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lundi 11 janvier 2016

Paul Kaba Thiéba, premier ministre : Les trois plus grands pièges à éviter

De la proclamation des résultats de l’élection présidentielle le 30 novembre 2015 à la nomination du nouveau premier ministre ce 07 janvier, Roch Marc Christian Kaboré aura mis cinq longues semaines avant de se décider sur cette question. Hésitations, réflexions prolongées, concertations difficiles entre les trois ténors du MPP auront retardé la découverte de l’oiseau rare.


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Paul Kaba Thiéba, premier ministre : Les trois plus grands pièges à éviterLes mêmes causes produisant les mêmes effets, la composition du gouvernement pourrait aussi traîner. D’ailleurs, le tricéphalisme avec son corollaire, le clanisme ambiant au sein du nouveau parti majoritaire est le premier piège que Paul Kaba Thiéba devrait éviter pour être efficace à son poste.
En effet, Roch Marc Christian Kaboré a beau être la personnalité la plus charismatique du MPP – ce n’est pas pour rien qu’il en est le président – il n’en est pas pour autant l’unique métronome, chef d’orchestre ou maître à penser incontestable. A la différence de Blaise Compaoré qui déléguait la gestion du CDP au quotidien à des sous-fifres mais en demeurait le père fondateur, le bras financier, le chef suprême au dernier mot incontestable, Roch Marc Christian Kaboré n’est pour l’instant, qu’un point de ralliement, un président de consensus au MPP. Sans être dans le secret des dieux, c’est enfoncer une porte ouverte que d’affirmer que Salif Diallo et Simon Compaoré pèsent et de beaucoup dans les décisions finales que Roch Marc Christian Kaboré a prises jusque là. Il s’en suit que le MPP est un agrégat d’obligés du trio que la presse a vite fait de baptiser RSS, traduisez, Roch, Salif, Simon. Cette relation d’obligés à obligés s’est tissée en toile pyramidale du sommet à la base du MPP. C’est ainsi que certains militants ont développé non seulement un esprit clanique mais aussi le complexe des ouvriers de la première heure. Ils regardent alors d’un mauvais œil ceux qui voudraient venir au parti après l’insurrection populaire et plus encore après sa victoire aux élections. A ce propos, les mauvaises langues disent que Vincent Dabilgou a été obligé de créer son parti, Nouveau temps pour la démocratie (NTD), parce que Larba Yarga, qui a eu des problèmes avec lui au CDP, s’était opposé à ce qu’il adhère au MPP. L’ex député du Ioba, M. Hien Mutan, à ce qu’on dit, a pour sa part essuyé le veto de Simon Compaoré quand il a voulu adhérer au parti, et cela parce qu’ils ont eu des démêlés personnels à la mairie de Ouagadougou.
Dans ce contexte de filtrage des militants qui accourent au MPP, cela va sans dire que les différents prétendants où pressentis au poste de premier ministre, ont dû souffrir le passage à l’examen de compatibilité d’humeur et autres desiderata des barons du parti ou de leurs sous–fifres. L’anecdote la plus connue à ce sujet est celle relative à Madame Rosine Sory/Coulibaly qui avait, à ce qu’on dit, les faveurs du président Roch mais n’aurait pas eu les suffrages du clan Salif Diallo qui voyait d’un mauvais œil qu’on confiât ce poste hautement stratégique à une femme qui plus est, réclamait une totale indépendance pour former son gouvernement. Quid des autres prétendants : Bissiri Sirima, Justin Damo Barro, Norbert Toé, etc. ?
On attend de le voir à l’œuvre non sans répéter que le premier grand piège que le nouveau premier ministre devrait éviter, c’est l’esprit de clan qui agite le MPP et pourrait déteindre sur la gestion de l’appareil d’état.
Le deuxième grand piège que Paul Kaba Thiéba devrait éviter, c’est la rigidité de la logique technocratique qui s’appuie plus sur la vérité des chiffres et les injonctions des experts off shore que sur les réalités quotidiennes des populations. A cet effet, M. Jean-Pierre Béjot de la Dépêche Diplomatique fait remarquer que « Paul Kaba Thiéba, depuis qu’il a entrepris des études supérieures en France – c’était en 1979 – n’a jamais mis les pieds au Burkina Faso pour des activités professionnelles. Rosine Sory Coulibaly avait l’avantage d’être une femme ; cela donnait du grain à moudre. Mais le parcours de Kaba Thiéba est d’une aridité totale : de la technique financière et rien d’autre  ». De quoi refroidir les ardeurs de ceux qui applaudissent à tout rompre que Roch Marc Christian Kaboré ait jeté son dévolu, malgré lui peut-être, sur ce technocrate bon teint.
Mais Paul Kaba Thiéba, lors de son premier laïus à la presse jeudi dernier, a montré qu’il était au parfum de la situation politique nationale en déclarant qu’il ferait un gouvernement à la hauteur des attentes des Burkinabè notamment celles de la jeunesse insurgée qui a bravé la mort pour évincer du pouvoir «  un gouvernement impopulaire. »
Mais selon Jean-Pierre Béjot, « Cette ode à la jeunesse surprendra. C’est faire la part belle aux populations urbaines qui ont fait tomber le régime de Blaise Compaoré, incendié l’Assemblée nationale, mis à sac des entreprises et des établissements publics… lors de « l’insurrection populaire » ; autrement dit, pour les populations rurales, qui représentent plus de 80 % des Burkinabè, la « chienlit » qui a semé le désordre dans le pays. Il n’est pas certain, loin de là, que cette jeunesse qui « a besoin de changement » ait voté pour Roch Kaboré qui n’est pas le parangon du changement. Mais c’est désormais un passage obligé : le pouvoir de Kaboré & Diallo sort de la rue avant de sortir des urnes. Alternance sans alternative : «  l’insurrection populaire  » va, un temps encore, formater le discours politique. Avant qu’on n’entre dans le dur : remettre en route l’économie avec ce que cela va imposer de décisions… impopulaires. » C’est dire que tôt ou tard, le nouveau premier ministre devra enlever sa casquette de pure technicien des finances pour regarder autrement les réalités économiques du Burkina et les fortes demandes sociales des populations. Sinon gare au bras de fer avec les syndicats.
Le troisième grand piège à éviter par Paul Kaba Thiéba, c’est celui du messianisme populiste. Promettre tout ici et maintenant avec la naïveté que l’histoire du Burkina commence avec l’insurrection populaire. Non. L’expérience du gouvernement de la transition a montré que le volontarisme populiste est un épouvantail de politicien prétentieux et volubile. « Le plus rien ne sera comme avant » a été plus une intention pieuse qu’un acte de rupture. Paul Kaba Thiéba devrait donc retenir la leçon, parler peu et agir bien.
Si la longue expérience de Roch Marc Christian Kaboré aux affaires de l’Etat pouvait être un régulateur de son volontarisme de technocrate néophyte en politique, il formerait un couple complémentaire. Sinon, gare au divorce précoce.

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