitution peut se justifier aussi par la volonté de rupture totale avec un passé marqué par un régime constitutionnel jugé illégitime » . Le régime de Blaise Compaoré ayant été désavoué les 30 et 31 octobre 2014, ce projet de passage à une Vème République peut se justifier, la Constitution du 02 juin 1991 étant considérée comme un instrument du régime de Compaoré.
D’ailleurs, et cela est subsidiaire, nous ne pensons pas que la Constitution du 02 juin 1991 interdit formellement son changement. Le titre XV de la Constitution n’interdit pas une révision intégrale de la Constitution. Il impose juste que toute révision ne remette pas en cause la nature et la forme républicaine de l’Etat, le système multipartiste, l’intégrité du territoire nationale, le principe de la limitation à deux des mandats présidentiels et qu’elle ne porte pas atteinte à l’intégrité du territoire. Il faudrait aussi suivre la procédure qu’il indique. Il serait arbitraire de penser que la révision dont il s’agit dans le titre XV de la Constitution actuelle ne concerne que les révisions partielles.
Dans tous les cas, le peuple souverain qui a fait adopter une charte de transition sans aucune règle juridique préalablement établie peut décider de passer à une Vème République en l’absence de toute règle permettant cela. Il suffira juste de lui poser la question ! Cela dit, le passage à une Vème République en l’état est de notre avis inopportun.
II. L’inopportunité de passage à une Vème République
Cela est un secret de polichinelle que la Constitution du 02 juin 1991 comporte des insuffisances qu’il convient de corriger. Beaucoup d’acteurs de la société burkinabè s’étaient prononcés en faveur d’un passage à une Vème République avant et sous la transition. Cette période était considérée comme une situation de neutralité et d’indéterminisme institutionnel, aucun parti politique ne pouvant parier sur sa victoire aux prochaines élections. La résignation de beaucoup de gens quant à ce projet peut se justifier par plusieurs raisons mais nous en retiendrons deux.
La première raison est qu’un processus d’adoption d’une Constitution à cette étape où un nouveau pouvoir est installé ne sera qu’une mise en scène pour plébisciter la volonté des nouvelles autorités. Le référendum qui sera organisé ne sera qu’un embarquement du peuple dans une aventure où il sera mis en filigrane d’un processus constitutionnel où il fera de la figuration en lieu et place d’en être l’acteur principal comme le voudrait la pure logique démocratique . Cela avait été reproché au régime du Front populaire que l’on a accusé d’avoir taillé la Constitution du 02 juin 1991 comme « un pantalon à la taille de Blaise Compaoré ». Il faudrait éviter à la nouvelle Constitution, les tares de son prédécesseur. Les contestations de l’opposition par rapport à la mise en place de la commission constitutionnelle témoignent de la difficulté d’adopter une Constitution consensuelle. « On n’écrit pas une Constitution pour soi (…) elle doit être impersonnelle » , or tout porte à croire que la nouvelle Constitution a des risques d’être taillée à la mesure des autorités actuelles. L’on peut douter de la neutralité de la commission constitutionnelle dont les membres sont nommés par le Président du Faso .
La deuxième raison est que l’élaboration d’une nouvelle Constitution est loin d’être l’urgence dans ce Burkina Faso post-insurrectionnelle. D’une part, la situation socio-économique du pays est stagnante depuis l’insurrection. Il serait complètement incongru d’injecter des milliards à organiser un référendum qui somme toute sera une mise en scène alors que des inondations font des sinistrés chaque jours, que des bébés meurent à l’hôpital par manque de couveuses, que des milliers d’enfants burkinabè n’ont pour salle de classe qu’une paillote, etc. Un référendum constitutionnel sous la transition aurait permis de réduire les coûts liés à l’organisation d’un référendum par son couplage aux élections présidentielles, législatives ou municipales. D’autre part, les insuffisances de la Constitution ont été en grande partie corrigées par la dernière révision constitutionnelle opérée par le Conseil National de Transition. Le problème de nos pays est d’ailleurs moins l’insuffisance des normes que la bonne foi dans leur application. Les récentes déclarations des deux personnalités politiques au sommet de l’Etat font craindre une remise en cause des acquis de cette réforme constitutionnelle opérée sous la transition, notamment les acquis engrangés par le pouvoir judiciaire.

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