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jeudi 16 juillet 2015

Massacre du 28 septembre : Le sort de Dadis servira-t-il de jurisprudence pour les chefs d’État africains ?


Loin de Conakry, le 8 juillet 2015 à Ouagadougou, Moussa Dadis Camara a été inculpé dans le dossier judiciaire relatif au massacre du 28 Septembre 2009. Depuis lors, les Guinéens ne cessent de parler, d’écrire  et d’analyser l’action ou l’inaction de l’ancien chef de la junte dans ce carnage  qui, selon un rapport de l’enquête des Nations Unies, a fait 157 morts, des centaines de blessés et des dizaines de femmes violées.

Qui dirigeait la Guinée ce jour-là ? Aucun doute là-dessus : le Président du Conseil national de la démocratie et du développement (CNDD) qui occupait aussi les fonctions de chef de l’État, de Décembre 2008 à Décembre 2009, n’était nul autre que Moussa Dadis Camara. Ce statut particulier suffira-t-il amplement pour que la justice le culpabilise ? L’avocat Me Jean-Baptiste J. Haba réussira-t-il à convaincre, ou plutôt à prouver, que la responsabilité de son client Dadis est, comme l’affirme ce dernier dans sa première audition en date du 13 Juillet, uniquement «morale, mais pas pénale» ?
 

En attendant le verdict final, le sort du président des forces patriotiques pour la démocratie et le développement (FPDD) divise les Guinéens avec, en toile de fond, des alliances politiques qui se tissent ou se détissent dans la perspective de la présidentielle prévue le 11 Octobre 2015.
 

Pendant que nous écrivons ces lignes, les réactions ne cessent de se multiplier et de se polariser, pourtant trois positions semblent s’imposer dans les médias et groupes de discussions notamment sur les réseaux sociaux comme Facebook. En fait, tout se passe comme si, avant même le grand verdict final, une bonne partie des Guinéens s’est déjà faite sa propre petite idée. Finale ?
 

Pour certains, la question de la culpabilité ou de l’innocence de l’inculpé Dadis mérite amplement d’être posée car Moussa Dadis Camara serait «le grand perdant»  des évènements meurtriers du 28 Septembre (à qui profite le crime invitent-ils donc à se demander ?) ; pour d’autres, elle n’a tout simplement pas lieu d’être parce que, à les lire et à les écouter, l’ancien chef de la junte, assumant les fonctions de chef de l’État au moment des faits, serait «moralement et pénalement coupable» (il n’y aurait donc rien à redire, circulez écrivent-ils sur la toile !) ; pour d’autres encore, cette question ne se serait jamais posée si Cellou Dalein Diallo, président de l’union des forces démocratiques de Guinée (l’UFDG)  et Moussa Dadis Camara, à la tête du parti politique FPDD, n’avaient pas publiquement exprimé leur volonté de nouer une alliance dans le cadre de la prochaine présidentielle (ici, on parle, sans détours, d’une «instrumentalisation de la justice guinéenne par le président Alpha Condé», candidat à sa propre succession). Laquelle de ces trois versions est-elle plus proche de la vérité que du mensonge ? Bien malin qui possède déjà la réponse.
 

Toutefois, de «douze hommes en colère», drame judiciaire américain sorti au cinéma en 1957, nous aurons compris, ô combien, il est primordial d’être un bon avocat, voire un excellent avocat, pour blanchir son client d’une affaire incluant un ou plusieurs meurtres. Sans vouloir sous-estimer les capacités de Me Jean-Baptiste J. Haba, l’inculpé, Monsieur Camara, a intérêt d’avoir un avocat de taille, car il reviendra à ce dernier de prouver que, si son client est «moralement responsable», il mérite d’être innocenté sur plan pénal. Une tâche qui s’annonce plutôt ardue lorsque l’on sait que, pendant qu’il était au pouvoir, l’ex-capitaine de l’armée guinéenne ne s’est pas fait que des amis au niveau national et international.
 

Mas rien n’est joué d’avance : ceux qui voudraient culpabiliser l’ancien chef de la junte manqueront-ils d’arguments pour mettre en évidence que tout individu qui exerçait la fonction de chef de l’État en date du 28 Septembre 2009 est forcément coupable ? Ce raisonnement ne voudrait-il pas insinuer que l’actuel président de la République serait, d’une manière ou d’une autre, pénalement coupable de tous les crimes commis durant son mandat ? Que dire alors des meurtres commis sous les régimes de Lansana Conté et Sékou Touré ? Voyez-vous où on pourrait en venir ? Souvenons-nous aussi que, le 3 décembre 2009 au camp Koundara de Conakry, Dadis Camara avait reçu une balle dans la cervelle. Balle tirée par son aide de camp Aboubacar Sidiki Diakité dit «Toumba».  Si l’ancien chef de la junte avait trouvé la mort ce jour-là,  aurait-il été jugé à titre posthume ?
 

Vous l’aurez compris, de nombreuses questions et zones d’ombres restent à éclaircir en ce qui concerne le massacre du 28 septembre 2009 en Guinée. Quoi qu’il en soit, du point de vue du droit national ou international, le sort de Moussa Dadis Camara pourrait bien servir de jurisprudence en matière de crimes commis par, pour ou contre les dirigeants africains en général et guinéens en particulier.

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