Le président mauritanien, Mohamed Ould Abdel Aziz
Dans un discours prononcé le 3 mai 2016, Mohamed Ould Abdel Aziz a proposé un référendum pour la création de conseils régionaux destinés au développement des wilayas, ainsi que la suppression du Sénat. Parallèlement, depuis plusieurs semaines, des forces proches du pouvoir expriment leur souhait d’une modification de la Constitution afin de permettre au président de la République de briguer un troisième mandat. Ces projets suscitent des débats animés dans les cercles politiques et au-delà.
Les deux propositions du président Mohamed Ould Abdel Aziz sont, en premier, de supprimer le Sénat et, en second, de créer des conseils régionaux qui seront en charge du développement local. Le discours présidentiel n’explicite pas le rapport entre la suppression du Sénat et la création des conseils régionaux. Si la seconde mesure répond, dans son principe, à certaines revendications appelant à une plus grande décentralisation, la première n’est perçue comme une urgence ni par l’opinion publique ni par les acteurs politiques.
Le principal argument exposé par le chef de l’État est la lenteur des procédures législatives induites par l’existence du Sénat. Il est vrai que la chambre haute du Parlement mauritanien est peu représentative de la société. Ses membres sont élus au suffrage indirect, par un corps électoral parfois constitué d’à peine vingt conseillers municipaux, dans des conditions assez opaques. Le nombre réduit des électeurs concernés et les conditions économiques difficiles dans lesquelles vivent la grande majorité des conseillers municipaux favorisent chantage et corruption.
Multiculturalisme absent des institutions
De création relativement récente, le Sénat, tout comme la Constitution de 1991 qui l’a institué, est inspiré les textes de la Ve République française. Sa mise en place répondait davantage à des considérations politiciennes qu’à un souci d’adéquation des institutions étatiques au multiculturalisme mauritanien suite aux évènements de 19891. En effet, outre les Maures, la Mauritanie est peuplée par des Haratines, descendants des esclaves des Maures, qui, selon les tendances, s’identifient plus ou moins à leurs anciens maîtres — ce qui est également le cas des catégories d’origine servile des autres ethnies. À cela s’ajoutent toutes les communautés présentes le long du fleuve Sénégal, à savoir les haal pulaaren (litt. « ceux qui parlent peul », par extension les Peuls), les Soninkés, les Wolofs et des Bambaras. L’État mauritanien est régulièrement accusé de favoriser les Maures au détriment des membres des autres communautés et composantes sociales.
Dans sa déclaration de fin de mission sur la Mauritanie publiée début mai et qualifiée de partiale par le gouvernement mauritanien, Philip Alston, rapporteur spécial des Nations unies sur l’extrême pauvreté et les droits humains, pointe du doigt cette situation en affirmant que « Les Haratines et les Afro-Mauritaniens sont systématiquement absents de toutes les positions de pouvoir réel et sont continuellement exclus de nombreux aspects de la vie économique et sociale. Ces groupes représentent plus des deux tiers de la population, mais diverses politiques servent à rendre leurs besoins et leurs droits invisibles ».
Les sénateurs — aussi bien ceux de la majorité que de l’opposition — n’ont pas réagi positivement à la proposition de dissolution de leur assemblée. Ils ont boycotté plusieurs ministres et reprochent à Ould Abdel Aziz de les avoir accusés d’être inutiles et de retarder l’adoption des lois. Le sénateur de Boumdeïd est même allé plus loin en déclarant que le président devrait être traduit devant la Haute Cour de justice pour avoir interféré dans la séparation des pouvoirs et s’être attaqué à une institution prévue dans la loi fondamentale.
Une régionalisation démocratique... ou pas
Les conseils régionaux proposés par le président peuvent être analysés comme un élément de solution à la grave question de l’exclusion de ces composantes de la population. Dans cette hypothèse, la mise en place de parlements régionaux qui auraient pour mission de favoriser le développement économique et social à l’échelle de la région constituerait une première étape dans un processus de décentralisation du pouvoir. Une représentation de toutes les composantes de la société, aussi bien ethniques que sociales, au service d’une région, serait une avancée considérable dans un État qui reste encore traumatisé par les évènements de 1989, et qui est régulièrement soupçonné d’entretenir des relations troubles avec son passé esclavagiste et les formes contemporaines de l’esclavage.
Cette régionalisation pourrait également permettre l’émergence de nouvelles élites locales plus proches des préoccupations de la société civile. Un cadre plus restreint créerait de facto une meilleure représentativité régionale dans chaque conseil, permettant à ses membres de s’exprimer au nom de la collectivité et non pas d’une tribu ou d’une ethnie en particulier. Au niveau national, et à plus long terme, ces conseils pourraient devenir des pépinières pour de nouvelles élites plus à même de se démarquer du tribalisme et de l’ethnicisme.
Financièrement, le raccourcissement des circuits pourrait se faire en faveur d’une plus grande transparence et d’une gestion rationalisée facilement maîtrisable. Dans cette société meurtrie par son passé, la mise en place de mécanismes allant dans le sens d’une répartition plus équitable des richesses entre les régions, les communautés et les citoyens constituerait une esquisse de réponse à l’exigence de justice sociale, et pourrait ainsi contribuer à restaurer la confiance nationale.
Au stade actuel, et du fait de l’absence d’indications claires sur les missions réelles de ces conseils régionaux, les bénéfices susceptibles d’être générés ne sauraient faire perdre de vue les dérives et les dangers éventuels dont ils sont potentiellement porteurs. La fonction première du Sénat actuel est d’accorder à des membres des strates dominantes de la société (chefs de tribus, notables et autres acteurs sociaux influents) un prestige officiel qui, tout en leur offrant une sorte de « rente parlementaire », les confirme dans leur statut de grands électeurs. Les conseils régionaux pourraient en être qu’une duplication, à plus petite échelle, une forme de compensation qui aurait l’avantage d’élargir la base du système politique en place.
Si cette hypothèse se vérifiait, c’est tout le contraire des avantages énumérés plus haut qui en résulterait. Les parlements régionaux seraient à l’image du Sénat qu’ils sont censés « remplacer », dépourvus de pouvoir réel, inefficaces et inutilement coûteux. Une exacerbation des conflits à caractère identitaire serait également à prévoir avec un aiguisement des confrontations catégorielles, une emprise plus grande des couches traditionnellement dominantes sur des institutions régionales jusqu’ici sous contrôle direct de l’État.
Le spectre de la présidence « à vie »
Autant la proposition de créer des conseils régionaux pourrait aller vers une démocratisation réelle de la société mauritanienne, autant la proposition de certains acteurs de la scène politique d’amender la Constitution afin de permettre à Ould Abdel Aziz de briguer un troisième mandat en 2019 va dans le sens inverse. Cette réforme lèverait le verrou de la limitation à deux du nombre de mandats présidentiels. Ce changement constitutionnel ferait planer sur la Mauritanie le spectre peu glorieux des dirigeants africains cramponnés au pouvoir comme Paul Biya (Cameroun), Robert Mugabe (Zimbabwe), Teodoro Obiang (Guinée équatoriale) ou encore José Eduardo Dos Santos (Angola).
Cette proposition, notamment par le fait que Brahim Ould Daddah, le ministre de la justice s’en est fait le porte-parole, a provoqué un tollé dans l’opposition. Fin mars 2016, des députés et des sénateurs de l’opposition ont demandé au ministre de la justice de s’excuser pour ses propos anticonstitutionnels, avant de se retirer en signe de protestation. Le porte-parole du gouvernement s’est quant à lui exprimé à ce sujet en déclarant que le troisième mandat était une exigence de « la majorité ou de tout le peuple mauritanien ».
Le président Mohamed Ould Abdel Aziz qui a pris le pouvoir par un coup d’État en 2008 avant de se faire élire en 2009 puis en 2014 avait pourtant promis, lors de sa dernière investiture, de respecter le nombre des mandats fixés par la Constitution. La première question qui vient à l’esprit est : pourquoi cet empressement ? Ould Abdel Aziz n’en est qu’au début de son deuxième mandat. Il lui reste encore trois ans à la tête de l’État. Autre interrogation : pourquoi ne s’est-il jamais exprimé personnellement sur le sujet alors que le débat fait rage dans la société ? Il a toujours refusé de se prononcer sur cette éventualité, remettant ses réponses à « plus tard, en 2019 ».
Tous ces débats sur la scène politique mauritanienne sont à la fois porteurs d’espoir, mais peuvent aussi faire craindre le pire. La question du troisième mandat ainsi que la fronde des sénateurs mettent au jour des forces conservatrices, opposées au changement constructif et qui pourraient tirer la Mauritanie en arrière, vers un passé que la majeure partie de la population espère révolu à jamais.
Carine Kibili-Waisman
Les deux propositions du président Mohamed Ould Abdel Aziz sont, en premier, de supprimer le Sénat et, en second, de créer des conseils régionaux qui seront en charge du développement local. Le discours présidentiel n’explicite pas le rapport entre la suppression du Sénat et la création des conseils régionaux. Si la seconde mesure répond, dans son principe, à certaines revendications appelant à une plus grande décentralisation, la première n’est perçue comme une urgence ni par l’opinion publique ni par les acteurs politiques.
Le principal argument exposé par le chef de l’État est la lenteur des procédures législatives induites par l’existence du Sénat. Il est vrai que la chambre haute du Parlement mauritanien est peu représentative de la société. Ses membres sont élus au suffrage indirect, par un corps électoral parfois constitué d’à peine vingt conseillers municipaux, dans des conditions assez opaques. Le nombre réduit des électeurs concernés et les conditions économiques difficiles dans lesquelles vivent la grande majorité des conseillers municipaux favorisent chantage et corruption.
Multiculturalisme absent des institutions
De création relativement récente, le Sénat, tout comme la Constitution de 1991 qui l’a institué, est inspiré les textes de la Ve République française. Sa mise en place répondait davantage à des considérations politiciennes qu’à un souci d’adéquation des institutions étatiques au multiculturalisme mauritanien suite aux évènements de 19891. En effet, outre les Maures, la Mauritanie est peuplée par des Haratines, descendants des esclaves des Maures, qui, selon les tendances, s’identifient plus ou moins à leurs anciens maîtres — ce qui est également le cas des catégories d’origine servile des autres ethnies. À cela s’ajoutent toutes les communautés présentes le long du fleuve Sénégal, à savoir les haal pulaaren (litt. « ceux qui parlent peul », par extension les Peuls), les Soninkés, les Wolofs et des Bambaras. L’État mauritanien est régulièrement accusé de favoriser les Maures au détriment des membres des autres communautés et composantes sociales.
Dans sa déclaration de fin de mission sur la Mauritanie publiée début mai et qualifiée de partiale par le gouvernement mauritanien, Philip Alston, rapporteur spécial des Nations unies sur l’extrême pauvreté et les droits humains, pointe du doigt cette situation en affirmant que « Les Haratines et les Afro-Mauritaniens sont systématiquement absents de toutes les positions de pouvoir réel et sont continuellement exclus de nombreux aspects de la vie économique et sociale. Ces groupes représentent plus des deux tiers de la population, mais diverses politiques servent à rendre leurs besoins et leurs droits invisibles ».
Les sénateurs — aussi bien ceux de la majorité que de l’opposition — n’ont pas réagi positivement à la proposition de dissolution de leur assemblée. Ils ont boycotté plusieurs ministres et reprochent à Ould Abdel Aziz de les avoir accusés d’être inutiles et de retarder l’adoption des lois. Le sénateur de Boumdeïd est même allé plus loin en déclarant que le président devrait être traduit devant la Haute Cour de justice pour avoir interféré dans la séparation des pouvoirs et s’être attaqué à une institution prévue dans la loi fondamentale.
Une régionalisation démocratique... ou pas
Les conseils régionaux proposés par le président peuvent être analysés comme un élément de solution à la grave question de l’exclusion de ces composantes de la population. Dans cette hypothèse, la mise en place de parlements régionaux qui auraient pour mission de favoriser le développement économique et social à l’échelle de la région constituerait une première étape dans un processus de décentralisation du pouvoir. Une représentation de toutes les composantes de la société, aussi bien ethniques que sociales, au service d’une région, serait une avancée considérable dans un État qui reste encore traumatisé par les évènements de 1989, et qui est régulièrement soupçonné d’entretenir des relations troubles avec son passé esclavagiste et les formes contemporaines de l’esclavage.
Cette régionalisation pourrait également permettre l’émergence de nouvelles élites locales plus proches des préoccupations de la société civile. Un cadre plus restreint créerait de facto une meilleure représentativité régionale dans chaque conseil, permettant à ses membres de s’exprimer au nom de la collectivité et non pas d’une tribu ou d’une ethnie en particulier. Au niveau national, et à plus long terme, ces conseils pourraient devenir des pépinières pour de nouvelles élites plus à même de se démarquer du tribalisme et de l’ethnicisme.
Financièrement, le raccourcissement des circuits pourrait se faire en faveur d’une plus grande transparence et d’une gestion rationalisée facilement maîtrisable. Dans cette société meurtrie par son passé, la mise en place de mécanismes allant dans le sens d’une répartition plus équitable des richesses entre les régions, les communautés et les citoyens constituerait une esquisse de réponse à l’exigence de justice sociale, et pourrait ainsi contribuer à restaurer la confiance nationale.
Au stade actuel, et du fait de l’absence d’indications claires sur les missions réelles de ces conseils régionaux, les bénéfices susceptibles d’être générés ne sauraient faire perdre de vue les dérives et les dangers éventuels dont ils sont potentiellement porteurs. La fonction première du Sénat actuel est d’accorder à des membres des strates dominantes de la société (chefs de tribus, notables et autres acteurs sociaux influents) un prestige officiel qui, tout en leur offrant une sorte de « rente parlementaire », les confirme dans leur statut de grands électeurs. Les conseils régionaux pourraient en être qu’une duplication, à plus petite échelle, une forme de compensation qui aurait l’avantage d’élargir la base du système politique en place.
Si cette hypothèse se vérifiait, c’est tout le contraire des avantages énumérés plus haut qui en résulterait. Les parlements régionaux seraient à l’image du Sénat qu’ils sont censés « remplacer », dépourvus de pouvoir réel, inefficaces et inutilement coûteux. Une exacerbation des conflits à caractère identitaire serait également à prévoir avec un aiguisement des confrontations catégorielles, une emprise plus grande des couches traditionnellement dominantes sur des institutions régionales jusqu’ici sous contrôle direct de l’État.
Le spectre de la présidence « à vie »
Autant la proposition de créer des conseils régionaux pourrait aller vers une démocratisation réelle de la société mauritanienne, autant la proposition de certains acteurs de la scène politique d’amender la Constitution afin de permettre à Ould Abdel Aziz de briguer un troisième mandat en 2019 va dans le sens inverse. Cette réforme lèverait le verrou de la limitation à deux du nombre de mandats présidentiels. Ce changement constitutionnel ferait planer sur la Mauritanie le spectre peu glorieux des dirigeants africains cramponnés au pouvoir comme Paul Biya (Cameroun), Robert Mugabe (Zimbabwe), Teodoro Obiang (Guinée équatoriale) ou encore José Eduardo Dos Santos (Angola).
Cette proposition, notamment par le fait que Brahim Ould Daddah, le ministre de la justice s’en est fait le porte-parole, a provoqué un tollé dans l’opposition. Fin mars 2016, des députés et des sénateurs de l’opposition ont demandé au ministre de la justice de s’excuser pour ses propos anticonstitutionnels, avant de se retirer en signe de protestation. Le porte-parole du gouvernement s’est quant à lui exprimé à ce sujet en déclarant que le troisième mandat était une exigence de « la majorité ou de tout le peuple mauritanien ».
Le président Mohamed Ould Abdel Aziz qui a pris le pouvoir par un coup d’État en 2008 avant de se faire élire en 2009 puis en 2014 avait pourtant promis, lors de sa dernière investiture, de respecter le nombre des mandats fixés par la Constitution. La première question qui vient à l’esprit est : pourquoi cet empressement ? Ould Abdel Aziz n’en est qu’au début de son deuxième mandat. Il lui reste encore trois ans à la tête de l’État. Autre interrogation : pourquoi ne s’est-il jamais exprimé personnellement sur le sujet alors que le débat fait rage dans la société ? Il a toujours refusé de se prononcer sur cette éventualité, remettant ses réponses à « plus tard, en 2019 ».
Tous ces débats sur la scène politique mauritanienne sont à la fois porteurs d’espoir, mais peuvent aussi faire craindre le pire. La question du troisième mandat ainsi que la fronde des sénateurs mettent au jour des forces conservatrices, opposées au changement constructif et qui pourraient tirer la Mauritanie en arrière, vers un passé que la majeure partie de la population espère révolu à jamais.
Carine Kibili-Waisman
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