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mardi 5 août 2014

Modibo Keita, un grand démocratique et Moussa Traoré, un grand officier Le grand paradoxe IBK

l'ancien Président Moussa Traoré
Chaque fois que les Maliens le croit remis d’une série d’errements, le président de la République remet ça et étonne même avec la bourde suivante. La dernière en date remonte en milieu de semaine dernière. C’était lors de la cérémonie de reconnaissance aux anciennes gloires du sport malien, un événement initié par le ministère des Sports.
L’initiative, salutaire à tous points de vue, aura été plus qu’un creuset intergénérationnel, mais aussi un instant de communion entre célébrités du monde sportif malien.

La beauté de la fête était à son paroxysme jusqu’au moment où, le chef de l’Etat, Ibrahim Boubacar Keïta, entre en scène. Après, un long silence observé consécutivement aux tristes événements de Kidal, le locataire de Koulouba s’en est donné à cœur joie à nouveau.

En invitant la jeunesse à s’inspirer de l’exemple d’illustres célébrités de notre histoire contemporaine, IBK n’a pas tari de références. Pour lui, la jeune génération malienne peut s’inspirer de monuments comme le général Abdoulaye Soumaré, le colonel Bocar Sékou Traaoré et «pourquoi pas le général Moussa Traoré». Le mot est ainsi lâché après que la désignation du même personnage infâme comme «grand républicain», lors de son investiture, eût déjà alimenté la polémique et offusqué les figures encore vivantes de la lutte démocratique malienne.

Pour ces derniers, décerner de la sorte le titre «grand officier» à l’ancien dictateur retentit sans doute comme une provocation de plus, et pour cause. Son tristement célèbre règne de dictateur s’est achevé pour le moins par un bain de sang freiné par un coup d’Etat, la disgrâce d’une double condamnation à mort, puis une détention de dix années environ interrompu par une grâce présidentielle.

Parmi ses victimes figurent, outre les nombreux manifestants de 1991 et autres non moins nombreux prisonniers politiques, ses compagnons de la junte militaire de 1968 parmi lesquels, Tiécoro Bagayogo, dont le nom aurait sans doute ému plus d’un parmi les célébrités sportives du Cicb.

Le paradoxe réside surtout dans l’attribution d’un autre titre manifestement incompatible avec celui décerné au général Moussa Traoré. En effet, quelques jours auparavant, en recevant à Koulouba la classe politique, en prélude à l’ouverture du dialogue inclusif inter malien à Alger, le même chef de l’Etat lâchait, devant le regard étonné de ses hôtes du jour, que «le président Modibo Keïta était en réalité un grand démocrate».

Personne ne sait quel contenu il donne au concept de «démocratie». Mais, son jugement a fait sourciller tous ceux qui savent que le contexte et les orientations idéologiques du Mali de l’époque ne s’accommodait pas à l’état d’un esprit démocratique digne de pareils louanges.

Du reste, le hic, c’est qu’il est raisonnablement indéfendable tout comme l’ancien président Moussa Traoré, tombeur du « Grand démocrate» Modibo Keita, qui mérite une place au panthéon des «Grands officiers» de l’armée malienne. Arrivé au pouvoir en 1968 par le biais d’une junte putschiste, le lieutenant colonel Moussa Traoré est ses compagnons ont donné un brusque coup de frein fatal à l’envol socio-économique du Mali en le maintenant dix années durant sous la chape de plomb d’un régime d’exceptionnel.

Après s’être cruellement débarrassé de ses compagnons, il s’est arrogé une mainmise totale sur le pouvoir d’Etat au moyen d’un parti unique qui s’est plutôt illustré par une intolérance criarde à la contestation et aux courants des pensées. Les opposants au système sont systématiquement placés dans les trous à rats des geôles, les moindres mouvements de contestation réprimés dans le sang comme ce fut le cas avec le dramatique sort du leader estudiantin Abdoul Karim Camara «Cabral».

Le jeune leader de l’Uneem figure sur une longue liste d’innombrables victimes parmi lesquels «Le grand démocrate» Modibo Keïta mort en prison, ainsi que les nombreuses victimes de l’escalade meurtrière de Mars 1991 à laquelle un certain ATT a mis un terme. Autant de passifs qui font que les lauriers constamment décernés à Moussa Traoré sont forcément ressentis comme une défiance, voire une insulte à la douleur de centaines ou milliers de concitoyens victimes de ses 23 années de tyrannie militaro-politique.

Une nation désireuse d’amorcer sa réconciliation doit être épargnées des démesures verbales qui ravivent la polémique et raniment les frustrants souvenirs.

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