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mercredi 23 septembre 2015

Le rappeur Killa Ace : sa croisade contre Yahya Jammeh

Le rappeur Killa Ace.
Il a fui son pays, la Gambie, pour avoir dénoncé les violations des droits de l'homme qui y ont cours sous la férule du dictateur Yahya Jammeh. Menacé de mort, le rappeur Killa Ace a choisi de se refugier au Sénégal voisin. S'il ne vit plus à Banjul, Killa Ace, de son vrai nom Ali Cham (prononcez Thiam), n'oublie pas son combat : dénoncer la terreur dans laquelle vivent les Gambiens et défendre les droits de l'homme bafoués dans son pays. Nous sommes le 23 juin dernier. A Banjul, le nouveau titre de Killa Ace, l'un des rappeurs les plus populaires du pays, « Ku Boka C Geta G », se fait entendre sur la radio Téranga FM. Ses thématiques : corruption, torture, arrestations arbitraires, assassinats, censure, disparitions inexpliquées, politique de la peur… Cette chanson dénonce de façon véhémente toutes les dérives du gouvernement de Yahya Jammeh. Lui, le dictateur, le rappeur le surnomme le « monstre de Kanilai ».
Une dénonciation dans un mode jamais vu
En anglais et en wolof, Killa Ace dénonce et brise la culture du silence qu'impose le président, au pouvoir depuis 1996. Une première en Gambie ! Personne n'avait jamais osé dénoncer les agissements du Président gambien tout en prononçant son nom ! Quelques heures plus tard, le directeur de la radio, Alagie Sisay (Aladji Cissé), est arrêté par les autorités, interrogé, puis relâché pour avoir permis la diffusion du morceau. Mais le titre, également posté sur Internet, cumule plus de 30 000 écoutes en 48 heures et fait réagir dans le pays et ailleurs. En témoignent les diverses réactions de Gambiens sur les réseaux sociaux. « J'ai reçu des milliers de messages de soutien et de remerciement pour avoir chanté ce que tout le monde pense sans jamais oser le dire ». On écoute la chanson de Killa Ace dans les rues, les transports publics, les boîtes de nuit, ... « Cela m'a donné la force de continuer à utiliser ma musique pour qu'il y ait un véritable changement dans le pays ».
La menace des services de renseignements
Mais c'était sans compter sur la riposte des services de renseignements gambiens et, plus précisément, ceux du NIA (National Intelligence Agency). Killa Ace, sa femme et son manager, reçoivent des menaces de mort par mails et des coups de téléphone d'agents de la NIA à propos des allées et venues du rappeur. « Au début, je n'ai pas voulu partir alors même que ma famille, mes amis et mes fans m'enjoignaient de le faire. Selon eux, le NIA finirait par me faire taire en m'emprisonnant ou, pire, en me faisant tuer ». L'artiste clame alors qu'il n'a commis aucun crime et qu'il ne quittera pas son pays pour avoir dit la vérité. Le jour où sa fille de quatre ans fait également l'objet de menaces, il se résout à quitter la Gambie. Mais qu'est-ce qui a bien pu pousser Killa Ace à prendre un tel risque ? « Je me suis sacrifié mais il en allait de ma responsabilité. J'ai écrit un morceau lors de la campagne « Bring Back Out Girls » contre Boko Haram. Si je chante pour le Nigeria et que je ne dis rien sur la situation épouvantable de mon pays, cela fait de moi un hypocrite », explique vigoureusement Killa Ace. « Et puis au Sénégal, des artistes chantent sur la Gambie et dénoncent la folie de Jammeh. Si moi je ne dis rien, cela fait de moi un lâche ». En Gambie, les artistes les plus engagés ne sont pas des artistes mainstreams et c'est ce qui les met à l'abri, explique Killa Ace qui a su se faire un nom en défendant, d'abord, le hip-hop.
"Je ne me tairai pas"
Mais pour les artistes les plus connus, toutes catégories confondues, chanter à la gloire de Jammeh ou se produire sous les yeux du gouvernement permet de gagner de l'argent facilement. « Je ne pouvais plus me taire. Avant, dans mes chansons, j'utilisais des sous-entendus et des métaphores mais je me suis dit qu'il était temps de dire les choses », raconte-t-il. Né à Banjul le 21 décembre 1986, Killa Ace a quitté la Gambie à l'âge de 5 ans et grandi entre les quartiers de Harlem et du Bronx à New-York. A l'âge de 13 ans, ses parents décident de le renvoyer au pays alors qu'il commence à fréquenter des gangs de rue. Passionné de rap, il écrit déjà et se produit au cours de battles de freestyle. Chose qu'il continue en Gambie à une époque où le reggae et le mbalax sont bien plus populaires que le rap. A l'argent, la drogue, les « bitches » et autres voitures de luxe, Killa Ace réserve ses « lyrics » à la réalité gambienne. « J'ai pris conscience qu'il y avait des choses plus importantes à défendre. Dès mon arrivée, j'ai tout de suite senti cette atmosphère de peur. Le hip-hop est avant tout une culture révolutionnaire et représente le peuple ». Désormais réfugiée politique installé à Dakar, au Sénégal, il s'exprime dans moult médias Sénégalais et étrangers en préparant son prochain album The Lyrical Revolution. « Je sais que les autorités gambiennes veulent mettre la main sur moi mais je ne me tairai pas. Je n'ai pas peur. Cette triste histoire me donne l'occasion de pouvoir faire le tour du monde pour défendre la liberté d'expression en Gambie ».

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