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jeudi 3 décembre 2015

Ecole Polytechnique Université Paris-Saclay : Macky Sall indique les quatre secteurs stratégiques pour le développement de l’Afrique

Le President Macky Sall dans le cadre de la COP 21, a effectué une visite à l'école polytechnique de l'Université Paris-Saclay. Macky Sall a fait un discours de très haut niveau, incluant un éloge brillant et passionné pour la connaissance qui doit être au cœur des 4 piliers du développement, à savoir l’agriculture, les infrastructures, l’énergie et l’éducation.

*   
Monsieur le Président Jacques BIOT,
 
Monsieur le Président, je vous remercie de me recevoir avec tant de délicatesse dans ce haut lieu du savoir, qui symbolise si bien ce qu’il y a de meilleur dans le culte de l’excellence et l’esprit scientifique.
Depuis 1794, votre établissement, dans la fidélité à son ancêtre, l’Ecole centrale des Travaux publics, a su garder tout l’éclat de sa devise : Pour la Patrie, les Sciences et la Gloire.
Ce faisant, vous contribuez à entretenir la puissance du génie créateur de l’homme, en ouvrant la voie à des générations d’alumni, au service du bien commun.
Je salue toutes ces générations, parmi elles des compatriotes Sénégalais,  dont le souvenir habite ces lieux.
Je suis heureux de savoir, que cette année encore,  deux de nos étudiants sont admis au sein de votre prestigieuse école.
En venant à votre rencontre, je retrouve mes sensations d’étudiant à l’Institut des Sciences de la Terre de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, et, plus tard, à l’Ecole nationale supérieure du Pétrole et des Moteurs.
La science, assurément, se joue des frontières.
C’est vous dire tout le plaisir que je ressens d’être parmi vous.
Mais, alors que je croyais en finir avec les devoirs académiques, vous me mettez à l’épreuve : « Economie du savoir, économie verte, économie partagée. Les nouveaux vecteurs de la croissance en Afrique ».  Le sujet d’une brulante actualité.
L’économie et la quête du savoir ont toujours été au cœur de l’activité humaine.
Mais à l’aune des échanges, des progrès techniques et scientifiques, et de l’équation environnementale, l’une et l’autre se présentent aujourd’hui sous des paradigmes nouveaux.
L’économie, tout comme le savoir, sont interpellés ; non dans leur valeur intrinsèque, qui ne peut être mise en cause, mais dans l’usage qu’en fait l’homme. Le changement climatique, objet de la  COP21 ici à Paris, en est une parfaite illustration.
Nous savons tous que le  réchauffement de la planète illustre, d’une certaine manière, la faillite des modes de production et de consommation jusque-là en cours.
L’économie moderne valorise plus le confort immédiat et l’accumulation de la richesse, au détriment de l’environnement et des besoins des générations futures.
En conséquence, l’humanité fait face à une montée sans précédent des périls. En témoignent l’alternance de la sécheresse et des inondations, les tsunamis à répétition, la fonte des glaciers, la hausse des températures et du niveau des océans, l’érosion côtière et la dégradation continue de la biodiversité. La liste n’est malheureusement pas exhaustive.
 
D’autre part, sous l’emprise des progrès techniques et scientifiques, presque chaque réponse à une question ouvre une nouvelle problématique.
Dans leurs nombreuses applications, la science et la technologie contribuent au progrès et au bien-être de l’humanité. L’homme est soulagé de maladies que l’on croyait incurables.
La révolution du numérique et des nanotechnologies, en créant la « civilisation de l’instantané » a  fini de ramener le monde à une dimension de « village planétaire ». Nous sommes, pour ainsi dire, une génération gâtée.
Pour autant, notre ère n’est pas des plus rassurante ; parce que pour demeurer humains et viables, le savoir et le savoir-faire ne peuvent s’affranchir du savoir être ; autrement dit, de l’éthique.  
De graves questions encore non résolues se posent à notre humanité commune.
Que l’on pense par exemple à tous les questionnements d’ordre éthique,  philosophique et religieux qui entourent des sujets comme le clonage, les organismes génétiquement modifiés, certaines formes de procréation médicalement assistée, dont la gestation pour autrui, la fin de vie médicalement assistée, et j’en passe. 
Que l’on pense à toutes les utilisations perverses  de l’internet, y compris, celles des plus odieuses du terrorisme et de la cybercriminalité.
Ces préoccupations ne relèvent pas de la spéculation intellectuelle.
Nous les vivons au quotidien. Elles interrogent l’économie du savoir.
Elles posent sans détour la question de l’hégémonie du modèle « techno-scientifique » sur les considérations éthiques et morales indissociables de la nature profondément humaine de l’homme ;  dans ses croyances, ses besoins, ses ambitions et émotions.
Notre monde doit méditer la sagesse de François Rabelais, médecin et humaniste de la Renaissance : « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme ».
Qu’en est-il de l’Afrique ?
En dépit d’un lourd fardeau de l’histoire, qu’aucun continent au monde n’a jamais porté –plusieurs siècles de traite négrière et de colonisation- l’Afrique et les Africains sont aujourd’hui dans la dynamique du progrès.
Si le continent continue de faire face à des défis nombreux et complexes, la croissance économique y reste régulièrement supérieure à la moyenne mondiale. Il attire de plus en plus d’investissements privés étrangers, sa classe moyenne augmente ; et la démocratie y progresse.
Le défi, aujourd’hui, est de mettre davantage en synergie le capital humain et les énormes richesses naturelles du continent pour maintenir sur le long terme cette dynamique positive.
A mon sens, le développement de l’Afrique restera tributaire de quatre secteurs stratégiques :
L’agriculture : A l’échelle mondiale, l’Afrique détient plus de 60% des terres arables disponibles et inexploitées.  Elle a des ressources humaines et hydriques suffisantes. Avec la maîtrise des autres facteurs de production une mécanisation progressive, le continent peut assurer au plus vite son autosuffisance alimentaire, créer des chaines de valeurs et exporter davantage de produits agricoles. 
Les infrastructures : Sans infrastructures, il ne peut y avoir de développement. Je n’insisterai pas à Polytechnique pour convaincre sur la dimension stratégique de ce secteur. Là également, nos pays sont en chantier avec des partenaires publics et privés qui acceptent d’adapter leurs mécanismes de financement à nos priorités et possibilités d’endettement et de remboursement.
Au-delà  des stéréotypes et des constats hâtifs, le risque n’est pas plus élevé aujourd’hui en Afrique que dans plusieurs autres régions du monde.
A titre d’exemple, après une première expérience d’autoroute à péage, répondant aux standards internationaux, réalisée avec une compagnie française, le Sénégal vient de lancer un deuxième projet de plus grande envergure encore avec une compagnie chinoise. Et d’autres infrastructures suivront.
Troisième secteur clef, l’énergie : en Afrique, le coût de l’électricité reste encore  le plus cher au monde, avec une moyenne de 30 cents le KWH.
Mais je suis convaincu  qu’avec une combinaison optimale des sources d’énergie classiques et renouvelables, notamment l’hydroélectricité et le solaire, l’Afrique réunit toutes les conditions pour réussir sa transition énergétique.
Le continent est l’un des plus ensoleillé au monde. Et selon l’Agence internationale de l’énergie, le potentiel hydraulique du continent, pourrait fournir à l’Afrique  300 GW, soit l’équivalent de la production de 300 réacteurs nucléaires.
Avec des investissements conséquents dans le solaire et l’hydroélectricité, il n’y a aucun doute que l’avenir de l’économie verte se jouera aussi en Afrique.
Enfin, il y a le secteur clef de l’éducation et de la formation : le capital humain, c’est ce qui porte le savoir et le savoir-faire ; c’est ce qui porte l’économie et l’avenir d’un pays.
Nous avons lancé à cet effet un nouveau programme de lycées de formation technique et professionnelle pour offrir aux jeunes une alternative à la formation théorique. Une dépense dans l’éducation et la formation, ce n’est pas une charge sociale ; c’est un investissement dans le futur.
Je voudrais vous remercier, Monsieur le Président BIOT, pour avoir ouvert aux étudiants sénégalais de niveau post-licence l’accès à votre concours d’admission au cycle ingénieur.
J’apprécie également les mesures d’accompagnement consistant à détacher à la Faculté des Sciences et Techniques de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar des assistants pédagogiques pour les aider à préparer les concours d’admission dans les grandes écoles d’ingénieurs en France.
Mesdames, Messieurs,
Les quatre secteurs stratégiques que je viens de citer forment l’épine dorsale du  Plan Sénégal Emergent que nous avons lancé en février 2014.
L’émergence, nous la voulons aussi dans la solidarité, l’équité et la justice sociale. C’est le sens que je donne à l’économie partagée, à travers deux initiatives novatrices : la Couverture Maladie Universelle, pour l’accès de tous à un minimum de soins de santé, et les Bourses de Sécurité Familiale, en appui aux couches sociales les plus vulnérables.
L’économie partagée, je la conçois aussi par la gouvernance vertueuse des ressources publiques contre les fléaux de la fraude, de la corruption et des flux financiers illicites.
Ce qui appartient à tous doit être géré pour le bénéfice de tous.
Ces fléaux ne concernent pas seulement que l’Afrique, mais tous les pays du monde, sans exception.
On estime à 2600 milliards de dollars en moyenne les sommes détournées chaque année à travers le monde, soit plus de 3% du PIB mondial.
Le préjudice subi par le Continent est évalué à 60 milliards de dollars par an. C’est plus que l’aide publique au développement et environ autant que les transferts de fonds des émigrés.
En recouvrant seulement 17% de ses avoirs illégalement placés à l’étranger, le Continent pourrait rembourser la totalité de sa dette !
 
Monsieur le Président,
Me prévalant de l’amitié franco-sénégalaise, je voudrais conclure en interrogeant notre vision commune de l’avenir.
Dans L’aventure ambiguë, un roman à succès écrit en 1961, traduit dans plusieurs langues et enseigné comme un classique de de philosophie, mon compatriote Cheikh Hamidou Kane rend compte de l’itinéraire contrarié du jeune Samba Diallo, héros du roman, pris dans une tourmente, entre sa culture négro africaine et la civilisation occidentale.
Nous sommes à l’aube des indépendances africaines.
Au pays des Diallobé, le Chef de la communauté, sa sœur, dite la Grande royale, et le guide spirituel, le vieux thierno, gardien de l’orthodoxie traditionnelle, se concertent sur une question controversée, qui hante le peuple.
La question porte sur la cohabitation entre l’éducation spirituelle traditionnelle reçue au foyer du vieux thierno et l’école occidentale, l’école nouvelle, disait-on alors.
Faut-il envoyer le jeune Samba Diallo et ses compagnons à l’école occidentale ?
« Si je leur dit d’aller à l’école nouvelle, ils iront en masse. Ils y apprendront toutes les façons de lier le bois au bois que nous ne savons pas », dit le Chef des Diallobé, au vieux thierno, qui était réticent.
Notre présence ici, parmi vous,  et avant nous, d’autres générations de Sénégalais, montre que la question qui avait bouleversé le pays des Diallobé a bien trouvé réponse.
 
Nous avons tous été à l’école nouvelle, en gardant nos valeurs de culture et de civilisation.
Mais finalement, aujourd’hui, au-delà du savoir et de l’économie du savoir ; au-delà, de l’économie verte et de l’économie partagée, une autre question se pose à nous tous et à l’humanité : celle de « l’angoisse d’être homme », selon la formule de votre compatriote Jacques Chevrier.
Où va l’humanité, quand certains ont déjà théorisé sur le choc des civilisations, et que d’autres, dans une violence aveugle, s’évertuent à le mettre en pratique ?
Ma conviction, forte, est que toutes les cultures, toutes les civilisations, sont d’égale dignité et appelées à vivre ensemble, dans un monde où la science et la technologie rapprochent les peuples.
Ce qui importe, me semble-t-il, c’est de surmonter nos préjugés, de vaincre nos peurs, apprendre à nous respecter les uns les autres, pour retrouver dans ce qui nous unit la passion et la foi du vivre ensemble.
Comment y arriver ? Eh bien, Monsieur le Président, c’est un autre débat, que je vous laisse en viatique. 
 
 
J’ai confiance qu’avec vos collègues et vos élèves, vous aiderez à y répondre, « en liant le bois au bois », par le savoir qui éclaire la pensée, guide l’action et exalte la coexistence pacifique des peuples,   dans le respect des  diversités de cultures et de civilisations.
Je vous remercie.

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